Hubert Seillan, avocat à la cour d'appel de Paris et président de la Fondation France-Maroc, qui est venu nous rendre visite dans nos locaux pour échanger sur un livre qu'il vient de publier. Ce livre, intitulé « Communauté de destins », est un ouvrage collectif dirigé par Monsieur Seillan, qui revient sur les péripéties des relations entre la France et le Maroc. Il aborde notamment les visions des présidents français Mitterrand et Chirac vis-à-vis du Maroc, ainsi que d'autres éléments passionnants et métaphoriques. l Maroc Diplomatique : Que vous inspire aujourd'hui ce dynamisme dans les relations entre la France et le Maroc ? Quel est le message de votre livre « Communauté de destins » dans cette relation ? – Hubert Seillan : Beaucoup de joie, bien sûr, et beaucoup d'espérance. Mais aussi beaucoup de sérénité. Cette sérénité vient du fait que nous revenons à la normale, aux racines de l'amitié entre nos deux pays. Ces racines sont si profondément ancrées dans nos terroirs respectifs que les malentendus et les inconséquences passés ne pouvaient être que des épisodes éphémères. Voilà ce que je peux dire en termes d'espérance. Pour ce qui est du livre, c'est un ouvrage collectif. Je n'ai pas voulu le rédiger seul, car je souhaitais que cette relation d'amitié, qui est au cœur de la Fondation France-Maroc que je préside, soit abordée sous différents angles. La Fondation s'appelle «France-Maroc, Paix et Développement Durable», et son but est de construire des fondations solides pour que cette amitié se développe. Si elle ne se développe pas, elle risque de s'étioler. J'ai donc rassemblé une dizaine d'auteurs, marocains et français, pour aborder ce sujet sous des perspectives variées : histoire, diplomatie, culture, littérature, et même architecture. Chacun a apporté sa vision, et c'est ce qui rend ce livre si riche. L'idée de «communauté de destins» reflète l'interdépendance et les liens profonds qui unissent la France et le Maroc. Malgré les différences et les défis, nos destins sont liés. Ce livre est le premier tome d'une collection intitulée « France-Maroc : Ecrits en partage » qui vise à explorer cette relation à travers des contributions variées. Le titre « Communauté de destins » a été choisi pour souligner cette idée de destin partagé. l Vous avez évoqué des malentendus passés. Comment voyez-vous l'avenir des relations franco-marocaines ? – Je suis optimiste, mais je souhaite que cette dynamique ne soit pas un simple feu de paille. Il est essentiel que cette relation ne soit pas influencée par des considérations de politique intérieure française, mais qu'elle s'inscrive dans une perspective de long terme. Nous devons construire sur des bases solides, et c'est ce que nous essayons de faire à travers des initiatives comme ce livre. Le Maroc est un pays nord-sud, et cette orientation est cruciale sur le plan diplomatique. Il a toujours tourné le dos à l'est, que ce soit au communisme ou à d'autres influences, pour se tourner vers l'Atlantique. Cette orientation géographique influence aussi le climat et les cultures. Par exemple, le climat de Rabat ou de Casablanca est très proche de celui de Bordeaux, grâce aux vents de nord-ouest qui balayent les deux côtes. Pour moi, l'océan Atlantique est un lien fraternel entre nos deux pays. l Comment cette relation peut-elle influencer le continent africain ? – La France et le Maroc ont un rôle important à jouer en Afrique. Je ne voudrais pas que cette relation soit simplement un outil de politique intérieure française, mais qu'elle contribue à construire des ponts durables. Je travaille d'ailleurs sur un nouveau livre, Smara, qui explorera cette relation sous un angle plus global, avec des contributions de personnes du monde entier. Ce sera une analyse triangulaire, incluant des perspectives du Chili, du Mexique, du Canada, et d'autres pays. Lire aussi : L'ONU, « seul cadre légitime » pour traiter du différend régional autour du Sahara marocain Pour ce qui est le développement régional, le Maroc occupe une position géostratégique déterminante. Sa proximité géographique avec l'Europe et son rayonnement sur le continent africain permettent d'envisager une coopération renforcée, tant sur le plan économique que culturel. Cependant, il faut reconnaître que des litiges subsistent, notamment concernant les produits issus du Sahara, que l'ONU désigne sous le terme « Sahara occidental ». Ces différends, souvent alimentés par le Polisario et l'Algérie, posent un véritable défi pour une coopération sans heurts. Le développement des échanges économiques peut jouer un rôle déterminant pour créer des synergies et contourner certains obstacles juridiques. En renforçant les partenariats commerciaux, nous pouvons non seulement stimuler la croissance mais aussi mettre en lumière la légitimité historique et territoriale du Maroc, en contournant ainsi les contestations purement juridiques qui émergent autour des accords commerciaux. l