Au Maroc, 1,5 million de jeunes âgés de 15 à 24 ans ne sont ni à l'école ou l'université, ni en stage, ni en situation d'emploi. Dans un récent avis, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a mis en garde sur la marginalisation de ces profils, appelés NEET, qui accentue l'exclusion, favorise la délinquance et l'extrémisme. L'acronyme des NEET (not in education, employment or training) désigne les jeunes de 15 à 24 ans qui ne sont ni étudiants, ni stagiaires de la formation professionnelle, et qui se trouvent en situation de chômage ou d'inactivité. Au Maroc, l'exclusion de ces profils menace la cohésion sociale en accentuant la pauvreté, les vulnérabilités, ainsi que les inégalités sociales et territoriale. Dans le cadre d'une auto-saisine, un avis rendu public récemment par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) analyse cette problématique. 1,5 million de la population nationale est concernée, dont 72,8% de femmes. Intitulé «Les jeunes NEET : quelles perspectives d'inclusion socio-économique», cet avis alerte que la situation de ces jeunes induit des phénomènes «de découragement, de troubles psychologiques, et constitue un terreau propice au développement de la délinquance et de l'extrémisme». De plus, le nombre élevé des concernés dénote de «l'insuffisance des stratégies et politiques publiques d'intégration socio-économique de cette catégorie vulnérable», souligne le CESE. Pourtant, «les jeunes occupent une place significative au sein de la structure démographique de la population marocaine», avec 16%, soit près de 6,1 millions de recensés en 2014. Selon les estimations du Haut-Commissariat au plan (HCP) citées par le CESE, ils seraient 6,3 millions d'ici 2030. Ainsi, le conseil souligne que «le Maroc semble sous-exploiter son potentiel, comme en témoignent les indicateurs du marché du travail qui révèlent une situation préoccupante». Très peu d'activité chez les 15-24 ans En chiffres, «le taux d'activité des jeunes âgés entre 15 et 24 ans ne dépasse pas les 23,5%». Chez les femmes, il baisse à 11,4% et chez les diplômés supérieurs, il est de 19,8%. Le CESE analyse que «cette faible participation au marché du travail s'accompagne d'un taux d'emploi limité à 16,2% et d'un taux de chômage élevé de 31,2%» au niveau national. En dix ans, le taux de jeunes NEET est pourtant passé de 29% à 25,2%, soit une baisse de 4%. «Bien que ce taux s'avère en deçà de la moyenne des pays à revenu intermédiaire, tranche inférieure (28%), il demeure plus élevé que la moyenne des pays à revenu intermédiaire tranche supérieure (19,6%) et de celle des pays de l'OCDE (14,8%)», ajoute la même source. Dans ce contexte, le document indique que «l'économie nationale peine à générer suffisamment d'emploi pour absorber les 300 000 nouveaux jeunes qui arrivent annuellement sur le marché du travail». Cet accès difficile à l'emploi signifie que «le modèle de croissance qui a prévalu jusqu'à aujourd'hui n'est manifestement pas suffisamment inclusif», encore plus dans le monde rural. Aussi, le sous-emploi «se traduit par des déficits d'emploi annuels significatifs et une persistance du chômage des jeunes à des niveaux élevés, alimentant par la même occasion le stock des NEET dans notre pays». «Ces déficits deviennent de plus en plus difficiles à résorber, eu égard à la faiblesse des taux de croissance économique enregistrés au cours des dernières années. Parallèlement, la fragilité d'une part prépondérante du tissu entrepreneurial menace la viabilité de nombreuses TPE, micro-entreprises et auto-entreprises et, par la même, les emplois qui y sont liés.» CESE Les raisons de l'exclusion Selon le CESE, les jeunes marocains se retrouvent souvent dans la catégorie des NEET à cause de trois types de ruptures : le décrochage scolaire entre le primaire et le collégial, la transition difficile du système éducatif vers l'emploi, ainsi que l'inadéquation de la formation avec les besoins du marché du travail. En référence aux études et aux statiques disponibles en la matière, le CESE souligne que ce type de décrochage concerne «plus de 331 000 élèves» pour diverses raisons, dont l'échec scolaire, l'accès difficile aux établissements dans le milieu rural, ou encore le déficit d'offre de formation professionnelle. «Ces facteurs peuvent s'ajouter aux contraintes sociales, culturelles et familiales», au mariage des petites filles, au travail des enfants ou encore aux situations de handicap. Malgré cette évolution quantitative, dont le taux de scolarisation des enfants (100% en 2022-2023 pour le primaire et le collégial et 76,9% pour le secondaire qualifiant), la dimension qualitative manque. En effet, «les résultats des politiques publiques dans ce domaine demeurent bien en deçà des ambitions». Selon les indicateurs d'évaluation de l'apprentissage, «seuls 30% des