Le R0 : un paramètre de mesure de la propagation d'une épidémie L'étude des variations de certaines grandeurs en fonction du temps aide à rendre compte de leur comportement futur. La transmission de la Covid-19, qui préoccupe l'ensemble de la planète ces temps-ci, en est un exemple-type, pour lequel se pose la question : comment ′′mesurer′′ le nombre de nouveaux cas (qu'on notera en abrégé C) sur un intervalle de temps donné, afin d'avoir une idée sur l'évolution de l'épidémie dans un avenir proche ? Un paramètre, dont on ne cesse d'entendre parler depuis des semaines, semble à l'évidence en être un facteur déterminant : le taux de reproduction, qu'on appelle communément le R0. Alors qu'est-ce que ce R0 ? Une définition naïve mais suffisante a priori : c'est le nombre moyen de personnes saines que contamine un individu atteint. (Même si cela laisse supposer que R0 est un nombre entier, il ne l'est pas en général, comme on va le voir sur un exemple.) On va essayer de mieux comprendre ce qu'indique ce R0 et comment il peut être pris en compte pour lutter contre l'épidémie. (Désolé pour ceux qui sont rebutés par les maths, on va devoir en faire un peu, mais à un niveau très élémentaire !) On ne calcule pas R0 de façon exacte, on n'en donne qu'une estimation, sur une période de temps T (généralement de trois jours). Voici une manière simple de le faire (il y en d'autres sûrement, mais elles devraient être fondamentalement proches). 1) Sur la population d'un pays touché par l'épidémie, on prélève des échantillons (dans des endroits différents), par exemple 5 qu'on notera E1, E2, E3, E4 et E5, chacun consistant en 20 personnes contaminées. (On en a prélevé 5 pour fixer les idées et mener plus simplement les calculs, mais on pourrait en prendre plus, ça rendrait même l'estimation encore meilleure !) 2) Pour chaque indice i dans {1,2,3,4,5}, on note ni le nombre de personnes contaminées par les patients de l'échantillon Ei pendant la période T. (Par exemple, les 20 patients de l'échantillon E3 ont contaminé n3) Le taux de reproduction relatif à l'échantillon Ei est alors le nombre ri = ni/20. 3) On obtient ainsi 5 taux relatifs : r1, r2, r3, r4 et r5. Le taux de reproduction R0 qui nous intéresse est leur moyenne arithmétique, c'est-à-dire : R0 = (r1+r2+r3+r4+r5)/5. 4) Pour avoir un exemple concret, on prend les valeurs numériques : n1= 50 n2=70 n3=65 n4=45 n5=90. Elles donnent : r1=2,5 r2=3,5 r3=3,25 r4=2,25 r5=4,5. D'où : R0 = (2,5+3,5+3,25+2,25+4,5)/5 = 16/5 = 3,2. R0 n'est donc pas nécessairement un entier. Mais il a quand même une interprétation : en moyenne, sur la période considérée, 10 personnes contaminées transmettent le virus à 32 autres. C'est à peu près le taux de reproduction qui a été observé en France en plein pic de l'épidémie de la Covid-19. Le paramètre R0 n'est pas fixe : il varie en fonction de la période T pendant laquelle on l'estime. Il serait donc plus judicieux de le noter RT pour mettre en évidence cette dépendance. Mais...c'est sans importance ! Ce R0 est-il vraiment déterminant ? Il l'est ! Et il permet de dire quelle attitude on doit avoir vis-à-vis de l'épidémie, notamment comment la combattre. Il y a d'abord les gestes barrières évidents : lavage régulier des mains et distanciation physique, qui sont les seules ′′armes′′ dont on dispose en l'absence de traitement et de vaccin, ce qui est le cas de la Covid-19. Ensuite, la mesure du R0 est importante. Par exemple, si R0 = 3,2 (c'est notre exemple numérique), au bout de 10 périodes, la valeur initiale de C sera multipliée par (3,2)10 ≈ 112590. Par contre, si R0 = 0,5 cette même valeur sera multipliée par (0,5)10 c'est-à-dire divisée par 2 10 = 1024, ce qui va dans le bon sens car c'est ainsi que l'épidémie sera jugulée et finira par s'éteindre complètement. C'est ce qui pousse les scientifiques et les officiels à redoubler d'efforts pour amener ce paramètre R0 vers des valeurs ′′très inférieures′′ à 1. Les modèles mathématiques qui permettent d'étudier l'évolution dans le temps d'une épidémie ne sont qu'approximatifs. Je dirais, avec regret, qu'on ne pourra comprendre réellement les ′′règles′′ qui régissent la circulation de la Covid-19, aussi bien sous son aspect viral que celui de sa transmission, qu'après un certain temps (des mois ou peut-être même des années). Côté mathématiques, je suis sûr qu'aucun spécialiste en la matière ne peut prédire avec ′′certitude′′ – je dis bien avec ′′certitude′′ – quoi que ce soit sur ce qu'il en sera dans un avenir proche. Qu'en est-il du Maroc ? J'ai un peu suivi l'évolution de la Covid-19 au Maroc depuis qu'elle y est apparue. Au début, le nombre C était faible et croissait lentement. Puis il atteignit un niveau relativement significatif autour duquel il a oscillé pendant toute une période, qui a semblé longue (elle s'est étalée à peu près du 5 avril au 20 mai). Ce qui laissait supposer que le nombre total de contaminés était régi par une fonction linéaire, et donc sa courbe était un segment (cela veut dire que la valeur du R0 était approximativement 1). Certes, la croissance de C ne s'est pas avérée exponentielle, comme cela a été observé dans d'autres pays, mais c'était tout de même inquiétant de ne pas voir la courbe, à un moment ou un autre, pencher à droite pour amorcer une descente. Heureusement que ces derniers jours on relève une décroissance de C, petite mais soutenue, ce qui marque une note d'espoir. C'est sans doute dû au fait que les autorités marocaines ont réagi assez tôt en décidant du confinement, tout en prenant – dans la limite des possibilités – les mesures sociales d'accompagnement pour aider ceux qui sont le plus dans le besoin à surmonter l'épreuve, et amener ainsi l'ensemble de la population à respecter majoritairement le protocole édicté. EL KACIMI ALAOUI Aziz Professeur émérite Université Polytechnique Hauts-de-France http://www.uphf.fr/LAMAV/membres/elkacimi