Disparu et annoncé mort en 1964, ré-enterré en 2012 dans des obsèques officielles et en présence notamment du chef de gouvernement Abdelaliha Benkirane, Chafik Madani, l'un des leaders de la résistance après le martyr Zerktouni, a été d'un rôle majeur dans la résistance. Pas un ouvrage sur cette période ne relatait ce rôle combien important. Les grands témoignages rapportés par des mémoires vivantes, tels Mohamed Bensaid Aït Idder, Ghali Iraki, Thami Nouâmane et Abdellah Sanhaji... ont été aussi un encouragement à ses fils pour continuer la lutte et élucider la vérité. Al Bayane a rencontré Zakaria Chafik, l'un des fils du martyr pour un éclairage sur cette affaire qui a duré près d'un demi-siècle. Al bayane : Quel a été le sens de cette présence distinguée ce 8 juillet aux obsèques de votre père Madani Chafik ? Zakaria Chafik : Cause juste. Nous avons senti un air de victoire. Franchement, quand vous avez dans les obsèques de votre père le premier ministre Abdelilah Benkiran, l'ancien premier ministre Abderrahman Youssoufi, le ministre de la justice Mustapha Ramid, Mohamed Bensaid Aït Idder, l'ancien ministre Mohamed El Yazighi, le secrétaire général du CNDH Mohamed Sebbar, Mustapha Ktiri, haut commissaire aux anciens combattants et plusieurs familles de personnes disparues par le passé, gens des médias nationaux et internationaux ... vous vous dites voilà ce que nous cherchions depuis bien longtemps : la reconnaissance d'un grand résistant qu'avait été Madani Chafik. Et cela démontre de la légalité et la légitimité de notre cause aussi. Commence maintenant, un autre épisode résumé par la récupération des biens soutirés à la famille. Pourquoi l'appelle-t-on Madani Laouar (l'aveugle) ? Madani se faisait passer pour un réparateur de radios, tirant profit de sa large connaissance en la matière. Une manière qui lui permettait aussi de faire passer facilement des armes légères. Un jour il avait sur lui un pistolet français camouflé dans un bouquet de menthe verte qu'il entendait transmettre à des camarades de la résistance qui l'attendaient à la place Sraghna, à Derb Soltane. Il heurta, à cause de sa malvoyance, un policier français. Depuis cet incident, ses camarades plaisanteront avec lui en lui disant : « tu n'as trouvé personne à heurter sauf un policier ». Pourquoi un point de presse avant l'enterrement de la dépouille ? Il fallait faire connaitre toutes les circonstances de cette affaire. Si Me Jamii, avocat de la famille Chafik, a mis en valeur le rôle de l'ancien premier ministre Abderrahman Youssoufi qui a été derrière la reconnaissance de la mort de Madani Chafiq, le résistant et homme politique chevronné Mohamed Bensaid Aït Idder a donné une vue sur le défunt et son rôle majeur dans la résistance. Mais, il fallait que ses fils racontent à l'opinion publique leurs souffrances, et surtout la lésion dont ils ont fait l'objet par la privation de tous les membres de la famille des biens de Madani dans la zone de Caponegro (nord) confisqués par des personnes influentes. Ils ont été clairs. Pour eux, Oufkir est le principal accusé et un grand holding en est le bénéficiaire !!! Comment avez-vous vécu l'après-Madani ? En tant que famille, notre vie a totalement basculé depuis 1964. D'abord, il fallait connaitre où est notre père, ce qui n'étais pas facile, sachant que ses enfants étaient à un bas-âge, et seule sa sœur et ses camarades se souciaient de son sort. Mais, une fois, nous avons atteint l'âge de maturité, nous avons pris le relais et continué notre quête de la vérité. Entretemps, la dispersion a été imposée, tant que tous les biens du martyr ont été dilapidés par des personnalités influentes. Le mouvement de lutte pour les droits humains, notamment l'aide consistante du militant et camarade du défunt Mohamed Bensaid Aït Idder, nous a été d'un grand apport et nous encourageait à continuer notre chemin. L'ancien premier ministre Abderrahman Youssoufi a aussi donné ses directives claires et sans ambages pour nous délivrer pour la première fois un certificat de décès. Les premières prémices d'une vérité tronquées apparaitront avec l'instance d'arbitrage indépendante, dont la décision reconnait le crime mais ne s'attaque aucunement à la réparation du dommage subi à savoir la privation de la famille des biens de son père, concédés illégalement à un grand holding. Avec le gouvernement d'Alternance vous allez recevoir la première reconnaissance du décès de votre père ? Effectivement, grâce au militant Bensaid et à la volonté du premier ministre de l'époque, Abderrahman Youssoufi et à son ministre de la justice Omar Azziman, nous avons reçu une réponse confirmant notre droit à demander l'annulation des sentences prononcées en l'absence des membres de la famille et à procéder à des expertises des biens susmentionnés. Cela a servi d'alibi pour résister et s'attacher à notre droit de connaitre d'abord et surtout la vérité, et ensuite récupérer nos biens, confisqués illégalement. Quand allez-vous découvrir la dépouille ? Ce n'est qu'en mai dernier. Le parcours était sinueux, il a fallu du temps pour fouiller dans les registres du cimetière et trouver la tombe réelle du martyr Madani Chafik. Et c'est grâce notamment à la ténacité de notre grand frère El Fadel, qui ne cessait de frapper à toutes les portes et à suivre toutes les traces, nous avons pu tenir tête et découvrir enfin le lieu de la dépouille dans le cimetière de Sbata à Casablanca. Par ordre judiciaire, et sous la supervision du CNDH, nous avons pu exhumer le corps et procédé de nouveau à son enterrement le 8 juillet au cimetière Achouhada, près ses camarades.