Près d'une semaine après son vote par le Conseil de Sécurité, la résolution 2654 sur le Sahara tout aussi occidental que marocain n'est pas encore en ligne sur le site de l'ONU. Normal car tel semble être le fonctionnement des Nations Unies, et moins normal car c'est trop lent, même pour un conflit de basse intensité. Mais, pour autant, et considérant la hargne algérienne pour ce dossier, on peut estimer que cette résolution va dans le sens du royaume, même si l'ambiguïté y est encore et toujours de mise. Entre les résolutions 2602 et 2654, et bien que la question du Sahara ne remue pas les foules et encore moins les cœurs et les esprits dans le vaste monde, on relève une évolution, sans doute revenant aux changements géopolitiques entretemps intervenus dans le monde, essentiellement suite à la guerre en Ukraine. Globalement, on peut dire que le monde occidental manifeste son impatience face à un conflit qui a trop duré et qui est dangereusement proche de l'Europe, sans pour autant que la Russie ait véritablement le cœur à l'ouvrage, malgré son alignement sur les Algériens. Quelques remarques, cependant… 1/ Bruits de bottes. Le Maroc est plus offensif, plus martial, s'engouffrant dans la brèche complaisamment ouverte par le pen holder américain dans le point 8 de la résolution ; ce point « demande la reprise du réapprovisionnement sûr et régulier des bases d'opérations de la MINURSO afin de garantir la viabilité de la présence de la Mission ». Aussitôt après l'adoption de la résolution, l'ambassadeur marocain Omar Hilale affirme qu'en cas de retrait de la Minurso de la zone tampon, le Maroc pourrait y entrer et s'y installer. Cela, comme le reconnaît suavement le diplomate marocain, créerait une nouvelle situation. Depuis 2018, lorsque le même Omar Hilale avait qualifié de casus belli la présence des éléments du Polisario à l'est du mur et depuis 2020, quand le Maroc avait annoncé qu'il ne laisserait pas les séparatistes bloquer la circulation civile à Guergarate, le monde a appris que les menaces de Rabat sont toujours suivies d'effets. Rudes, voire militaires s'il le faut. On peut donc s'attendre, cette année, que le Polisario continue d'entraver l'approvisionnement de la Minurso, que celle-ci se retire, totalement ou partiellement de ses positions à l'est du mur, et que les FAR y pénètrent et s'y installent. La situation deviendra dès lors très explosive et l'intensité de la guerre pourrait singulièrement augmenter. 2/ Ambigüités. Le Conseil de Sécurité sait l'absolue priorité accordée par Alger à l'affaire du Sahara, comme par le Maroc, à cette précision près que pour le Maroc, il s'agit de son intégrité territoriale. Continuer de parler d'une « solution mutuellement acceptable » et de « compromis » est donc tout simplement ce qu'on désigne communément de langue de bois et une volonté de pérennisation du conflit. Le Conseil semble refuser d'admettre que le Maroc ne saurait renoncer à son intégrité territoriale et que l'Algérie ne veut pas renoncer à la menacer. Cela ne peut bien se terminer, surtout avec l'internationalisation du conflit par l'arrivée en Afrique du Nord des deux ennemis du Proche-Orient, Israël et l'Iran. Par ailleurs, on note une évolution dans la formulation de la question de l'enregistrement des réfugiés à Tindouf… Dans la résolution 2602, le Conseil « (demandait) à nouveau que l'enregistrement des réfugiés dans les camps de réfugiés de Tindouf soit envisagé, et (…) qu'il convient de déployer des efforts à ce sujet », et dans la 2654, le Conseil « (demande) à nouveau instamment que les réfugiés des camps de Tindouf soient dûment enregistrés, et qu'il importe que toutes les mesures nécessaires soient prises à cette fin ». Mais malgré ces avancées sémantiques, comment continuer de croire en la volonté de l'ONU de résoudre sérieusement ce conflit alors qu'elle reste très prudente, voire indifférente, au sort des principaux concernés que sont les réfugiés, qui (sur)vivent dans des conditions plus que précaires ? Pour se convaincre de cette indifférence, il suffirait de comparer les « préoccupations » onusiennes pour les réfugiés de Tindouf et pour les Ukrainiens… A Tindouf, le HCR ne paraît pas trèd concerné, ou inquiet, et encore moins véritablement « préoccupé ». 3/ Les explications de vote. Les Etats-Unis avancent dans leur position et explication, même lentement. En octobre 2021, ils considéraient le plan d'autonomie marocain simplement comme « une base sérieuse et crédible de discussion en vue de la reprise du dialogue » ; en 2022, ce plan devient « réaliste et juste et pourrait satisfaire les populations ». Le Maroc est un allié précieux en Afrique, mais un allié à qui on ne peut ni ne doit tout accorder… Les Russes semblent avoir la tête ailleurs, reprenant les thèses algériennes sans trop réfléchir à autre chose qu'au doublement du budget militaire algérien (de 11 milliards à 23 milliards de dollars pour 2023)… La France choisit l'ambigüité en n'expliquant pas son vote, mais ne n'expliquant pas son vote, elle devra un jour s'en expliquer auprès de l'opinion publique marocaine face à laquelle Paris a toujours brandi son soutien à l'ONU pour justifier les avantages économiques régulièrement engrangés dans le royaume. La Chine, en ajoutant à son galimatias diplomatique habituel le vœu de voir la Minurso atteindre ses objectifs, compromet ses intérêts et son positionnement au Maroc.
Globalement donc, si le texte de la nouvelle résolution est encore plus avantageux pour le Maroc, il reflète les nouvelles tensions géopolitiques mondiales et les positionnements géostratégiques de cette année. Les Etats-Unis, « porte-plume », sont allés le plus loin sans décevoir (ni totalement contenter) leur allié marocain et sans risquer le veto russe. Mais à bien observer les récentes évolutions sur le terrain, avec ses nouveaux acteurs, et les mots prononcés par l'ambassadeur marocain, on pourrait craindre une augmentation de l'intensité du conflit.