«España - Marruecos : Heridas sin cicatrizar» (Espagne-Maroc : plaies non cicatrisées) est le titre d'un essai sociologique qui vient de paraître en espagnol à Madrid. Ecrit par le journaliste-sociologue marocain, Mohamed Boundi, l'ouvrage décortique le discours des médias espagnols sur le traitement de la question marocaine et explique les causes qui motivent la persistance dans le temps et dans l'imaginaire collectif espagnol d'un ensemble de préjugées, stéréotypes et images déformées de la société marocaine. Chapitre II : un siècle et demi de malentendus (Pages 190-192) Conclusion Les malentendus entre les gouvernements de Rabat et Madrid font partie de l'héritage d'une longue histoire marquée par des conflits militaires et d'autres d'ordre affectif, économique, culturel et religieux. Nous nous limitons dans cette conclusion à signaler la fausse interprétation d'engagements bilatéraux dans la manière de résoudre les contentieux bilatéraux. Trois événements sont à retenir : le Traité de Paix et d'Amitié de Tétouan (25 avril 1860) qui a mis fin à la Guerre d'Afrique, la Déclaration de Madrid (7 avril 1956) qui a reconnu l'indépendance du Maroc et les accords sur la rétrocession de Tarfaya (1958), Sidi Ifni (1969) et du Sahara (1974). Les deux pays devaient attendre plus de trois décennies avant de conclure le premier traité d'Amitié, de Bon Voisinage et de Coopération (4 juillet 1991). Avant d'arriver à cette date, les deux nations ont dû souffrir des douloureuses confrontations armées mais ce sont les marocains qui ont été victimes des campagnes de dénigrement, des préjugés et images négatives mais aussi de leur utilisation comme chair à canon dans des conflits internes entre espagnols, particulièrement pendant la Guerre civile. Dans ce contexte, il est notoire de nous arrêter sur la Guerre du Rif, un événement qui est retenu comme l'expression la plus patriotique du peuple marocain dans la lutte contre la présence étrangère sur sa terre. En face, dans les livres d'histoire et chroniques journalistiques d'Espagne, cette guerre se considère comme l'épreuve la plus sérieuse, la plus douloureuse et la plus meurtrière que les espagnols aient subie depuis la perte de Cuba, leur dernière possession territoriale en Amérique latine. Le Désastre d'Anoual est cité comme l'épilogue d'un duel entre une puissance coloniale et une guérilla aux pieds nus mais héroïque. Les pertes de l'armée espagnole dans cette bataille, qui s'était déroulée entre les 21 et 22 juillet 1921, font encore partie de l'histoire interdite mais le chiffre le plus proche des victimes, du côté espagnol, serait de 9.000 morts. Comme conséquence, ce désastre avait fortement secoué la société espagnole ce qui avait amené l'armée à recourir à l'aviation et à la guerre chimique pour bombarder la population civile rifaine de gaz toxiques. En peu de jours, le désastre militaire s'est transformé en un désastre humain provoqué par des militaires qui s'adonnaient aux razzias, représailles, pillages et tortures des familles des combattants rifains croyant qu'ils appliquaient la loi du vainqueur. A l'issue des succès militaires sur le terrain, Mohamed Abdelkrim Khattabi, leader de la résistance, continuait à appliquer par contre des réformes administratives dans la République du Rif, dont la mise en circulation d'une monnaie propre, la promulgation de lois et l'établissement de relations avec l'extérieur. C'est seulement sur une intervention conjointe des armées française et espagnole que la Guerre du Rif eut pris fin lorsqu'Abdelkrim eut décidé de se rendre le 26 mai 1926. La rébellion des rifains n'avait cessé officiellement que le 10 juillet 1927. Aujourd'hui, historiens, chercheurs et journalistes s'interrogent comment s'était organisée la longue résistance d'une population inculte, isolée et démunie d'équipements militaires modernes face à une puissance coloniale. Le souvenir du Désastre d'Anoual demeure cependant gravé sur la mémoire de nombreuses générations de marocains et d'espagnols dans la mesure où il avait provoqué la chute de gouvernements, le changement du régime monarchique mais surtout des milliers de victimes de la guerre chimique dans les rangs rifains. Par la suite, les marocains ont été entraînés dans la Guerre Civile pour combattre aux côtés des rebelles dirigés par le Général Franco contre les républicains. Ce qui est à retenir de cette participation forcée dans un conflit hispano-espagnol, est qu'entre 100.000 et 130.000 soldats marocains auraient été conduits dans