Vous avez choisi d'aborder la question du Sahara sous l'angle des réalités historiques et géographiques plutôt que d'un point de vue exclusivement juridique. Pouvez-vous nous en dire plus sur la démarche de votre livre « Par l'espace et par le temps » et sur l'importance de l'unité historique marocaine dans ce débat ? – Dans « Par l'espace et par le temps », j'examine comment plus de 1500 ans d'unité et de continuité historique confèrent au Maroc une légitimité incontestable. Plutôt que de répondre aux contentieux par des procédures juridiques souvent influencées par des héritages post-coloniaux datant des années 60, j'opte pour une approche ancrée dans notre histoire et notre géographie. Cela permet de recentrer le débat sur notre identité et nos réalités territoriales, en soulignant que s'enfermer dans des querelles juridiques ne rend pas compte de la complexité du contexte historique. La clé réside dans le repositionnement du débat en s'appuyant sur des arguments historiques et géopolitiques forts. Au lieu de recourir aux tribunaux internationaux, qui souvent se retrouvent piégés dans des cadres hérités du passé, il serait plus judicieux de promouvoir des initiatives diplomatiques et des partenariats économiques qui reconnaissent la légitimité historique du Maroc. Cette stratégie permettrait de transcender les obstacles juridiques traditionnels et d'ouvrir la voie à une nouvelle ère de coopération internationale. l Vous parlez aussi de l'essor du Sahara. Quels sont les faits concrets qui prouvent cette dynamique ? – Naturellement, ce phénomène est visible à travers les faits. Le développement dans cette région est considérable. Les habitants y sont heureux, travaillent et participent activement aux élections. D'ailleurs, le taux de participation aux élections dans le sud du Maroc dépasse largement celui du reste du pays. Cela témoigne de l'engagement démocratique de la population. Les citoyens des pays du Nord de l'Europe, très sensibles aux valeurs démocratiques, en prenant connaissance de cette réalité, constateront par eux-mêmes que la démocratie y fonctionne pleinement. De nombreux pays européens pourraient même prendre exemple sur ce modèle. Ce n'est pas un simple discours électoral, c'est un constat basé sur des faits concrets. Je suis convaincu que le phénomène de la tâche d'huile va continuer à se développer. Parmi mes amis engagés dans cette dynamique, certains viennent du Nord, notamment de Norvège ou du Danemark. Cela montre que les perceptions évoluent. Cependant, la question a longtemps été biaisée. L'Algérie a été considérée, à tort, comme un pays démocratique parce qu'elle se revendiquait socialiste, tandis que le Maroc, du fait de son régime monarchique, était perçu comme un pays autoritaire. Or, cette vision est totalement erronée. D'ailleurs, la plupart des démocraties européennes les plus stables sont des monarchies. C'est un paradoxe qui mérite d'être souligné. l Nous observons également des contentieux devant la Cour de justice européenne, alors que le Maroc refuse de se représenter dans ces procédures jugées illégitimes. Comment analysez-vous cette divergence, notamment face à la position de la Haute Cour anglaise, et dans quelle mesure la reconnaissance croissante de la souveraineté marocaine par des puissances telles que les Etats-Unis et la France pourrait-elle modifier le paysage géopolitique autour du Sahara ? – Il existe une contradiction notable entre les logiques institutionnelles. Alors que la Cour de justice européenne applique des règles strictes, la Haute Cour anglaise considère certains actes de souveraineté comme non justiciables. Cette divergence reflète bien les tensions entre approches juridiques nationales et européennes. Ainsi, la reconnaissance internationale accrue – comme celle des Etats-Unis et de la France, et potentiellement bientôt celle de l'Angleterre – vient renforcer la position du Maroc. Cette évolution pourrait redéfinir le débat autour du Sahara en plaçant la légitimité historique et territoriale au cœur des discussions, et en incitant d'autres puissances telles que la Chine et la Russie à revoir leur position. l Votre livre a même suscité l'intérêt de l'ambassadeur de Chine à Rabat. Pensez-vous que cette reconnaissance internationale contribuera à une meilleure compréhension et à une résolution des contentieux liés au Sahara ? – Absolument. Il a commenté sa traduction en chinois pour une meilleure compréhension de la question du Sahara. Lorsque des représentants de pays influents reconnaissent la valeur et la pertinence de nos arguments historiques, cela contribue à légitimer notre position sur la scène internationale. Une meilleure compréhension de la réalité historique du Maroc pourrait en effet favoriser une approche plus pragmatique et consensuelle dans la résolution des différends, en éloignant le débat des querelles purement juridiques pour s'orienter vers une coopération constructive.