Directeur adjoint du Monde diplomatique et spécialiste du Proche-Orient, Alain Gresh a suivi de près les révolutions arabes. Il a notamment critiqué les «éditocrates», ces éditorialistes français qui recommencent à brandir le spectre de l'islamisme. Le printemps arabe a-t-il poussé les médias à nuancer leurs propos en ce qui concerne "l'islamisme et les islamistes ? Les révolutions arabes ont créé un intérêt car il y a eu une espèce d'illusion. Comme il n'y avait, au départ, pas d'islamistes aux révolutions Il n'y avait, pour les journalistes, plus d'islamistes du tout. Aujourd'hui, le réveil est un peu brutal car les résultats des élections qui ont eu lieu en Tunisie, en Egypte et au Maroc montrent que ce n'est pas vrai! Néanmoins, il y a certainement un effort fait, dans la presse écrite surtout, pour donner une image plus balancée de ce qu'est Ennahda, par exemple. Mais la presse écrite n'a que peu d'influence par rapport à la télé et la radio qui forment le courant dominant. Il pose les islamistes comme principal danger et va jusqu'à créer une sorte de guerre de civilisation. France Inter, par exemple, une radio publique, est un bastion de l'islamophobie et sa couverture de sujets liés à l'islam relève, pour moi, de la pire propagande. Comment ce courant islamophobe a-t-il pu devenir dominant ? Le racisme anti-arabes a été remplacé par une dénonciation de l'islam qui était d'autant plus facile à mettre en œuvre qu'une partie de la gauche y participait. Dès lors, on ne pouvait la qualifier de raciste. Cette islamophobie a connu des hauts et des bas dans le cadre de la crise économique et sociale en France. Ce sera un thème important de la campagne électorale. Le Sénat qui vient de basculer à gauche illustre le fait que les différences partisanes s'estompent. Parmi les premiers textes discutés, il y a une loi qui doit interdire aux accompagnatrices ou éducatrices dans des structures privées de porter le voile ; un texte proposé par la Gauche. C'est étonnant, cela montre ses priorités. Le vocabulaire utilisé influence beaucoup le contenu du discours, notamment «islamiste». Comment l'utilisez-vous ? En effet, il est très important et on est piégé par ce vocabulaire. Voltaire utilisait le mot «islamisme» en parallèle à «islam». C'est la science politique française qui a créé le terme «islamiste», car on aime les choses qui globalisent. Les politiques ont repris ce terme surtout après la chute du mur de Berlin en 1989. Il fallait trouver un autre ennemi pour justifier les budgets de la défense. Aujourd'hui, on met sous la dénomination «islamiste» des choses très différentes comme Hezbollah, Al Qaïda, les Frères Musulmans etc. On sait plus quel vocabulaire utiliser, c'est compliqué et cela facilite les amalgames. La seule manière de lutter contre ces amalgames est de montrer concrètement la diversité qui se cache derrière le mot «islamistes». C'est pour cela que je n'utilise le mot qu'au pluriel. Quelles conséquences a eu l'emploi à outrance du mot islamisme ? Aujourd'hui, une peur se déclenche chez les gens quand on parle de l'islam. Cette hostilité n'est pas seulement liée à la situation extérieure mais aussi à la situation européenne. Les musulmans ont pris la place des juifs des années 30 dans les fantasmes occidentaux. Preuve en est l'évolution de forme de l'extrémisme de droite en Europe vers une position pro-israélienne et anti-musulmane partout en Europe. Un des derniers partis à ne pas avoir fait cette évolution c'est le Front National, mais les efforts de Marine Le Pen vont dans ce sens. Elle veut à tout prix établir des relations avec Israël.