Le droit d'accès à l'information s'est frayé, au fil des années, un chemin dans le débat qui, grâce à la société civile, ne cesse de gagner en intensité. - Par Mohammed Badaoui - Ateliers, conférences, réunions, rapports et études sont autant de recettes auxquelles différents acteurs de divers horizons ont recours pour obtenir gain de cause. L'objectif étant de convaincre de l'utilité, voire de la nécessité impérieuse d'un dispositif juridique sur le droit d'accès à l'information au Maroc. Les "temps sont mûrs" et "les conditions sont favorables" pour élaborer une loi garantissant le droit à l'information, outil qui permettra au Maroc, en pleine transition démocratique, de négocier un tournant décisif dans ses efforts visant à faire aboutir le processus démocratique et accéder, par la grande porte, à la bonne gouvernance, ont insisté les participants à un atelier tenu récemment à Rabat sur ce sujet. Le Maroc ne peut plus ignorer la légitimité de ce droit ou en reporter l'adoption solennelle et effective, d'autant plus qu'il y a une volonté politique exprimée notamment sur le registre du respect et du développement des droits de l'Homme, a fait observer le Pr.Jamal Eddine Naji lors de cette rencontre, organisée par Transparency Maroc en collaboration avec l'Unesco. Plaidant pour l'élaboration d'une loi sur le droit d'accès du citoyen à l'information, ce spécialiste des médias a détaillé moult considérations qui justifient la pertinence d'une telle loi. Il a rappelé, à cet égard, que ce droit à été consacré, à divers niveaux législatifs, par près de 90 pays, ce qui constitue un motif de plus pour le Maroc d'emprunter la même voie, privilégié en cela par d'importants acquis en matière des droits de l'Homme. M. Naji relève à ce titre que le Maroc se distingue, au niveau arabe, par nombre d'initiatives de gouvernance qui concèdent de plus en plus la divulgation de certains contenus de l'information dite "domaine publique". Parmi les considérations qui plaident en faveur d'un tel droit, il a aussi cité la nécessité de capitaliser les efforts déployés ces dernières années par l'Etat marocain en termes de politiques, plans, mesures, réformes et modernisation de l'administration publique ainsi qu'en termes d'investissements, aussi bien en ressources humaines qu'en équipements. Les résultats de tous ces efforts devraient aboutir à une vision bien intégrée, bien articulée et rigoureusement planifiée pour le court, le moyen et surtout le long terme, à l'horizon de l'objectif mondial de la société de l'information, a-t-il soutenu. Une autre considération évoquée par le Pr Naji est relative aux besoins de la jeunesse marocaine qui a intégré le cyberespace avec tous les besoins, réflexes et attitudes qu'il crée chez l'usager, où l'Etat est appelé à encadrer, de manière précise, le droit d'accès à l'information pour pouvoir garantir l'exercice le plus bénéfique de la liberté d'expression. Dans le même cadre, il a surtout insisté sur le rôle joué par la société civile et sur son dynamisme au Maroc, relevant à ce titre que la société civile est un acteur de plus en plus recherché comme allié, vigie, force de propositions et source de compétences. C'est la société civile qui est porteuse, à présent, de cet appel au droit d'accès du citoyen à l'information. Par ailleurs, dans son projet de " principes directeurs pour le développement et la promotion de l'information du domaine public gouvernemental", publié en 2004, l'Unesco estime que l'un des buts suprêmes de toute société est de rendre chacun de ses membres maître de son destin en lui donnant les moyens d'accéder à l'information et aux connaissances et de les utiliser, et ce en vertu des droits fondamentaux à la liberté d'expression et de participation à la vie culturelle et aux progrès scientifiques. "A l'appui de cet objectif, un volume toujours plus grand d'informations gouvernementales est actuellement produit et mis à la disposition sur l'internet et le WEB. Une partie de cette information fait l'objet de restrictions d'utilisation et d'accès pour des raisons de protection de la propriété intellectuelle, de sécurité nationale, de protection de la vie privée, de confidentialité...etc ", relève l'organisation onusienne, ajoutant qu'"une autre part importante de cette information peut toutefois être librement diffusée par différents moyens, comme l'Internet et les bibliothèques, à l'intention des citoyens et de multiples acteurs du développement comme les entreprises et les établissements scolaires". Selon une définition proposée par l'Unesco, le domaine public informationnel est "constitué par l'information publiquement accessible, dont l'utilisation ne porte atteinte à aucun droit légal ni à aucune obligation de confidentialité. Il englobe ainsi l'ensemble des oeuvres ou objets de droits voisins qui peuvent être exploités par quiconque sans autorisation, par exemple parce que la protection n'est pas assurée en vertu du droit national ou international, ou en raison de l'expiration du délai de protection. Il englobe en outre les données publiques et l'information officielle que les gouvernements et les organisations internationales produisent et mettent volontairement à la disposition du public". Dans un document publié, il y a maintenant un peu plus de cinq ans, par Saïd Essoulami, directeur exécutif du Centre pour la Liberté des Médias au Moyen Orient et en Afrique du Nord (CMF MENA) sous l'intitulé " Plaidoyer pour le droit d'accès à l'information au Maroc ", l'auteur souligne, entre autres, que nulle part dans le monde, la revendication du droit à l'accès à l'information n'a été réalisée " sans obstacles " et " sans travail de longue haleine ". "Des coalitions nationales se sont formées regroupant partis politiques, syndicats, presse, patronat et organisations des droits de l'homme et société civile. Elles ont mobilisé les citoyens, persuadé les parlementaires et les ministres, organisé des réunions publiques et des manifestations, publié des rapports avant de gagner la bataille ", a-t-il écrit dans ce document qui rappelait que déjà plus de soixante pays avaient "adopté une loi garantissant à leurs citoyens le droit à l'information, et dans plus d'une quarantaine de pays, la société civile est fermement engagée dans ce lobbying". Des différentes études portant sur ce sujet, on ne peut que retenir cette affirmation constituant le dénominateur commun à savoir que le droit à l'information n'est pas exclusif à une catégorie de la population et ce n'est pas non plus l'apanage des seuls hommes d'affaires ou des journalistes. Le droit à l'information a de nombreuses répercussions sur la satisfaction des besoins des individus et des groupes dans toute société. Cela va des plus élémentaires besoins de santé, d'éducation, d'habitat et de travail, aux plus complexes, comme le droit de vote, la participation à la vie publique, la prise de décisions politiques et la possibilité de demander des comptes, estime-t-il. En fait, si l'on veut résumer en quelques mots les propos de ce chercheur on ne peut que retenir, comme lui-même l'avait expliqué, que "l'accès à l'information est une nécessité pour la bonne gouvernance et cela a des effets directs et positifs sur le développement de la démocratie politique, le progrès économique et social ". Le gouvernement marocain a entrepris de multiples réformes comme la fin du monopole étatique sur les moyens audiovisuels d'information (télévision et radio), la réforme du Code de la presse, la constitution de l'Instance Equité et Réconciliation, la loi sur l'obligation pour l'administration de justifier ses décisions, l'institution du Diwan al-Madhalim ainsi que le E-gouvernement. Dès lors, d'aucuns estiment que le droit d'accès à l'information ne peut que compléter cette série de réformes qui constituent les maillons d'une longue chaîne consacrant les droits de l'Homme. Ce droit ne peut que contribuer à la création d'une société ouverte et démocratique, au développement politique, économique, social, culturel, à la lutte contre la corruption et au renforcement de la transparence.