En concluant un accord technique et commercial inattendu avec l'éditeur Novell, Microsoft fait un virage stratégique à 180 degrés. Il s'incline devant la volonté de ses clients d'utiliser aussi le système d'exploitation libre Linux et permettra à la version commercialisée par Novell (Suse) de fonctionner harmonieusement avec son propre système Windows. Les deux sociétés vont créer un centre de recherche commun. Cette alliance dévoilée jeudi 2 novembre à San Francisco par le PDG de Microsoft, Steve Ballmer, et celui de Novell, Ron Hovsepian, durera au moins jusqu'en 2012. Jusqu'ici, la firme fondée par Bill Gates combattait avec acharnement depuis des années Linux sans réussir à l'empêcher de s'adjuger, grâce à sa fiabilité et sa flexibilité, une part importante du marché des serveurs informatiques. De nombreuses entreprises souhaitent depuis longtemps pouvoir utiliser à la fois cette technologie et celle du numéro un mondial des logiciels. Elles pourront bientôt le faire aisément en faisant fonctionner dans des environnements virtuels Suse Linux Enterprise Server sous Windows Longhorn ou vice-versa. Aucune des deux entreprises ne commercialisera le produit de son partenaire. "Cet accord va réellement contribuer à réduire la division entre les logiciels libres et ceux dont le code est une propriété intellectuelle. Je reconnais volontiers que Linux joue un rôle important dans le mélange de technologies que nos consommateurs utilisent", a déclaré M. Ballmer. Il a ajouté que Microsoft entendait toujours promouvoir Windows contre Linux, assurant la compatibilité avec Suse seulement si ses clients la demandent. "Cet accord apporte à la fois l'interopérabilité et la tranquillité d'esprit aux consommateurs", résume M. Hovsepian. PAS UN AVEU DE FAIBLESSE Pour les analystes, la décision de Microsoft ne doit pas être interprétée comme un aveu de faiblesse pour un groupe qui peine à s'imposer sur Internet face à Google, dans la musique face à Apple, et se trouve même menacé dans son bastion des logiciels bureautiques par une alliance Google, Sun, Oracle. L'accord avec Novell devrait beaucoup bénéficier aux logiciels pour serveurs de Microsoft en assurant aux entreprises qu'elles peuvent investir sans risques à la fois dans Linux et Windows. Ces deux systèmes n'ont cessé de prendre des parts de marché, pas vraiment l'un à l'autre, mais surtout au détriment des mini - et même des grands - systèmes utilisant Unix. Les ventes de programmes pour serveurs par Microsoft représentent aujourd'hui 10 milliards de dollars (7,9 milliards d'euros) par an et leur croissance était de 17 % au dernier trimestre. En revanche, certains partisans de Linux s'inquiètent des conséquences de l'accord. Microsoft s'est engagé à ne pas poursuivre pour atteinte à la propriété intellectuelle les développeurs et utilisateurs de Suse Linux, mais se réserve le droit de le faire pour les autres versions du système d'exploitation libre. "C'est très dangereux", estime Bruce Perens, expert et promoteur de Linux. "Il y a une menace implicite : vous achetez les licences Microsoft Novell ou vous risquez de vous retrouver devant un juge." Le premier bénéficiaire de l'accord est clairement Novell. Il y a plus d'une décennie, l'éditeur avait tenté de se poser en rival de la firme fondée par Bill Gates, notamment en achetant les logiciels bureautiques Borland et WordPerfect et en les mariant à son propre système d'exploitation. La stratégie avait totalement échoué. L'alliance avec son vieil ennemi va donner à Novell un avantage considérable sur son concurrent Red Hat, le premier distributeur de Linux. "Novell vient de faire un bond considérable en matière de crédibilité", souligne Stephen O'Grady, analyste de RedMonk. Matthew Szulik, le directeur général de Red Hat, a immédiatement réagi : "Linux est maintenant un composant essentiel de l'infrastructure de la technologie de l'information", a-t-il déclaré, qualifiant aussi Novell de "société fragilisée et vulnérable". Egalement affaibli par la nouvelle stratégie de distribution d'Oracle, numéro deux mondial des logiciels, Red Hat a perdu près de 15 % à Wall Street depuis dix jours. Dans le même temps, le titre Novell a gagné plus de 14 %. Eric Leser