Par Saad Bouzrou Deux semaines à peine, après l'investiture du Président vénézuélien Nicolás Maduro, le chef de l'opposition, Juan Guaidó, s'est déclaré président par intérim, contestant directement la légitimité du chef de l'Etat réélu pour un deuxième mandat. Des dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblés, mercredi 23 janvier 2019, à travers le pays pour soutenir Guaidó. Les Etats-Unis, le Canada et de nombreux pays européens et d'Amérique latine l'ont rapidement reconnu comme le président légitime. En retour, Maduro a rompu les relations diplomatiques avec les Etats-Unis et a ordonné au personnel de son ambassade de quitter le pays dans un délai de 72 heures. Délai que les Américains allaient ignorer. « Je suis le seul président du Venezuela », a déclaré Maduro, à ceux-ci, s'exprimant depuis le balcon du palais présidentiel et accusant l'administration Trump d'avoir orchestré un complot visant à le renverser. Un pays enfoncé dans la dictature Nicolás Maduro, qui a assumé la présidence, après la mort de son mentor, Hugo Chávez, en 2013, a enfoncé davantage le Venezuela – jadis l'un des pays les plus prospères de la région – dans la dictature et le chaos économique, en grande partie à cause de la mauvaise gestion et de la corruption. Il a également centralisé le pouvoir au sein de l'exécutif, écrasant l'opposition par la violence et l'intimidation et gagnant la loyauté de l'armée en lui conférant le contrôle de secteurs lucratifs. Pendant les années 1950, le Venezuela comptait parmi les pays les plus riches du monde du fait de ses ressources naturelles : les premières réserves de pétrole (300 milliards de barils) devant l'Arabie saoudite (270 milliards de barils), mais aussi d'immenses gisements de gaz, d'or ou de métaux rares. Il figure aujourd'hui parmi les plus pauvres, en grande partie à cause de la révolution utopique de Hugo Chavez, héritée par son dauphin Maduro. En mai 2018, Maduro a été réélu pour un nouveau mandat de six ans, en pleine crise financière et humanitaire. La coercition et la fraude électorale ont été largement enregistrées. Au moment de son entrée en fonction, le 10 janvier 2019, de nombreux pays n'avaient pas reconnu son nouveau mandat comme légitime, notamment les Etats-Unis, le Canada et une douzaine de pays d'Amérique latine. Qui est Juan Guaidó ? Jusqu'à tout récemment, Juan Guaidó, président de l'assemblée nationale vénézuélienne, âgé de 35 ans, était une figure inconnue sur la scène internationale. Mais la situation a changé, mercredi 23 janvier 2019, lorsque le jeune homme politique s'est tenu, devant des milliers de manifestants, à Caracas et s'est juré de siéger à titre de président par intérim – une initiative qui a été immédiatement saluée par les gouvernements américain et canadien. Quand la réélection de Maduro a suscité la désapprobation de la communauté internationale, Guaidó, six jours, seulement, après son entrée en fonction, a déclaré au monde entier qu'il était prêt à assumer la présidence jusqu'à ce que des élections libres et équitables soient organisées, à condition qu'il bénéficie du soutien vital de l'armée. Cette annonce constituait un rare défi ouvert au régime de Maduro et avait obtenu l'appui du président de l'Organisation des Etats américains – mais elle avait également fait craindre une nouvelle répression de l'opposition. Elevé à La Guaira, ville portuaire située à une vingtaine de kilomètres de Caracas, Guaidó a fait ses premiers pas dans l'opposition, lors des manifestations étudiantes de 2007, contre le défunt prédécesseur de Maduro, Hugo Chávez, qui cherchait alors à consolider son pouvoir, à travers des amendements à la Constitution, y compris l'abolition des limites du mandat présidentiel et la possibilité de déclarer, unilatéralement, une urgence nationale. Beaucoup de gens au Venezuela pensaient que Maduro avait réussi à neutraliser l'assemblée nationale en 2017, lorsqu'il l'avait écartée en faveur d'une assemblée constituante plus souple grâce à des élections qui étaient aussi largement qualifiées de simulacres, mais peu s'attendaient à ce que Guaidó lance un défi aussi audacieux à Maduro. « Il était incroyablement courageux et courait à présent le risque d'être emprisonné, torturé ou d'avoir besoin de s'exiler », a déclaré David Smolansky, dirigeant de l'opposition, qui a été contraint de fuir le Venezuela pour aller vivre aux Etats-Unis. « Cependant, il a décidé de continuer. Il fait partie de ma génération, une génération courageuse qui a grandi sous une dictature. » Guaidó n'est pas étranger à l'adversité. Sa famille a survécu, en 1999, à un glissement de terrain dévastateur dans sa ville natale, ce qui a coûté la vie à 30.000 personnes. Il affirme porter des cicatrices au cou, causées par des balles en caoutchouc, tirées sur des manifestants, en 2017, à Caracas. Il dirige également, aujourd'hui, l'un des partis d'opposition du pays, le Voluntad Popular. Qu'est-ce qui pourrait se passer ensuite ? On ne sait pas comment la crise sera résolue, deux hommes des côtés opposés du spectre politique se proclamant président. Guaidó a cité un article de la Constitution du Venezuela qui transfère le pouvoir au président de l'Assemblée nationale, en cas de vacance de la présidence. Le président Trump, qui n'a pas exclu, jusqu'à maintenant, l'utilisation de la force militaire pour destituer Maduro, a fait une déclaration quelques minutes après que Guaidó s'est auto-proclamé président par intérim, le reconnaissant en tant que leader du pays et qualifiant l'Assemblée nationale de « seule branche légitime du gouvernement dûment élu par le peuple vénézuélien ». Le Parlement européen, l'Argentine, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, le Danemark, le Paraguay, le Pérou et l'Organisation des Etats américains ont également reconnu Guaidó comme l'unique président du pays. Les dirigeants vénézuéliens pourraient donc décider si Maduro peut ou non conserver le contrôle de l'armée. À ce jour, l'armée a prêté allégeance à ce dernier. Le ministère de la Défense a publié, jeudi 24 janvier 2019, une déclaration selon laquelle elle lui était restée fidèle.