Alors que la justice française a examiné, mardi, les plaintes déposées par le Maroc à travers son ambassade à Paris contre plusieurs médias de l'Hexagone, cette affaire de soupçons de diffamation à la suite des révélations sur l'utilisation présumée de Pegasus par le royaume s'est invitée au parlement. Le tribunal correctionnel de Paris a examiné, mardi, la requête déposée par le Maroc contre sept médias français, dont le journal L'Humanité, que le royaume a demandé de juger pour «diffamation» après les révélations sur l'affaire Pegasus. Au cours de cette séance, le procureur a exprimé son intention de «soulever l'irrecevabilité dans l'ensemble de ces affaires». Une nouvelle audience a été prévue pour le 6 décembre. Dans le cadre des mêmes révélations, le Maroc a porté plainte contre le journal Le Monde, Radio France, Mediapart, le journal allemand Süddeutsche Zeitung, en plus de l'association Amnesty International. Depuis le 24 septembre dernier, le journal L'Humanité fait aussi l'objet d'une requête auprès de la justice. A travers son ambassade à Paris, le Maroc sollicite de juger «diffamatoires» les propos «publiés le 30 juillet 2021 par le quotidien L'Humanité dans son édition n°23237», sous le titre «Cybersurveillance. Au Maroc, les yeux du pouvoir et les profils européens». Le PCF défend son ancien canard Parallèlement à l'audience tenue au tribunal, les plaintes déposées par le Maroc ont été à l'ordre du jour des questions orales des élus à l'Assemblée nationale. Député de Seine-Maritime pour la Gauche démocratique et républicaine, membre du Parti communiste français (PCF), Jean-Paul Lecoq s'est adressé au Premier ministre, qualifiant l'action en justice contre L'Humanité et les autres médias concernés de «totalement politique». «Depuis la Révolution française, il est rarissime qu'un Etat étranger dépose plainte contre des médias français pour les faire taire. Six plaintes sur sept, déposées depuis la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, et son article 11 qui garantit la liberté de la presse, l'ont été par le royaume du Maroc», a-t-il souligné. Affaire #Pegasus : Les plaintes en diffamation déposées par le roi du Maroc contre des médias français est un "sujet politique", dénonce Jean-Paul Lecoq (PCF). Il regrette "l'absence de réactions" de la majorité présidentielle et de l'exécutif sur cette affaire.#DirectAN #QAG pic.twitter.com/KaAmcEwyug — LCP (@LCP) October 26, 2021 Le député estime que l'affaire revêt un caractère politique, «également parce que la France n'a jamais réagi publiquement à l'utilisation du logiciel d'espionnage israélien Pegasus, utilisé par le royaume du Maroc contre des journalistes et contre des élus, au plus haut niveau de la république française». Par la même occasion, Jean-Paul Lecoq a reproché à la majorité et au gouvernement français d'être «plus prompts à protéger le secret des affaires que la liberté de la presse». «D'où provient ce silence complice (…) ? Est-ce à cause des voyages de complaisance proposés par le Maroc (…) que les ministres et les parlementaires n'osent même plus s'indigner face aux actions insupportables de ces Etats ?», s'est-il interrogé, qualifiant les plaintes de «procédures bâillon contre la liberté de la presse». Le gouvernement prend ses distances Secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, Clément Beaune a réagi aux interrogations du député PCF, rejetant tout «laxisme» ou «hésitation». «Les procédures judiciaires sont en cours. Le Premier ministre et le garde des sceaux ont eu l'occasion de répondre sur ce point précis, il y a déjà quelques semaines, donc nous ne sommes pas muets sur cette affaire», a-t-il déclaré, tout en appelant à «laisser ces instructions se faire devant les cours françaises, car c'est le droit d'un justiciable, même étranger en l'occurrence». «Ces procédures se dérouleront et nous avons confiance évidemment dans leur aboutissement. Simplement, nous avons été très clairs depuis le début aussi : puisque les faits allégués sont d'une gravité extrême – il n'y a aucun doute sur ce point – nous devons être sérieux et précis pour établir toute la vérité, avant d'en tirer, le cas échéant, les conséquences politiques ou diplomatiques qui s'imposeraient.» Clément Beaune Pour le secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes, il s'agit du «bon ordre» dans lequel les choses devraient se faire. «Respecter les procédures judiciaires, établir les faits et avoir dans l'attente – nous l'avons fait à l'égard de l'ensemble des Etats impliqués directement ou indirectement – des démarches diplomatiques pour faire connaître nos inquiétudes, nos interrogations sur cette affaire», a-t-il insisté. Affaire #Pegasus : @CBeaune dément toute remise en cause de la liberté de la presse. L'utilisation du logiciel d'espionnage "est d'une gravité extrême", ajoute-t-il. "Nous devons être précis pour établir la vérité avant d'en tirer les conséquences diplomatiques."#DirectAN #QAG pic.twitter.com/doTynLIqtr — LCP (@LCP) October 26, 2021 Consultée en octobre dernier par Yabiladi, la plainte contre L'Humanité demande, entre autres, à ce que Patrick le Hyaric, directeur de publication du quotidien français, soit jugé comme «auteur principal du délit de diffamation publique envers un particulier commis au préjudice du Royaume du Maroc». Les propos objet de la plainte portent notamment sur des passages où le média a indiqué que des journalistes comme Aboubakr Jamaï et Ali Lmrabet auraient fait l'objet d'une cybersurveillance pour le compte des autorités marocaines, à travers le programme Pegasus, développé par la société israélienne NSO. Pour leur part et depuis août dernier, 17 journalistes se sont joints à Reporters sans frontières (RSF) pour saisir l'ONU et la justice française, en déclarant savoir ou suspecter leurs gouvernements de les espionner en raison de leurs activités. Une plainte a été déposée également contre le groupe NSO.