La corruption, un mal qui continue de gangréner l'Afrique du Sud 25 ans après la fin du régime de l'apartheid, domine les débats dans le cadre de la campagne déjà engagée pour les élections générales, prévues le 8 mai prochain. L'ANC, l'historique parti de l'icône Mandela qui gouverne le pays depuis 1994, aborde cette importante échéance, qui promet d'être la plus disputée de toute l'histoire de la nation arc-en-ciel, dans un contexte difficile. Plusieurs de ses membres influents sont compromis dans de grosses affaires de corruption ayant marqué le mandat de l'ancien président Jacob Zuma (2019-2018). La semaine dernière, le débat sur cette question a pris une nouvelle tournure avec l'inclusion sur les listes électorales de l'ANC de responsables liés à ces scandales. Des analystes ont interprété l'inclusion de ces responsables, dont l'ancien ministre de l'Intérieur et des Finance Malusi Gigaba, comme une initiative qui remet en question la volonté de cette formation de libérer le pays d'un phénomène qui porte une grave atteinte à son image notamment parmi les investisseurs. Les analystes se sont allés jusqu'à pointer du doigt certaines factions au sein de l'ANC, qui tentent, selon eux, de saboter l'agenda de réforme présenté par le président Cyril Ramaphosa depuis son arrivée au pouvoir en février 2018 en remplacement de Zuma. «Les listes de l'ANC sont très révélatrices», estime l'analyste politique Ralph Mathekga. «Elles montrent que certaines factions n'adhèrent pas à l'agenda de réforme de Ramaphosa en particulier au sujet de la lutte contre la corruption», ajoute-t-il. Les compagnons de Nelson Mandela ne sont pas restés indifférents. Lundi, onze vétérans du parti, dont Goolam Abubaker, Sheila Sisulu, Neeshan Balton et Cheryl Carolus, ont publié une lettre ouverte, soulignant que l'inclusion de dirigeants «corrompus» sur les listes de l'ANC «soulève de sérieuses questions». Rappelant «les valeurs d'intégrité» ayant sous-tendu l'action de l'ANC, en particulier durant la lutte pour la libération du joug de l'apartheid, ces personnalités ont relevé qu'il était devenu apparent aux Sud-Africains qui ont admiré et voté pour l'ANC que certains membres influents du parti sont impliqués dans des affaires de corruption. Ils ont pointé du doigt les désignations douteuses dans des positions suprêmes, une situation qui a porté atteinte à la bonne gouvernance dans le pays. Les ténors de l'ANC faisaient allusion à «la capture de l'Etat», une expression qui désigne la collusion entre l'administration de l'ancien président Zuma et les Gupta, une famille de richissimes hommes d'affaires d'origine indienne. Cette dernière intervenait même dans les désignations dans des postes gouvernementaux sensibles en contrepartie de faveurs et d'intérêts financiers. → Lire aussi : Afrique du Sud: Ramaphosa appelle ses compatriotes à se préparer pour «des jours difficiles» Les compagnons de Mandela ont également abordé la situation difficile dans laquelle se trouve la quasi-totalité des entreprises publiques du pays, poussées au bord de la faillite par la corruption et la mauvaise gestion. Après un diagnostic exhaustif de la situation du pays, les ténors de l'ANC ont mis en garde que la persistance de la corruption pousse les supporters de cette formation à changer de position à l'occasion des élections. Ils ont averti contre une répétition du scénario des élections communales de 2016, quand l'ANC a payé les frais de ses divisions, perdant le contrôle des grandes métropoles de Johannesburg, Pretoria et Nelson Mandela Baye au profit de l'opposition, conduite par l'Alliance démocratique (DA). Appelé à la rescousse du parti dans le sillage du limogeage de Zuma, le président Ramaphosa n'a pas cessé de marteler qu'il ne ménagera aucun effort pour combattre la corruption. «Nous sommes déterminés à soigner notre pays des effets corrosifs de la corruption et à restaurer l'intégrité de nos institutions», avait-il dit dans son premier discours sur l'Etat de la Nation prononcé en mars 2018 au parlement (basé au Cap). Le chef d'Etat sud-africain a, par la suite, mis en place des commissions d'enquête pour faire toute la lumière sur une question qui tient en haleine l'opinion publique d'une nation arc-en-ciel, meurtrie par de graves déficits sociaux. Ceux-ci se résument en un chômage affectant plus de 27 pc de la population active, une pauvreté plombant plus de la moitié d'une population d'environ 58 millions d'âmes et des disparités sociales parmi les plus graves au monde. Du côté de l'opposition, on attend le scrutin du 8 mai pour capitaliser sur les revers de l'ANC. La DA, en particulier, a rehaussé le ton contre la corruption, promettant aux électeurs une action concrète et forte contre «ceux qui ont pillé les ressources du pays». Suite à la publication des listes électorales, des proches de Ramaphosa se sont empressés de souligner que ce dernier était déterminé à mettre en œuvre son programme de lutte contre la corruption après les élections. A un peu plus d'un mois du scrutin, le débat sur cette question comme au sujet de la réforme foncière et la relance économique, promet de s'intensifier. Le scrutin sera sans doute le plus serré depuis 1994, les observateurs s'attendant à un recul de la popularité de l'ANC. D'après le dernier sondage de l'Institut des relations entre les races, l'ANC remporterait moins de 55 pc des sièges au futur parlement, un score qui assurera certes une majorité confortable au parti de Mandela, mais qui laissera la porte grande ouverte à un changement profond à court et moyen termes compte tenu de la place de plus en plus importante des jeunes, première victime des échecs cumulés depuis 1994.