"Nous avons choisi ce film avec le coeur". Cette explication de son président Wong Kar-Waï prouve que le jury du 59e Festival de Cannes a autant été séduit par l'émotion que suscite la fin du film "Le vent se lève" que par ses qualités artistiques ou son message politique. Le film de Ken Loach, récompensé de la Palme d'or dimanche soir, raconte l'histoire, en 1920, de deux frères d'Irlande du Nord engagés dans la lutte armée contre l'occupant anglais. Face à l'occupant et aux humiliations que celui-ci impose aux habitants locaux, des paysans s'unissent et forment des équipes de résistants. Damien (Cillian Murphy) abandonne sa prometteuse carrière de médecin débutant pour rejoindre son frère Teddy (Padraic Delaney). Mais au fil des mois les divergences au sein même des combattants irlandais vont créer des clans, des rivalités, des scissions, et plus tard des drames, notamment entre les deux frères. Cinéaste militant, engagé à gauche, Ken Loach avait déjà évoqué la question de l'Irlande du Nord dans certains de ses films précédents (dont "Hidden Agenda", Prix du Jury en 1990) et n'a pas manqué, à Cannes, de réaffirmer son opposition à l'intervention américano-britannique en Irak. "Peut-être, si nous disons la vérité sur le passé, peut-être pourrons-nous dire la vérité sur le présent", a-t-il affirmé en recevant son prix dimanche soir. Vétéran du Festival (c'était sa 13e présence à Cannes, dont huit en compétition), il a fait démentir par le jury le Délégué artistique Thierry Frémaux qui avait présenté ce 59e Festival comme celui du "renouvellement". Un autre habitué de la Croisette, Pedro Almodovar, est également présent au palmarès avec "Volver", et le Français Bruno Dumont a obtenu pour "Flandres" le Grand Prix qu'il avait déjà eu, dans le même genre -aride, difficile, violent et cru, joué par des comédiens amateurs- pour "L'humanité" en 1999. Le palmarès de ce 59e Festival aura donc été, comme souvent, un exercice d'équilibre entre films d'auteur un peu hermétiques et films grand public chouchous des festivaliers. Dans la première catégorie, "Le vent se lève" (qui sort le 8 novembre dans les salles françaises) sera jugé moins rébarbatif -quoique long, didactique et peu spectaculaire- que "Flandres" ou "Red Road", premier film de la réalisatrice britannique Andrea Arnold et Prix du Jury. Dans la seconde catégorie, le jury n'a pas manqué de récompenser trois des chouchous de la Croisette, qui faisaient partie de la liste -toujours dangereuse, souvent démentie- des favoris: un Prix de la mise en scène bien mérité pour "Babel" du Mexicain Alejandro Gonzalez Inarritu; un Prix d'interprétation collectif aux acteurs d"'Indigènes", le film du Franco-Algérien Rachid Bouchareb champion de l'applaudimètre de ces 12 jours de Festival; et deux récompenses pour "Volver", un Prix d'interprétation féminine collectif et un Prix du scénario qui a laissé Almodovar sur sa faim. Comme tout palmarès, il y a quelques oubliés: "Le Labyrinthe de Pan" du Mexicain Guillermo Del Toro, qui a beaucoup plu le dernier jour, et "Marie-Antoinette" de l'Américaine Sofia Coppola, annoncé comme l'événement, sont repartis bredouilles. Tout comme le beau mais hermétique film turc "Les climats", de Nuri Bilge Ceylan. S'il a récompensé -fait unique dans les annales- 11 acteurs et actrices, le jury ne s'est même pas permis le luxe de distinguer un film supplémentaire par un prix ex-aequo. Signe d'une certaine cohérence dans le jugement, ce Festival 2006 -présenté comme un festival "de transition" avant le grand cru espéré pour la 60e édition l'an prochain- ayant finalement présenté une sélection de relativement bonne qualité malgré la rareté de réalisateurs de renom. AP Sur le Net: www.festival-cannes.fr