Une pléiade de sociologues maghrébins et américains se sont retrouvés, jeudi à Tanger, pour commémorer le sixième centenaire de la disparition d'Ibn Khaldoun, le pionnier arabe des sciences sociales dont la pensée s'impose toujours comme une grande référence. La manifestation de deux jours, organisée par le musée de la légation américaine de Tanger sous le thème ''Les mondes d'Ibn Khaldoun'', a été l'occasion pour des sociologues marocains, tunisiens, algériens et américains d'évoquer le génie de l'homme qui a posé les premiers fondements de la sociologie moderne à travers une analyse rationnelle répondant aux exigences de la rigueur scientifique. Les intervenants ont été unanimes à relever les mérites d'Ibn Khaldoun qui a été le premier à poser les jalons d'une méthodologie scientifique dans la recherche et l'analyse des phénomènes. Une méthodologie qui est, six siècles après, toujours d'actualité dans les différentes disciplines des sciences sociales. Voilà une pensée qui explose en pleine période de décadence du monde musulman (XIV-è siècle), qui disparaît pendant près de 3 siècles, avant de réapparaître, d'abord en occident, pour continuer de hanter, de nos jours, toute la planète et servir de référence à des contemporains de toute sorte, relève M. Réda Boukraa de la faculté des sciences humaines et sociales de Tunis. Pour lui, le mérite d'Ibn Khaldoun ne relève pas de ces ouvrages d'historien, dont l'importance et la consistance ne peuvent rivaliser avec ceux d'autres historiens de l'époque. M Boukraa explique que l'ont peut plutôt être tenté d'expliquer cette aura mythique autour du penseur par sa découverte du ''Ilm Al-Umran'' (sociologie). Mais, là aussi, il finit par reconnaître que le concept fondateur de ''Ilm Al-Umran'' ne peut prétendre à un grand apport ou une certaine rupture épistémologique avec la pensée aristotélicienne. Après avoir passé en revue les différentes attitudes envers l'oeuvre d'Ibn Khaldoun en fonction des époques et des prédispositions des lecteurs, M. Boukkra aboutit à une conclusion originale concernant cette fascination tenace autour de la pensée de l'homme. L'actuel développement technologique et industriel fulgurant a propulsé l'humanité dans un futur inédit et imprévisible, d'où des réactions d'angoisse où les concepts et fondements même de la modernité sont remis en question. La pensée d'Ibn Khaldoun peut aider à trouver les clefs de cette dynamique de progrès dont les formes et les sens semblent échapper à toute pensée actuelle, affirme-t-il. L' ''asharisme'' d'Ibn Khaldoun éclaire d'un jour salutaire le débat actuel entre religion et science, foi et raison, tribu et société civile, islam et démocratie, explique-t-il. Pour sa part, M Jamel Chaaban, sociologue algérien, a abordé le thème de ''Umran'', concept essentiel pour saisir le système de pensée d'Ibn Khaldoun. Il est la clé de voûte de la ''Al Muqaddima'' et il en commande entièrement l'architecture, a-t-il noté. Le terme de ''Umran'' désigne dans l'oeuvre d'Ibn Khaldoun tant les problèmes démographiques et économiques que les activités sociales, politiques et culturelles. Il s'agit de l'ensemble des phénomènes humains qu'ils soient matériels, sociaux ou spirituels, explique-t-il. Après avoir passé en revue les différentes interprétations faites du concept avec plus ou moins de précisions et de pertinence, M. Chaaban a formulé le souhait d'une approche rigoureuse des contemporains qui peut aider à prendre pleine conscience de l'originalité et de l'actualité de la ""Al Muqaddima"", un texte qui n'a pas encore livré tous ses secrets. Pour sa part, Mme Halima Ferhat a abordé le contexte historique de l'oeuvre d'Ibn Khaldoun pour mieux saisir l'homme et sa pensée. Elle a évoqué l'avènement de la décadence de la grande civilisation du monde musulman au 14-eme siècle et l'émergence d'un occident qui s'apprêtait à entamer sa renaissance. De par sa perspicacité à analyser et à anticiper, Ibn Khaldoun n'était pas apprécié de tous. Les historiens turcs ne s'intéressaient pas à son oeuvre pour l'encenser mais pour attaquer violemment sa thèse du déclin inéluctable des états qui s'appliquait très bien à l'empire ottoman malade de l'époque. Lors de cette rencontre, plusieurs intervenants se sont succédés pour traiter de différents thèmes relatifs au ''Mondes d'Ibn Khaldoun''. Parmi les thèmes débattus figurent notamment ''Religion, pouvoir et loi chez Ibn Khaldoun'', ''l'art chez Ibn Khaldoun'', ''L'univers d'Ibn Khaldoun : un chantier toujours ouvert''. De son vrai nom Abou Zaid Abderrahmane Hadrami, Ibn khaldoun est né en 1332 d'une grande famille d'Andalousie. Il a vécu en voyageur sillonnant le monde à la quête du savoir, notamment dans les domaines de l'histoire, la philosophie, et les sciences sociales. Son célèbre ouvrage ''Al-Mouqaddima'' est une oeuvre qui a accédé à l'universalité et s'érige toujours en grande référence pour les sciences sociales.