Dans leur documentaire, «Les Français, c'est les autres», qui sera diffusé ce soir sur France 2, le cinéaste franco-marocain Mohamed Ulad et l'avocate Isabelle Wekstein-Steig ont donné la parole à des jeunes lycéens de la banlieue parisienne pour qu'ils s'expriment sur des questions identitaires. Et malgré l'«immaturité» de leurs façons de voir les choses, ils expliquent tous un rejet de la citoyenneté française et des valeurs de la République. L'heure tardive de diffusion du documentaire témoigne de la gêne que le sujet pourrait soulever en prime-time. La chaîne de télévision publique France 2 diffuse ce soir à 23h30, «Les Français, c'est les autres», un documentaire de l'avocate Isabelle Wekstein-Steig et du cinéaste franco-marocain Mohamed Ulad sur les opinions des lycéens issus de l'immigration sur les questions identitaires en France. Le documentaire donne la parole aux élèves du lycée de Noisy-le-Sec situé en Seine Saint-Denis dans la région parisienne. L'établissement compte dans ses effectifs, 900 élèves français dont beaucoup issus de l'immigration. Une incapacité à se sentir français Dans une classe de ce lycée de banlieue, le cinéaste et l'avocate ont posé la question de savoir «qui est français ?». Tout le monde a levé la main. Mais à la question «qui se sent français ?», une seule main, timide, se lève, celle d'une jeune fille noire. Elle explique que dans sa tête, elle se sent blanche. «Est-ce qu'il faut être blanc pour être français ?». «Oui c'est ça !», répond-t-elle. Un autre de ses camarades résume : «Je sens en moi que je ne suis pas entièrement français». Il explique qu'il se sent noir. La discussion de classe qui s'en suit est pour le moins étonnante. Pour cette classe, la France compte deux catégories de citoyens: «les vrais blancs, les Français» et les «autres qui ont la nationalité française mais qui ne sont pas français». «En réaction à cette impression d'être rejetés, ils rejettent à leur tour le sentiment d'appartenance à la France. Mais – et c'est inquiétant pour leur identité –, ils n'ont pas non plus l'impression d'appartenir au pays de leurs parents. Ils en arrivent à former une sorte de nouvelle catégorie d'"apatrides" munis d'une carte d'identité sans aucune signification», analyse pour sa part Mohamed Ulad dans un entretien avec Le Nouvel Observateur. Une dépréciation de soi issue de préjugés racistes Au sentiment d'être rejeté par la France, s'ajoute l'intégration de préjugés que les lycéens reprennent à leur compte pour s'interpeller entre eux-mêmes. Pour se moquer d'eux même, les lycéens se désignent par des vocables et des noms à connotation raciste comme «singes», «bougnoules»... Mais ces interpellations par des stéréotypes racistes n'en constituent pas moins un humour cruel sinon dévalorisant pour eux. «Ils en sont arrivés à intégrer les préjugés dont ils sont victimes. Et cela facilite le repli sur soi, la régression communautariste. Cela peut être très dangereux», explique Isabelle Wikstein-Steig. «Au départ, ils nous disent qu'ils parlent comme cela, au second degré, pour rigoler. Mais quand on insiste un peu, ils reconnaissent que ce n'est pas agréable d'être traité ainsi, même entre copains», complète Mohamed Ulad. Ce dernier explique que c'est un mécanisme classique de la victime qui reproduit les discours de son bourreau qu'elle s'est appropriée. Des jeunes qui rejettent les valeurs et des enseignants qui se disent impuissants Selon les documentaristes, le film qui se voulait au départ sur les préjugés a dû se pencher sur les problématiques identitaires. Et sur les questions religieuses, les partis pris s'opposent aux valeurs républicaines. «Nous avons pu tourner dans une classe une semaine après les attentats de janvier 2015. Là, on a entendu une France qui n'est pas du tout Charlie», concède l'avocate Isabelle Wekstein-Steig. «Une des élèves a même eu une crise de larmes en parlant non pas des morts mais des caricatures. Elle était très sincèrement blessée que le sentiment religieux n'ait pas été respecté. "La majorité des Français sont religieux", disait-elle. C'est évidemment faux. Mais cette jeune fille exprime la représentation erronée qu'elle se fait du pays où elle vit», raconte-t-elle. «La laïcité, la République sont des notions qu'ils n'ont pas intégrées, alors même qu'ils sont en classe de terminale dans un lycée public !», conclut Mohamed Ulad. L'espoir est cependant permis Les documentaristes ne brossent pas cependant un tableau entièrement sombre avec l'opinion de ces jeunes. Isabelle Wekstein-Steig assure qu'«il y a heureusement de l'espoir grâce aux enseignants. Certains, même s'ils n'ont pas l'impression d'être soutenus par l'Education nationale, font un travail fantastique. Le film montre comment certains de ces élèves s'approprient peu à peu la citoyenneté, par exemple lorsque les enseignants organisent des voyages pour les faire réfléchir sur l'antisémitisme ou lorsqu'ils les interrogent sur la laïcité». «Je ne dirais pas que c'est trop tard, parce qu'il n'est jamais trop tard mais il faut un plan Marshall. Il faut que les politiques prennent leurs responsabilités pour qu'ils se rendent compte du chantier énorme», conclut Mohamed Ulad.