Dans son rapport sur la situation des droits humains au Maroc, le Conseil national des droits de l'Homme (CNDH) a soulevé la question de l'effectivité des lois mises en place, notamment en termes de protection des droits fondamentaux. Soulignant l'émergence de préoccupations nouvelles, il a par ailleurs insisté sur l'abolition de la peine de mort et la réforme du Code de la famille. Les plaintes à travers lesquelles le Conseil national des droits de l'Homme (CNDH) est saisi par les citoyens traduisent l'émergence de nouvelles questions qui doivent trouver leurs réponses dans l'effectivité des lois en vigueur. Dans son rapport annuel sur la situation des droits humains au Maroc, publié mercredi, l'institution a évoqué notamment les problématiques liées au monde du travail, au non-respect des droits des travailleurs, ainsi qu'à la relation des citoyens avec le système judiciaire et le recours grandissant au mécanisme non judicaire du CNDH, en vue d'accéder à la justice. Dans ce contexte, l'institution souligne «la nécessité de renforcer la dynamique de réforme en cours», pour une justice plus efficiente et impartiale. Présidente du CNDH, Amina Bouayach a déclaré à ce propos qu'«il n'est pas exagéré de dire que les mutations que connait notre société, ainsi que les efforts continus de tous, accouchent d'une dynamique sociétale précieuse». «Nous sommes dans un contexte de débats publics et prochainement parlementaires, autour de l'amendement de quatre textes législatifs, à savoir le Code pénal, le Code de procédure pénale, le Code de procédure civile et le Code de la famille, qui constituent le socle de gestion des différentes relations au sein de la société. Ils sont d'une importance primordiale pour la consolidation de l'Etat de droit par la refonte de la politique pénale en tant que politique de protection des libertés et des droits et de l'égalité entre les femmes et les hommes», a-t-elle plaidé. Le Code de la famille, les libertés publiques et les droits sociaux en question Dans ce contexte, l'année 2022 a été «particulièrement marquée par un regain d'intérêt pour la question des droits des femmes et des filles», au vu des «chiffres alarmants des cas de violence faite aux femmes, entre autres formes de discrimination à leur égard». Ce constat montre «les limites de l'arsenal juridique destiné à assurer une protection effective» des droits des plus vulnérables, note le rapport. Dans le cadre de la révision du Code de la famille, le CNDH estime ainsi que ce moment gagnerait à être «l'occasion de prendre en considération les déterminants extra-juridiques des droits des femmes et des filles et leur accorder l'importance qui leur échoit dans ce projet de réforme structurant». Ce processus doit s'opérer, selon le CNDH, «conformément aux dispositions constitutionnelles relatives à l'égalité et à la parité et aux conventions internationales» ratifiées par le pays, en plus de l'élaboration d'un «cadre juridique général de lutte contre la discrimination», harmonisé avec les instruments internationaux, «notamment avec la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale». S'agissant de la question des libertés publiques, les défis persistants «appellent à une action publique à même de consolider et élargir l'espace civique et protéger les défenseurs des droits de l'Homme», souligne le CNDH, constatant que «la liberté d'expression continue de subir les effets des mutations progressives de l'espace public marocain du réel au virtuel». L'institution indique avoir enregistré notamment «des cas de poursuite ou de condamnation de citoyen.ne.s pour avoir publié des contenus sur les réseaux sociaux», tandis que le conseil a précédemment recommandé «l'adoption d'une loi sur 'la liberté de circulation de l'information'» pour protéger les nouvelles formes d'exercice de la liberté d'expression dans l'espace public et électronique. Dans un registre connexe, le CNDH recommande la réforme des «dispositions relatives aux associations, en particulier celles relatives aux procédures de création et de renouvellement, de financement et d'utilisation des salles publiques pour l'organisation des activités, de manière à renforcer l'exercice de la liberté d'association et l'action des défenseurs des droits de l'Homme et l'élargissement de l'espace civique, conformément à la Constitution et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques». Il préconise aussi une révision de l'arsenal relatif aux rassemblements publics, «de manière à soumettre la décision du recours à la force au contrôle du ministère public, et renforcer la protection des défenseurs des droits de l'Homme, y compris les journalistes et les professionnels des médias qui couvrent les manifestations pacifiques». Des réponses aux questions relevant de politiques publiques L'année 2022 a été aussi celle de l'émergence de nouveaux