la péninsule ibérique, dont 50.000 auraient péri loin de leurs foyers pour une cause qui n'était pas la sienne et que 9.000 mineurs avaient également combattu dans les rangs franquistes. Durant le protectorat, s'étaient épanouies une littérature pittoresque et une presse patriotique totalement affines au franquisme et à l'africanisme qui glorifiaient la servitude, la négation de l'autre et la prépotence. C'est durant cette phase de l'histoire que se sont raffermis et développés les stéréotypes, préjugés et fausses images du marocain et de la culture arabo-musulmane. Le traité de l'Indépendance du Maroc, qui a mis fin en 1956 à un épisode marqué par un siècle rembourré de conflits et intrigues, n'a pas progressé dans le sens souhaité pour enterrer définitivement l'animosité entre les deux pays. Le Maroc ne cesse de revendiquer la rétrocession de la souveraineté sur Sebta, Melilla et les Iles Jaâfarines. La question du Sahara demeure encore une question de grande sensibilité dans l'agenda diplomatique. En Espagne, un courant de l'opinion publique revendique, pour sa part, un traitement de faveur et des droits historiques dans l'exploitation d'opportunités économiques au royaume. Durant le premier gouvernement du Parti Populaire (1996-2004), le président Aznar avait décidé de reléguer le Maroc au second plan dans les relations de son pays avec les Etats du Maghreb au profit de l'Algérie. Pour sa part, le roi Mohamed VI a assumé la mission de répliquer personnellement à la doctrine aznarienne en accordant dans son agenda un intérêt particulier aux questions de grande sensibilité politique telles l'immigration, la pêche ou la sécurité régionale. Le rappel pour consultation des ambassadeurs du Maroc Abdeslam Baraka (27 octobre 2001 – 3 février 2003) et Omar Azzimane (1 er novembre 2007 – 8 janvier 2008), le conflit de l'îlot Toura/Laila (Persil) ont révélé au grand jour l'inefficacité du Traité d'Amitié, de Bon Voisinage et de coopération ainsi que la défaillance des autres mécanismes établis en prévention d'incidents bilatéraux. Pour de multiples raisons, Madrid appuie le droit d'autodétermination de la population du Sahara alors que Rabat exige la loyauté aux Traites de Madrid de 1975 sur la décolonisation du territoire. Dans l'agenda diplomatique marocain, les revendications de la souveraineté sur Sebta, Melilla et l'archipel des Iles Jaâfarines, la marocanité du Sahara et les espaces maritimes en Méditerranée et dans l'Atlantique sont des constantes. Dans la défense du principe de réciprocité, Rabat exige la récupération de tous les territoires sous occupation étrangère. Pour sa part, Madrid rejette tout débat sur le statut des places de souveraineté en Afrique du nord et évite toute similitude entre les revendications marocaines sur Sebta et Melilla et la dispute avec les britanniques pour las souveraineté concernant Gibraltar. L'éradication des motifs de tension et malentendus demeurent une préoccupation majeure dans les relations diplomatiques. Toutefois, le Désastre d'Anoual (juillet 1921) est désormais peu cité dans les manuels scolaires alors que les perceptions négatives sur le collectif marocain perdent de plus en plus de force. L'intégration socioprofessionnelle des marocains en Espagne, le développement des échanges culturels et les efforts que déploie la société civile ont permis de modifier les perceptions négatives sur le Maroc en dépit des malentendus qui surgissent de temps à temps entre les deux gouvernements. Le retour des socialistes au pouvoir (2004-2011) avait contribué à l'ouverture de nouveaux canaux de coopération bilatérale. Jusqu'à 1956, le marocain était identifié dans la mémoire collective et la littérature africaniste et militaire comme l'«indigène», le «colonisé» ou l'«infidèle». Actuellement, son image se mesure à travers le legs culturel, la perception des médias ou les enquêtes sociologiques. Malheureusement, dans aucun des trois canaux, le marocain ne jouit de grande sympathie de la part de certains secteurs conservateurs de la société espagnole. Avec le retour du Parti Populaire au pouvoir, après son triomphe aux élections générales du 20 novembre 2011, le gouvernement de Madrid se retrouve dans son agenda avec les mêmes problèmes insolubles qui n'ont pas été résolus depuis le mandat d'Aznar. Toutefois, une nouvelle étape a été inaugurée dans les relations bilatérales grâce à la manifeste disposition des autorités du Maroc de restaurer la confiance mutuelle et renforcer la coopération bilatérale. A suivre ...