Déformation faciale, nanisme, gros ventre et décès avant l'âge de 8 ans, c'est le triste sort qui attend des enfants atteints de thalassémie en l'absence de traitement. -Par Ali Hassan Eddehbi- Pour la première fois au Maroc, une étude récemment établie sur la maladie, vient sensibiliser davantage sur ce danger redoutable, encore méconnu et sous-estimé, bien qu'il touche environ 3.500 enfants marocains. D'après l'OMS, il y a 5 pc de porteurs sains au Maroc, ce qui supposerait qu'il y ait 30.000 cas d'hémoglobinopathies majeures, et donc un problème de santé publique. Etant une maladie héréditaire, les parents atteints, appelés porteurs sains, n'affichent pourtant aucun symptôme et sans qu'ils fassent un dépistage préalable, ils risquent de transmettre la maladie à leur progéniture. L'enfant né thalassémique, souffre d'un déficit de la production de l'hémoglobine normale adulte A1 ce qui entraîne une anémie chronique en plus de déformations morphologiques. En l'absence totale d'un traitement spécifique, le décès survient en général avant l'âge de 8 ans. Selon une étude dirigée par le Pr. Mohamed Khattab, chef du service d'Hématologie et Oncologie Pédiatrique à l'hôpital d'enfants au CHU Ibn Sina, le nombre des patients atteints de thalassémie majeure, enregistrés dans ce service s'élève à 197, dont seuls 75 sont suivis actuellement et régulièrement, alors que le nombre de nouveaux patients par an est de 15 à 20 durant les cinq dernières années. Chiffre insignifiant pour une maladie qui touche près de 4.000 personnes, d'où l'intérêt de sensibiliser quant à la gravité de cette maladie héréditaire, pour laquelle beaucoup de parents ne pensent pas hospitaliser leurs enfants et encore moins faire un dépistage préalable. +UN FARDEAU ECONOMIQUE ET SOCIAL+ L'exemple de Fatéma est édifiant. Le cas de cette maman de 35 ans avec trois enfants thalassémiques à charge pourrait traduire, à lui seul, la problématique de cette maladie héréditaire du sang dans le contexte marocain. N'ayant jamais entendu parler de thalassémie, son drame a débuté le jour de son premier accouchement. Un bébé thalassémique. Par peur d'affronter les soins qu'exige la maladie de sa fille aînée, le père, inconscient de la gravité de la situation, oblige sa femme à aller se réfugier chez ses parents. La mère encaisse en silence et ce n'est qu'après des mois qu'elle revient à son époux juste pour lui faire un enfant. Cette fois encore, le rejeton naît thalassémique. " Pour le troisième enfant, elle se cache derrière le moindre signe différent par rapport aux deux premiers, pour rejeter le diagnostic sans faire des tests biologiques", raconte le Pr. Khattab. "Elle a refusé d'accepter le diagnostic et de faire des examens à son fils. Ce n'est qu'après 2 ans, suite à l'apparition de multiples déformations sur son visage, qu'elle a accepté la première transfusion", poursuit-il, ajoutant qu'il n'a jamais vu le père depuis 10 ans. Aujourd'hui, à cause d'une négligence et d'un manque de sensibilisation, la maman s'est retrouvée avec trois lourds fardeaux. Cela, en sachant que le protocole thérapeutique minimum est la transfusion sanguine à raison de 5 poches de sang pour les 3 enfants par mois, soit 2.250 DH. Ajoutez à cela la chélation de fer, nécessitant 3 boites de 500mg/mois soit 13.500 DH par mois ! Une mère désespérée et résignée, victime d'un manque de sensibilisation mais aussi de l'absence d'un dépistage, seul moyen de prévenir cette maladie. Néanmoins le cas de Fatéma reste enviable pour beaucoup d'autres mères qui voient leurs enfants mourir devant elles. Au moins ses enfants reçoivent le traitement adéquat et sont entièrement pris en charge par l'Association Marocaine de Thalassémie et des maladies de l'hémoglobine". +QUE FAIRE POUR LES ENFANTS ATTEINTS?+. Le service d'Hématologie et Oncologie Pédiatrique est la seule structure au Maroc qui assure un suivi régulier et programmé des patients atteints de thalassémie depuis 1990. Le traitement conventionnel de la thalassémie est institué à vie et repose sur la transfusion sanguine mensuelle et la chélation du fer. Avec ce mode thérapeutique, la survie est longue et quasi-identique aux non malades. Cette première étude partielle sur la thalassémie au Maroc montre que 95 pc des malades reçoivent leur traitement sous forme de transfusion sanguine régulière, et que seulement 10 à 15 pc des malades sont sous chélation du fer. Il y a lieu de noter que c'est la première fois que les enfants atteints de cette maladie bénéficient gratuitement de la chélation du fer, grâce au soutien du Rotary club de Gênes (Italie). L'autre alternative thérapeutique repose sur l'allogreffe de moelle osseuse qui, à ce jour, reste le seul traitement curatif. Il consiste à injecter des cellules souches à partir d'un donneur HLA identique, en général un frère ou une sœur. Les modalités de prise en charge dans le service se font selon des consultations hebdomadaires personnalisées et par groupes, tous les jeudis avec des conseils et des groupes de parole, précise le Pr. Khattab. +MIEUX PREVENIR QUE GUERIR+. La prévention demeure l'axe le plus important, insiste le Pr. Khattab: "Il faudrait dépister dans la population les porteurs sains et les informer du risque de leur mariage ". Cette démarche a été adoptée sous d'autres cieux et a pratiquement permis d'éradiquer cette maladie handicapante et redoutable. Ces pays ont institué les tests avant le mariage, la naissance ou avant la conception. En clair, si la mère et le père sont des porteurs sains, ils peuvent donner naissance à une forme majeure grave (risque 25 pc), ou une forme mineure asymptomatique (risque 50 pc) ou des enfants sains (probabilité 25 pc), explique le professeur Khattab. Donc pour être malade, l'enfant doit hériter un gène anormal du père et un gène également anormal de la mère. L'héritage d'un seul gène déficient n'entraîne pas la maladie, sachant que la consanguinité, quel que soit son degré, augmente le risque de transmission de cette maladie. Il est donc indispensable d'assurer une prévention de la naissance de nouveaux thalassémiques par le dépistage des porteurs sains parmi la population et leur information des risques du mariage entre les porteurs sains. Des mesures qui dépendent de la mise en œuvre d'une véritable politique gouvernementale en la matière. +COUP DE POUCE ASSOCIATIF (ENCADRE )+. L'Association Marocaine de Thalassémie et des maladies de l'hémoglobine" a été créée en 2002 est essaie d'œuvrer pour informer les malades, les parents et leurs proches de la maladie et faire connaître la maladie au grand public par les média. Présidée par le Pr. Khattab, elle organise plusieurs manifestations notamment lors de la journée mondiale de la thalassémie (8 mai) de même qu'elle travaille pour défendre les intérêts des malades auprès des hôpitaux et du ministère de la Santé. Cette association est membre votant de la Fédération Internationale de thalassémie et elle est un des acteurs principaux du programme thalassémie Maroc 2007-2011 en partenariat avec des clubs Rotary de Rabat et de Gênes en Italie.