Alors que dix gouvernements de pays européens cohabitent avec l'extrême droite, quand elle n'est pas carrément seule aux manettes, l'ultradroite semble prendre de plus en plus ses aises dans le paysage politique européen, nostalgique d'une Europe «blanche». Peut-on encore reléguer la montée des groupuscules de l'ultradroite en Europe à une simple émergence, quand les gouvernements de l'Autriche, la Bulgarie, la Finlande, la Grèce, l'Italie et la Slovaquie cohabitent avec un parti d'extrême droite ? Et qu'il faille ajouter à ces six pays de l'Union européenne, deux pays hors UE : la Norvège et la Suisse. Et qu'il faille, enfin, évoquer les cas particuliers de la Pologne et de la Hongrie, où deux partis conservateurs nationalistes sont au pouvoir. Hier soir, le groupe de télévision belge VRT a diffusé un reportage sur l'organisation flamande «Schild and Vrienden», une sorte de jeunesse nationaliste des temps modernes qui conjugue racisme, sexisme et antisémitisme sans complexe aucun. Le mouvement prétend défendre l'identité flamande et les valeurs familiales traditionnelles. Il va sans dire également que l'immigration fait partie de ses leitmotivs. Le fil Twitter de son fondateur, Dries Van Langenhove, qui se présente notamment comme «politologue», pullule de propos anti-immigration, comme ce tweet dans lequel il se plaint que «l'Europe est chaque jour en proie à la violence des immigrés clandestins» et appelle à les «identifier et à tous les expulser». Ou encore ce dépliant d'un organisme de l'aide sociale qu'il a récemment retweeté, dont il critique la traduction en arabe et en turc et à propos duquel il ironise : «Quiconque veut profiter de notre prospérité construite avec le sang, la sueur et les larmes de dizaines de générations de Flamands n'a même pas besoin d'apprendre notre langue.» OCMW flyer in het Arabisch en Turks. Wie wil profiteren van onze welvaart die werd opgebouwd met het bloed, het zweet en de tranen van tientallen generaties Vlamingen hoeft blijkbaar niet eens onze taal te leren. pic.twitter.com/z2WxknGv2Q — Dries Van Langenhove (@DVanLangenhove) 4 septembre 2018 Des Dries Van Langenhove, il y en a des centaines en Europe, pour ne pas dire des milliers. La version britannique s'incarne en la personne de Tommy Robinson, figure de la droite identitaire, anciennement chef du groupe English Defence League (EDL). En mai dernier, il avait été condamné à 10 mois de prison pour avoir filmé et diffusé des images du tribunal de Leeds lors d'un procès soumis à des restrictions de couverture, concernant des violeurs présumés d'origine indo-pakistanaise. Sa version féminine s'appelle Jayda Fransen, codirigeante du Britain First, un parti d'extrême droite, nationaliste, chrétien et anti-islam. En novembre 2017, le président américain Donald Trump lui avait offert une visibilité inespérée au-delà des frontières britanniques, en retweetant trois vidéos antimusulmans qu'elle avait mises en ligne. Le facteur culturel, un enjeu devenu politique Qu'elle s'appelle Pegida (Allemagne), Civitas (France), Ligue du Nord (Italie), Parti pour la liberté (Pays-Bas) ou encore British National Party (Royaume-Uni), l'extrême droite, voire l'ultradroite, revêt diverses facettes, même si toutes convergent dans la même direction. «Ses leaders se sont émancipés en apparence du legs encombrant du fascisme ou du national-socialisme, pour mieux intégrer le jeu démocratique régulier, jusqu'à obtenir dans certains cas le statut de partenaire de coalition pour les conservateurs, libéraux ou chrétiens-démocrates», analyse Gilles Ivaldi, chercheur en sociologie au Centre national pour la recherche scientifique (CNRS), dans une étude intitulée «Euroscepticisme, populisme, droites radicales : état des forces et enjeux européens. L'Europe en formation». «En politisant de nouveaux enjeux culturels, ces partis ont progressivement structuré une offre idéologique nationaliste ethnocentriste, se posant en remparts contre les ''dangers'' représentés par l'immigration, les minorités ou, désormais, l'islam», souligne ce spécialiste des partis d'extrême droite et du phénomène populiste en Europe. Et d'ajouter : «Ici, l'euroscepticisme prend à l'évidence racine dans ce discours nationaliste, mais ne constitue cependant qu'une facette seulement d'un corpus idéologique plus large. Leur modèle de société demeure dans la plupart des cas empreint d'autoritarisme et de conservatisme social, qui positionnent ces partis à l'extrémité droite de l'axe politique sur les questions relatives à la sécurité, aux mœurs et plus généralement aux libertés individuelles.» «L'installation durable de cette famille politique dans l'espace européen n'est pas totalement étrangère au durcissement des politiques d'immigration ou d'asile en France, en Italie, en Autriche ou aux Pays-Bas, de même qu'elle a très largement contribué à politiser les questions relatives à l'Islam dans ces mêmes pays depuis plusieurs années.» Gilles Ivaldi Enfin, même au sein des cercles catholiques, autrefois réfractaires aux idées de l'extrême droite, un phénomène nouveau s'est démarqué ces dernières années : «On a aujourd'hui des catholiques qui votent pour des partis extrémistes, islamophobes, ce qui n'était pas le cas avant», nous expliquait le prêtre lyonnais Christian Delorme, figure de proue du dialogue entre musulmans et chrétiens en France. Alors qu'il y a une vingtaine d'années, l'immense majorité des catholiques pratiquants rejetaient le vote Front national, «les dernières élections présidentielles et législatives ont montré en revanche que 20 à 25% d'entre eux sont désormais sensibles aux idées des formations d'extrême droite».