Comme partout, le problème des soignants est devenu récurrent, les départs à la retraite ne sont pas remplacés et la charge de travail est soutenue. Berceau de la résistance, cette ville du Moyen Atlas a longtemps été délaissée. Elle l'est encore dans une certaine mesure parce qu'elle reste, avec Azilal, l'une des villes les plus pauvres de la région. Routes d'accès encore délicates, absence de ligne de chemin de fer et d'autoroutes, et par conséquent absence d'investissements et d'occasions créatrices d'emplois. Ceci n'empêche pas le visiteur de tomber sous le charme de cette petite ville et de constater les chantiers d'embellissement entrepris. Et parmi les réalisations, l'hôpital public flambant neuf qui a été construit à l'entrée de la ville en venant de Meknès. Grand, spacieux, éclairé et répondant aux nouvelles normes. Bien évidemment, on y trouvera des choses à dire ou à critiquer, mais pour avancer, il faut essayer de regarder le verre à moitié plein et pas à moitié vide. Justement, la moitié restante devrait être remplie par les soignants qui y sont affectés et y travaillent. Comme partout, le problème des soignants est devenu récurrent, les départs à la retraite ne sont pas remplacés et la charge de travail est soutenue. À la buvette, j'ai été interpelé par une jeune médecin qui m'a reconnu, me disant qu'elle était affectée aux urgences depuis un an. Quand je me suis enquis de ses conditions de travail, elle est devenue blême : «Je croyais que j'allais travailler en équipe, mais je me suis retrouvée seule à voir plus de 120 malades en journée et des nuits souvent blanches, je travaille en mode de 12/36 !» Un roulement nécessaire C'est bien le cas dans la plupart des urgences, où le travail de deux voire trois praticiens est effectué par un, tandis qu'on trouve dans certains centres de santé des affectations aberrantes de quatre voire cinq médecins pour un travail de consultations non urgentes effectuées par deux voire même un médecin. Ce déséquilibre crée de la démotivation chez les uns et de la fainéantise chez les autres. Une gestion des ressources humaines par des professionnels du rendement et la qualité de l'environnement du travail est plus qu'urgente dans le domaine de la santé publique. D'autres médecins ont choisi un système de roulement, parce que leurs familles sont déjà établies dans les grandes villes. Ce roulement permet au spécialiste de concentrer ses heures de travail et d'astreinte pour se libérer ensuite et s'occuper de sa famille. Je trouve ceci faisable et nécessaire pour que ce médecin puisse travailler avec entrain et donner le meilleur de lui-même pendant son temps de présence sur place. Parfois, les arrangements dépassent l'entendement, quand sur une équipe de cinq personnes, il y a une présence physique une semaine et une disparition des écrans radar pendant quatre, cela devient ahurissant, d'autant plus que le service en question requiert des efforts importants, aussi bien physiques qu'intellectuels, de jour comme de nuit. Ceci est dangereux pour la santé des patientes et également des praticiennes. Sans parler du fait que la présence d'un seul médecin dans un service très actif ne lui laissera le temps que de s'occuper des urgences, bâclant ainsi les consultations et ne s'occupant qu'occasionnellement des opérations non urgentes. A l'hôpital de Khénifra, j'ai rencontré également deux jeunes infirmiers qui y travaillent bénévolement depuis un an. Et comble de la surprise, c'est grâce à ces deux infirmiers, Yacine et Maryam, que j'ai pu opérer le vendredi, un jour de grève des infirmiers en poste, et un samedi, un jour de no man's land. Je leur témoigne ici toute ma gratitude et certainement celle sous-jacente des femmes qui ont été opérées. Un mal pas urgent, mais handicapant Les patientes – la raison d'être de mon engagement et mon déplacement dans le Moyen Atlas – souffraient toutes de descente d'organes secondaires à l'enfantement. Parce qu'elles ont eu beaucoup d'enfants ou ont accouché dans de mauvaises conditions, pour que cette société vive et que cette nation continue, elles souffraient en silence depuis plusieurs années. Des douleurs, des incontinences et problèmes sexuels. Ces interventions nécessitent du temps, un apprentissage et une volonté de rendre service. Certes, leur mal n'est pas urgent et n'est pas vital non plus, mais il est handicapant. Quand une grand-mère ne peut plus faire la prière à cause des fuites d'urine, qu'une autre ne sort plus ou met des couches, même jeune, et qu'une troisième ne peut plus avoir de rapports sexuels à cause de la douleur occasionnée, pouvant provoquer des troubles sociaux voire une séparation. Ainsi, Fatima, la cinquantaine, me répond avec désinvolture, en montant sur la table d'examen, quand je lui pose des questions dans ce sens : «Ah ! Docteur, le mari est parti depuis longtemps, maintenant je pense seulement à guérir !» L'expérience de Khénifra m'a rempli de plaisir, puisqu'au troisième jour mes collègues, Fouad le gynécologue et Samir l'urologue, ont pu eux-mêmes opérer avec mon assistance. Et je suis certain qu'ils vont continuer à reproduire les techniques que je leur ai enseignées. Ainsi, tout le monde sera gagnant. Les chirurgiens progressent et les femmes trouveront réponse à leurs problèmes sans se déplacer dans les grandes villes, ni mendier pour que ce droit leur soit octroyé.