El Houssaine Louardi est un bon ministre néolibéral. Il a réussi là où plusieurs de ses prédécesseurs ont échoué. De part sa connaissance du secteur de la santé et sa capacité à faire joueur les divisions entre les acteurs du système sanitaire marocain, il est en train de faire passer des réformes douloureuses pour approfondir la privatisation de la santé. Ironie du sort, l'acteur qui craignait le moins, ses étudiants en médecine, ont désormais mis à nu la libéralisation effrénée de ce secteur. La recette ultralibérale de l'actuel gouvernement prend plusieurs formes. Un point commun : elle généralise la crise profonde du système de santé. 1. PPP : la gestion déléguée de la santé Le Partenariat Public Privé (PPP), est un des piliers de la réforme actuelle. Les PPP sont le synonyme du désengagement supplémentaire de l'Etat de ce secteur. Le ministère «achète» des «services» de chez des prestataires privés. 6,5 milliards de DH ont été dépensés depuis trois ans pour des séances de dialyse et la location de 3 hélicoptères. Prochaine étape, la reconstruction, la conception, l'exploitation et la maintenance des hôpitaux sera entre les mains du secteur privé. Une expérience pilote est en cours à l'hopital Moulay Youssef à Rabat. 2. Sous-traitance : Le service public à rabais Depuis les années 90, la sous-traitance bat son plein dans le secteur. Malgré un bilan plus que négatif de la privatisation des fonctions de la sécurité, de la restauration et du nettoyage, le ministère de la santé continue de privatiser d'autres fonctions au sein des hôpitaux publics : le brancardage et le traitement des déchets médicaux. Face aux très faibles investissements dans les hôpitaux publics, ces méthodes devront se multiplier. Comme c'est le cas de la sous-traitance du transport médicalisé au privé à El Jadida et Ben Guerir. 3. Ouverture des capitaux des cliniques : une financiarisation de la santé La loi 13-131 relative à l'exercice de la médecine a ouvert la voie à la libéralisation des capitaux des cliniques. Ce projet n'est pas qu'une simple privatisation, c'est une opération de financiarisation du système de santé. Cette réforme ouvrira la voie aux fonds d'investissements détenus par les assureurs, les laboratoires pharmaceutiques ou des multinationales de la santé. À contrario avec les promesses de Louardi, les investisseurs en santé n'ont pas choisi Zagora ou Figuig pour investir mais le centre-ville de Casablanca. 4. RH : Vers des statuts précaires L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) situe le Maroc parmi les 57 pays du monde souffrant d'une pénurie aigue en personnel soignant. Le Ministère se trouve dans la difficulté de couvrir l'ensemble des besoins du réseau hospitalier. Cette situation est la conséquence de l'austérité budgétaire en vigueur depuis 1980. Les réponses du gouvernement ont été un cuisant échec, notamment la formation des 3300 médecins/an. Cette tension sur les RH s'accentue depuis 2012 avec le départ de 6730 fonctionnaires du ministère de la Santé, dont des médecins et des infirmiers, avec une moyenne annuelle de 1000 professionnels de santé. C'est énorme ! Pendant ce temps, les postes budgétaires alloués au secteur ne dépasse pas sur cette période une moyenne de 2000 postes/an, soit en deçà des objectifs du ministère lui-même tels qu'annoncés dans sa stratégie sectorielle 2012-2016 : Année budgétaire Les projections du ministère (médecins et infirmiers) Postes budgétaires obtenus (tous métiers) 2012 4300 2000 2013 4700 2300 2014 4900 2000 2015 4900 2000 2016 5000 2000 Total 23800 10300 Source : Stratégie sectorielle, Lois de finances Les pressions continuent du FMI pour réduire la masse salariale font que le gouvernement n'ose plus allouer aux secteurs sociaux qu'un minimum de postes budgétaires. Face à cette pénurie, le ministère de la Santé a choisi de recourir à des techniques comme le service médical obligatoire, ce statut précaire fragilisera la fonction publique qui se prépare à l'introduction des CDD dans ce secteur. Le ministère veut profiter de la régionalisation pour recourir à la déconcentration de la Gestion des Ressources Humaines par le biais de l'établissement de la liste des actes RH à déconcentrer et la création des Conseils de Santé Régionaux. CONCLUSION Les syndicats du secteur public et privé ont échoué à s'opposer au ministre de la Santé, car ils sont embourbés dans leurs compromissions et contradictions. La lutte des jeunes étudiants en médecine depuis deux mois est une leçon à saisir par les pouvoirs publics comme par ces syndicats. Les choix opérés depuis trente ans en matière de santé ont échoué. Les mesures prises depuis quatre ans pour assurer en douceur le retrait de l'Etat du secteur ont montré leurs limites. Pour rompre avec cette spirale, il faut mettre fin à l'illusion que le secteur privé peut résoudre les problèmes de santé dans nos pays. Il faut changer de politique ! Nous devons insister sur la responsabilité de l'Etat dans le secteur de la santé et, ce n'est pas le secteur privé qui va régler nos problèmes dans les secteurs sociaux. Des services de santé publics gratuits, universels et équitables doivent jouer leur rôle pour mettre fin aux inégalités dans l'ensemble du pays. Visiter le site de l'auteur: http://www.attacmaroc.org