Disparu depuis 1964, Madani Chafik a fini par resurgir sur terre. Le corps de cet ancien résistant a été retrouvé par son fils. Dimanche aura lieu son inhumation officielle au cimetière des Chouhadas à Casablanca. Le corps du défunt examiné par une équipe de médecins légistes le 31 mai 2012 «Ils ont voulu l'effacer de la mémoire», a déclaré, ému, Mohamed Bensaïd Ait Idder à propos de l'acharnement de l'Etat à vouloir cacher la vérité sur le sort de Madani Chafik, cet ancien membre de l'Armée de libération disparu en 1964. Jeudi matin, une conférence de presse a été organisée au CERM (Centre d'études et de recherches Mohamed Bensaïd Ait Idder), en présence de Mohamed Bensaïd Ait Idder, du bâtonnier Abderrahim Jamai, et des membres de la famille de Madani Chafik. Faute de réponses concrètes de la part des autorités, la famille de la victime s'est dite contrainte d'alerter la presse sur son sort, et son désir de connaître enfin la vérité sur la disparition d'un grand résistant à l'occupation française. Cela faisait presque un demi-siècle que la famille et les proches de Madani n'avaient aucune information sur son lieu d'enterrement, et à leur satisfaction, le fils du défunt, Fadil Chafik, a récemment retrouvé le corps de l'ancien résistant, enterré dans le cimetière de Sbata à Casablanca. Une vengeance d'Oufkir ? Ni l'IER ni le CCDH n'avaient permis d'élucider cette affaire. Une affaire qui mêle règlement de comptes et répression politique. Et c'est au plus fort des années de plomb que Madani Chafik a été « kidnappé » par la police, avant d'être transporté au tristement célèbre commissariat de Derb Moulay Cherif à Casablanca. Madani y passera six mois. Six mois de torture, aussi bien physique que morale, avant qu'il ne soit liquidé et enterré en urgence au cimetière de Sbata, sans que le nom de la victime ne soit mentionnée sur la pierre tombale. Commence alors le combat marathonien de la famille de la victime, ne connaissant rien sur le sort de son proche, des décennies durant. Ce n'est que lors de l'avènement du gouvernement d'alternance, et sous la pression de l'ancien Premier ministre Abderrahmane Youssoufi qui a réussi à convaincre le Conseil consultatif des droits de l'Homme, de livrer, trois décennies plus tard, le certificat de décès à la famille du défunt. Arrive alors l'Instance équité et réconciliation (IER), chargée de solder une fois pour toute le dossier des années de plomb et de faire la lumière sur les nombreuses disparitions. Seulement voilà, comme l'ont été les dossiers de Mehdi Ben Barka et de Houcine Manouzi, celui de Madani Chaki est lui aussi resté sans réponse. « Cela fait trop longtemps que nous sommes victimes de cette conspiration », déclare, les larmes aux yeux, Fadil Chafik, un des 13 fils de la victime. Le terme « conspiration » n'a pas été fortuitement utilisé. Seulement voila, quelques années après la mort de Madani, l'Etat avait procédé à l'expropriation des biens de la victime, dont des terres situées à Cabo Negro, non loin de la ville de Tétouan, sous le voile de l'intérêt public. A peine quelques temps après, les terres ont été vendues par l'Etat à La Société Africaine du Tourisme, qui a transformé la parcelle en un immense complexe touristique. « Un an avant la mort de mon père, il avait rencontré Oufkir et Moulay Hafid Alaoui. Ces derniers voulaient acheter les terres de mon père. Il a refusé et Oufkir ne lui en n'a jamais pardonné », a ajouté le fils du défunt, persuadé de la complicité de l'ex-homme fort du régime dans l'enlèvement et l'assassinat de son père. Le CNDH tâtonne Où en est l'affaire aujourd'hui ? Non mécontents d'avoir réussi a exhumer le corps de leur père, les enfants de la victime veulent aujourd'hui connaître toute la vérité, mais aussi que justice leur soit rendue, et que les terres de leur père leurs soient rendus. « Le dossier est aujourd'hui entre les mains du Conseil national des droits de l'Homme, mais rien n'avance », a déclaré à ce propos Maître Jamai, avant d'ajouter « Nous avons attiré l'intention de tous les gouvernements qui se sont succédés depuis celui de Youssoufi. Pas plus tard que cette année, nous avons rédigé deux mémorandums au nouveau Chef du gouvernement qui a promis de faire le nécessaire. Nous attendons toujours ». Selon les fils de Madani, ni l'IER ni le CNDH ne souhaitent vraiment rendre justice à la famille de la victime, les lobbies de l'immobilier et l'IER sont, selon eux, de mèche. La balle est désormais dans le camp de l'instance de Driss El Yazami, qui devra, par nécessité de rendre justice aux orphelins de l'un des plus valeureux résistants que le Maroc a connu, faire toute la lumière sur l'affaire, mais surtout les aider à leur rendre ce qui leur appartient. Le corps de Madani Chafik sera transporté au cimetière des Martyrs à Casablanca, pour y être ré-enterré aux côtés de ses pairs, 48 ans après sa mort. Bio express Né en 1923, Madani Chafik, plus connu dans les milieux résistants sous le sobriquet Madani le borne, est originaire de Ouarzazate. En migrant à Casablanca, il répare des radios dans le quartier de Derb Sultan. Il fonde alors l'association L'Union du Sud comme moyen de militer pour l'amélioration des conditions sociales et politiques. Il a été l'un des leaders de la résistance au côté de Mohamed Zerktouni. Repéré par les français, il migre à Tétouan où il co-fonde l'Armée de libération dans le nord. Il s'y occupait du recrutement et était expert en armements. Le 4 Juin 1964, Madani Chafik est enlevé de son domicile. Il meurt le 10 novembre 1964 sous la torture. * Tweet * * *