A moins de deux semaines des élections locales prévues fin mars en Turquie, les premières du genre depuis la transition vers le système présidentiel, la campagne électorale s'intensifie et les partis politiques sont conscients que les résultats du scrutin seront décisifs pour déterminer la position de chaque formation sur la scène politique. Au total, douze formations dont le Parti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir), son allié le Parti du mouvement nationaliste (MHP), le Parti républicain du peuple (CHP, opposition), en plus du Parti démocratique des peuples (HDP), le Parti de la félicité (SP), le « Parti de la gauche démocratique » (DSP) et « le Bon Parti » (IYI) participent à ces élections. Face au souhait de l'AKP de remporter le scrutin pour continuer à gérer le pays aux niveaux local, gouvernemental et présidentiel, les partis de l'opposition mobilisent leurs efforts dans la perspective de revenir sur la scène politique et de mettre fin au cycle des victoires électorales du parti au pouvoir depuis 2002. En effet, les partis de l'opposition notamment le CHP s'efforcent de convaincre les citoyens de la nécessité du changement, estimant que ces échéances offrent une opportunité idoine mais constituent également la dernière chance pour remporter un grand nombre de municipalités et constituer une base électorale solide pour les prochaines élections présidentielles et législatives surtout qu'aucun autre scrutin n'est prévu jusqu'à 2023. – Les élections municipales, un mini référendum sur la mise en œuvre du système présidentiel Selon les observateurs de la scène politique turque, les partis politiques considèrent ce scrutin comme « une véritable bataille », mais aussi comme un test pour déterminer jusqu'où le nouveau système politique peut contrôler le rythme de gestion des affaires publiques dans le sillage des nouvelles lois adoptées par la Turquie. Cette bataille devrait être très forte en particulier dans les grandes villes comme Ankara et Istanbul eu égard à leur dimension politique et stratégique, d'autant plus que le parti « AKP » avait perdu en avril 2017 le référendum sur l'amendement constitutionnel dans ces villes (51,2 et 51,4 % des électeurs ont voté non). Aussi, cette situation explique la forte concurrence entre deux courants opposés. Le premier représenté par l'opposition, tente de consacrer les résultats du référendum, et le second incarné par le parti au pouvoir, s'emploie activement à rétablir la confiance des électeurs des résultats de la consultation référendaire. Si l'importance de ces deux villes s'explique par le fait qu'Ankara est la capitale politique du pays et Istanbul sa force économique, leur dimension stratégique apparait clairement au niveau des attributions conférées par la Constitution turque à ces municipalités qui comptent chacune un corps électoral de poids. Dans une déclaration à la MAP, l'analyste politique et chercheur turc, Bakir Atjan, a estimé que l'AKP remportera les villes d'Istanbul (15 millions d'habitants) qui disposait d'un budget de 11,134 milliards de dollars en 2018 et Ankara, et l'opposition dominera à Izmir, ajoutant que le candidat du parti au pouvoir à Istanbul, Benali Yeldrim, est un candidat de grand calibre. → Lire aussi : L'intégrité territoriale du Royaume et sa stabilité, une "priorité stratégique" pour la Turquie Pour sa part, le candidat de l'AKP à Ankara, Mohamed Uze Haski, a accumulé une riche expérience ce qui lui offre plus de chance par rapport à ses rivaux pour la présidence de la municipalité, poursuit le M. Atjan. Selon lui, Izmir figure également parmi les grandes cités convoitées par les différentes formations politiques, ajoutant que l'opposition a plus de chance de remporter la présidence de cette ville. – Les réalisations accomplies et les répercussions de la crise économique, un moyen pour influencer le choix des électeurs Avec l'approche de la date du scrutin, les partis misent sur un taux de participation élevé pour remporter un grand nombre de municipalités et pour cela, les formations politiques mettent à profit deux facteurs. Le premier concerne « l'humeur électorale volatile » due à l'incapacité de l'AKP de limiter l'impact de la crise économique sur les conditions de vie des citoyens et au manque d'expérience de l'opposition pour gérer les affaires locales. Le second facteur qui pourrait influencer le choix des électeurs est lié à la campagne de l'AKP à laquelle participe le chef de l'Etat en personne, sachant que le parti au pouvoir mise notamment sur la logique d'investir à des fins électorales son bilan des réalisations accomplies, au moment où l'opposition souligne que l'AKP a échoué à résoudre la crise économique et à gérer les dossiers de la politique étrangère particulièrement la question des réfugiés et le coût entrainé par la gestion de la crise syrienne. M. Atjan estime dans ce cadre que personne ne peut nier que la crise a effectivement affecté la popularité de l'AKP, ajoutant toutefois que les partis de l'opposition n'ont pas présenté des programmes et des mesures économiques concrètes « pour constituer une alternative ». D'autres analystes des questions locales estiment de leur côté que l'électeur dépassera dans son choix la qualité des services de base fournis pour focaliser sur des problèmes plus profonds comme la lutte contre la corruption, la sécurité et l'amélioration de la situation économique. Concernant le taux de participation, l'enseignant des Relations internationales au Centre turc « Sita » turc, Mahmoud Al-Rantissi, a souligné dans un article publié par le journal «Turkey Press » que le taux d'abstention sera élevé à cause des élections successives organisées par le pays et à la nature des alliances qui pourraient provoquer un manque de visibilité chez les électeurs, rappelant que les sondages font état d'un taux d'abstention pouvant atteindre jusqu'à 20 pc. Certes, la participation du corps électoral qui dépasse 57 millions d'électeurs, reste tributaire de moult facteurs notamment l'aptitude des candidats à bien terminer la campagne électorale, ce qui est de nature à réduire le taux d'abstention. Il s'agit donc d'une course électorale très serrée avec des enjeux politiques dépassant la dimension locale, le parti au pouvoir aspire à affirmer son leadership politique et assurer une nouvelle victoire électorale, alors que l'opposition considère ce scrutin comme une opportunité idoine à saisir pour se préparer aux prochaines échéances.