défis en termes de protection des droits humains, à commencer par les menaces du stress hydrique et la question de l'accès au droit à l'eau. Disant sa «profonde préoccupation par le recul alarmant de la disponibilité par habitant des ressources en eau», le CNDH souligne ainsi «l'urgence de mettre en place une nouvelle politique hydrique globale et intégrée, qui érigerait la sécurité alimentaire et la protection du droit des générations futures en priorité absolue». L'inflation est par ailleurs un autre défi questionnant les conséquences de la hausse des prix, qui touche essentiellement les denrées alimentaires de base et l'énergie. Dans ce contexte, «l'accès des citoyens à leurs droits économiques et sociaux se trouve désormais mis à rude épreuve», constate l'institution, qui appelle à «relever les défis liés à la mise en place d'un système fiscal plus équitable, et d'en faire un moyen de correction des inégalités». Par ailleurs, l'évolution des plaintes reçues par le CNDH «fait ressortir une forte concentration sur des droits qui font l'objet de plusieurs actions et projets de réforme des politiques publiques, comme le droit à la santé et à l'éducation». «Cet état de fait s'expliquerait, entre autres, par les multiples dysfonctionnements qui pèsent sur la capacité de ces politiques publiques à développer des réponses adaptées aux contextes et aux situations donnant lieu aux doléances objets de ces plaintes», souligne le rapport. A cet effet, le Conseil estime que la conjoncture de crise multidimensionnelle constitue «une opportunité inédite pour opérer un véritable changement de paradigme en matière de méthodologie d'élaboration et de mise en œuvre des politiques publiques dans notre pays», à travers une approche de «reflexive thinking» dans l'évaluation des politiques publiques. «Cette démarche consiste à faire de la réflexion sur les dysfonctionnements et défaillances qui seraient à l'origine de l'échec des politiques publiques dans les domaines de l'enseignement, de la santé, pour ne citer que ces deux exemples, un cadre et de réajustement, de réforme de ces secteurs», analyse le CNDH, qui préconise une mise en œuvre dans l'évaluation des politiques publiques à l'aune de leur capacité à apporter des solutions efficaces et adaptées. Cette évaluation doit se décliner aussi en «un processus itératif, par lequel une expérience est identifiée et valorisée, ce qui permet d'en tirer les enseignements et dégager d'éventuelles bonnes pratiques». L'approche permet aussi un retour sur les expériences, pour «mieux saisir les réalités du terrain sur lesquelles les politiques publiques sont appelées à agir». L'abolition de la peine de mort et la ratification des protocoles facultatifs Faisant de l'abolition de la peine de mort son historique cheval de bataille, le CNDH a réitéré cette recommandation, dans son rapport annuel qui appelle à «voter en faveur de la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies relative au moratoire universel sur l'application de la peine de mort», ainsi que l'adhésion au «deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort». Par ailleurs, il préconise une harmonisation effective par «le parachèvement de la procédure de ratification du protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant établissant une procédure de présentation de communications», ou encore par l'adhésion à un ensemble d'instruments internationaux et régionaux. Parmi eux, le Conseil énumère «le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention n°87 de l'OIT relative à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples, la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique», ou encore «la Convention de Lanzarote sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels». Dans ce sens, le CNDH appelle aussi à «renforcer l'interaction avec le Système international des droits de l'Homme, notamment à travers la mise en œuvre des recommandations émises et acceptées par notre pays, et la soumission des rapports nationaux périodiques, en particulier le cinquième rapport périodique, qui devait être soumis au Comité contre la torture en novembre 2015». Au niveau du droit interne, le CNDH a par ailleurs recommandé d'«accélérer la procédure d'adoption du projet du Code de procédure pénale, en veillant à prendre en considération les recommandations du Conseil dont l'élargissement de la présence de la défense lors de la phase d'enquête préliminaire depuis le placement en garde à vue, instaurer l'utilisation de moyens d'enregistrement audiovisuel lors de la rédaction des rapports de la police judiciaire, et procéder à une expertise médicale avant et après la période de garde à vue, en cas d'allégations de torture, et soumettre toutes les décisions privatives de liberté à recours immédiat, y compris celles relatives à la garde à vue et à la rétention».