Lorsque la Chine publie un document officiel en réponse à la politique étrangère des Etats-Unis, il ne s'agit jamais d'un simple exercice rhétorique. Le livre blanc publié par Pékin le 9 avril 2025, intitulé La position de la Chine sur certaines questions concernant les relations économiques et commerciales sino-américaines, illustre cette rigueur stratégique. Ce texte va bien au-delà d'une réponse circonstanciée à l'escalade tarifaire impulsée par l'administration Trump : il trace la voie que la Chine entend emprunter face aux bouleversements de la scène économique mondiale. Comme le rappelle le texte de Marcus Vinicius De Freitas, chercheur au Policy Center for the New South, ce document marque un tournant. « La Chine y expose une volonté claire de réformer l'ordre mondial, non de s'en extraire ni de s'y soumettre », analyse-t-il. À travers ses pages, c'est un plaidoyer pour la stabilité, le multilatéralisme et la rationalité stratégique qui se dessine. Les données économiques viennent appuyer ce discours. En 2024, les échanges commerciaux entre les deux géants ont atteint le montant record de 688,28 milliards de dollars, un bond vertigineux par rapport aux 2,44 milliards de 1979, année de la normalisation des relations diplomatiques. Depuis l'entrée de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce en 2001, les exportations américaines vers l'Empire du Milieu ont crû de 648,4 %, un rythme trois fois supérieur à celui des exportations américaines vers le reste du monde. Aujourd'hui, les Etats-Unis demeurent le principal débouché des produits chinois, tandis que la Chine est le troisième marché à l'export pour les entreprises américaines, et la deuxième origine de leurs importations. Ce lien économique se double d'une interdépendance financière solide : à la fin 2024, la Chine détenait 759 milliards de dollars en bons du Trésor américain, consolidant son rôle de deuxième créancier étranger de Washington. Lire aussi : Guerre commerciale sino-américaine: Beijing porte ses droits de douane à 125% Or, cette dynamique se déroule sur fond de tensions croissantes. Les droits de douane s'envolent, atteignant des sommets inédits dépassant parfois les 100 %. Le discours politique aux Etats-Unis se radicalise. Le système commercial multilatéral, quant à lui, vacille. C'est dans ce climat d'incertitude que Pékin choisit de se présenter comme un pôle de stabilité et de prévisibilité, en contraste flagrant avec l'approche agressive, souvent erratique, de son vis-à-vis américain. Trois messages majeurs ressortent du livre blanc D'abord, une affirmation claire du soutien au multilatéralisme et à un système économique fondé sur des règles partagées. Pékin critique vertement le protectionnisme américain et son rejet des mécanismes de coopération, qu'il considère comme des facteurs de désordre. « En s'érigeant en défenseur du droit international, la Chine s'inscrit dans une démarche de réforme plutôt que de rupture », souligne Marcus Vinicius De Freitas. Ensuite, le texte met en avant une philosophie de coopération mutuellement bénéfique. Le conflit commercial, selon Pékin, nuit non seulement aux deux parties, mais à l'ensemble de la planète. La Chine plaide pour le dialogue, la reconnaissance des interdépendances et la recherche de solutions équilibrées, dans un esprit de confiance et d'ouverture. Enfin, le document dénonce la politisation du commerce et l'usage abusif du prétexte sécuritaire par les Etats-Unis pour restreindre les exportations ou cibler certaines entreprises chinoises. Ces pratiques, juge Pékin, minent les bases mêmes du système commercial international et menacent de le fragmenter. Derrière la sobriété diplomatique se profile une ambition géopolitique assumée. Forte d'un réseau commercial couvrant plus de 140 pays, notamment au sein du Sud global, la Chine entend peser par sa constance, son pragmatisme et sa capacité à offrir une alternative au désordre. La publication de ce livre blanc n'est donc pas un geste symbolique, mais un message soigneusement calculé : la Chine préfère le dialogue aux confrontations, les institutions aux impulsions, et la prévisibilité aux emportements. À l'inverse, l'approche de Donald Trump repose sur la provocation et la pression, dans l'idée que la confusion finira par affaiblir ses adversaires. En se posant en victime du commerce mondial, il passe sous silence les avantages que les Etats-Unis ont longtemps tirés d'un système qu'ils ont eux-mêmes façonné. Cette vision binaire, où tout gain d'un pays est vu comme une perte pour un autre, ignore la richesse des échanges et les dynamiques de croissance partagée. « C'est une erreur stratégique », conclut Marcus Vinicius De Freitas. « Dans un monde interdépendant, le repli et l'unilatéralisme conduisent inévitablement à l'isolement et à l'instabilité. Le livre blanc chinois propose une alternative : un ordre économique rénové, fondé sur le droit, l'équité et la coopération ».