élèves du public maîtrisent le programme à la fin du primaire et à peine 10% maitrisent celui du collège», rappelle le CESE. Ce constat explique des facteurs de persistance des NEET, notamment les «redoublements récurrents, ou par effet négatif décalé sur l'employabilité de ces jeunes ultérieurement (manque de qualification ou inadéquation formation-emploi)». Par ailleurs, le passage du système éducatif vers la vie professionnelle «est vécu de manière plus que contraignante, voire décourageante par les primo-demandeurs d'emploi, qui constituent près de 6 chômeurs sur 10», ajoute le Conseil. Aussi, La formation inadéquate avec les besoins du marché du travail et «l'efficacité limitée des services d'intermédiation pour l'emploi» expliquent cette situation. D'autres facteurs restent liés à «la discrimination de genre et au poids des tâches domestiques pour les femmes, qui représentent la plus forte proportion des NEET (72,8%)». «Près de 6 chômeurs sur 10 sont des primo-demandeurs d'emploi, une part qui va au-delà de 92% lorsque sont considérés spécifiquement les jeunes de 15 à 34 ans, témoignant ainsi de la sévérité du problème d'accès de cette catégorie au premier emploi. Cet accès devient de plus en plus difficile au fur et à mesure que la durée de chômage augmente, sachant que 72,7% des jeunes chômeurs sont des «chômeurs de longue durée» (supérieure à 1 an).» CESE La troisième rupture survient entre deux emplois, après une perte d'emploi, ou encore un arrêt volontaire pour chercher d'autres opportunités. «En plus de causes transverses telles que les aléas de la conjoncture et la fragilité du tissu entrepreneurial, la rupture de la carrière professionnelle des jeunes peut être attribuable également à des conditions de travail non-décentes, combinées à des niveaux de rémunération inadéquats avec leurs profils et leurs compétences», explique l'avis. Des pistes de solutions Le CESE note que le Maroc n'a jamais disposé d'une «politique publique dédiée exclusivement à la problématique des NEET». Pour autant, «l'insertion socio-économique des jeunes a gagné en importance en tant que préoccupation majeure des pouvoirs publics au cours des deux dernières décennies et ce, parallèlement aux actions entreprises par le secteur associatif local». Bien que ces efforts aient permis une baisse du taux des NEET en dix ans, cette tendance lente (-4%) traduit les limites de l'approche entreprise à cet effet. Ainsi, le CESE recommande cinq axes de solutions. Il préconise notamment de renforcer les «capacités de repérage et de suivi des jeunes NEET», à travers la mise en place d'un «système d'information élargi» pour repérer ces profils et assurer leur suivi, avec «des données croisées de sources multiples (RSU, statistiques relevant des secteurs impliqués, etc.)». Le Conseil recommande aussi des «mesures préventives pour éviter que de nouvelles catégories de jeunes ne se retrouvent en situation de NEET», en garantissant le caractère effectif de l'obligation de scolarisation jusqu'à 16 ans, avec des «mesures de rétention et de réinsertion» impliquant de manière plus poussée les parents «et des parties prenantes concernées au niveau local». Contre le décrochage scolaire, élément important dans le cheminement des NEET, le Conseil propose de «généraliser les écoles communautaires en milieu rural, tout en veillant à renforcer leurs équipements et à étendre la couverture des services de transport scolaire». Il est aussi question de «renforcer l'offre publique de formation professionnelle en milieu rural, en adaptant les spécialisations aux besoins de chaque région et de chaque territoire». Par ailleurs, une orientation des jeunes NEET dans un écosystème élargi à cet effet permettra de répondre à leurs besoins spécifiques en les dirigeant vers des options personnalisées, à travers «un réseau dense de points d'accueil et d'écoute». Ce réseau devrait «s'étendre à l'ensemble des collectivités locales», conformément à «une charte unifiée qui préciserait les rôles, les activités et la répartition des responsabilités entre les différents acteurs impliqués», recommande le CESE. De pair avec cette orientation, «l'amélioration de la qualité et de l'efficacité des services et programmes d'insertion des jeunes NEET» devrait porter sur le marché du travail, par un accompagnement également personnalisé pour les NEET. «L'objectif est de faciliter leur réintégration dans le système éducatif ou de formation, de les assister pour trouver des opportunités de stage ou d'emploi et de les accompagner en pré et post création d'entreprise», souligne la même source. Enfin, le CESE préconise la mise en place d'«un cadre de gouvernance caractérisé par une cohérence et une complémentarité optimale entre les divers programmes», renforcés par une coordination efficiente entre les parties prenantes.