"Lan Amouta Kabla An Amout" (je ne mourrais pas avant terme), est une phrase que feu Allal El Fassi, dont on a célébré récemment le centenaire de la naissance, aimait à répéter pour réaffirmer sa détermination de continuer à militer pour la libération de sa patrie et la défense de sa dignité jusqu'aux derniers instants de sa vie. Par Jamaleddine Belarbi Feu Allal El Fassi (1910-1974), la figure nationale, l'intellectuel éclairé et le poète à la sensibilité débordante résiste à l'oubli et son souvenir demeurera à jamais ancré dans la mémoire collective du peuple marocain. A force d'admirer le parcours militant de feu Allal El Fassi, les Marocains ont fini par associer son nom au militantisme et au sacrifice de soi pour la patrie et omis involontairement de s'intéresser à sa vie en tant qu'homme, qu'époux, père et Marocain imbu des traditions de son pays. Une enfance orpheline Allal El Fassi est né en 1910 à Fès, précisément à "Derb Al Hakkar". Sa mère s'appelait Radia Lamsaffer et son père, qui répondait au nom de Abdelwahed, exerçait dans l'enseignement à l'université Al Qaraouyine outre son travail dans le domaine de la justice. Allal El Fassi était fils unique, qui a perdu sa mère alors que son âge ne dépassait guère cinq ans. Il a vécu dans le giron de son père et de sa belle mère, endurant dès son jeune âge les affres d'une enfance orpheline, ce qui a amené son père à redoubler d'efforts pour que son fils ne souffre pas trop du vide qu'a suscité en lui la disparition de sa mère. Il s'est ainsi évertué à jouer le rôle à la fois du père et de la mère en dépit de la conduite irréprochable qu'adoptait à son égard la belle-mère qui a continué à vivre au sein de la famille de Allal El Fassi jusqu'à sa mort. Le manque d'affection et d'amour dont a souffert Allal El Fassi à cause de la disparition prématurée de sa mère l'a vraisemblablement motivé à briller dans ses études et à se distinguer parmi ses collègues en se sens que son intelligence s'est manifestée dès son jeune âge. Il a en effet mémorisé le Saint Coran alors qu'il n'avait que sept ans. Après des études au "M'sid", il a rejoint l'école avant d'intégrer l'université Al Qaraouyine où il a décroché le diplôme "Al Alamia" à l'âge de 23 ans.
Une soif incommensurable pour le savoir Abdelwahed El Fassi, fils du défunt raconte, dans une déclaration à la MAP, que son père se levait tôt et après avoir accompli la prière d'Al Fajr et pris son petit déjeuner, se rendait à la faculté pour y donner des conférences à Casablanca, Rabat ou Fès. Quand il n'avait pas de conférences à animer, il gagnait la bibliothèque générale qui regorgeait de livres et de manuscrits rares pour mettre à jour ses connaissances culturelles et enrichir ses études de la Chariaa. Il se rendait aussi au siège du parti sis à Bab El Had à Rabat. Allal El Fassi passait le plus clair de son temps dans sa chambre à coucher en train d'écrire sur son lit au lieu du bureau au point qu'il y restait longtemps faisant savoir aux membres de sa famille qu'il était en train d'écrire des poèmes. Les plats traditionnels qu'il aimait et l'habit national qu'il tenait à porter procédait de son attachement au produit national quel qu'il soit. Il adorait la "Djellaba" et le "Silham" (le bernous), comme il pouvait aussi prononcer le prêche du vendredi, vêtu d'une tenue moderne.
Un féministe engagé La femme était pour lui fondamentale. Il disait d'elle : "armez-la du savoir et laissez la libre au même titre que l'homme". Cette approche s'expliquerait aussi par la situation d'orphelin qu'il a dû vivre à un âge précoce après le décès de sa mère. Feu Allal El Fassi aimait son épouse à qui il a consacré des poèmes nonobstant les conditions difficiles d'exil. De ses filles qu'il chérissait au plus haut point, il disait qu'elles étaient des roses. Mais en matière d'éducation, il faisait la différence entre les garçons et les filles. Envers ces dernières il témoignait plus d'affection. Bien qu'il ait été privé dès son jeune âge de sa mère, ses rapports avec sa belle-mère étaient faits de respect et d'estime. Cette dernière le couvrait d'affection tel un fils quelle n'a pas pu elle-même engendrer. Lui aussi l'aimait beaucoup au point qu'il l'appelait "Aaouinti" (mes yeux) l'assimilant ainsi au bienfait de la vue, un sens que l'homme a de plus précieux. Le défunt a épousé à l'âge de vingt ans une fille appartenant elle aussi à une famille fassie, mariage qu'il n'a pas célébré avec faste. Au regard de la conjoncture que le Maroc traversait à cette époque, il s'était contenté d'organiser une modeste cérémonie à laquelle avaient été conviés les proches. Son épouse avait souffert de sa séparation lorsqu'il était en exil au Gabon et quand il se déplaçait dans les différentes capitales du monde pour expliquer et défendre la cause nationale. Une épouse qu'il aimait particulièrement comme il le lui signifiait dans les lettres qu'il lui envoyait depuis son lieu d'exil. Dans l'une de ses correspondances, il l'a informé, raconte son fils, que son absence allait perdurer lui donnant le choix entre l'attente ou la liberté. Cette dernière option a été rejetée par ma mère qui a préféré l'attendre neuf ans durant dans la souffrance, alors qu'elle avait encore à élever ma soeur qui était en bas âge, ajoute Abdelwahed El Fassi. Dans son exil forcé, feu Allal El Fassi a résidé dans un village lointain où il était hébergé dans des conditions déplorables. A son retour d'exil feu Allal El Fassi a gagné le nord du Maroc, précisément Tanger, ville qu'il préférait particulièrement et où il aimait se promener sur l'avenue Mohammed V ou prendre un café en compagnie des amis dans les cafés "La Porte" ou "La Espagnola".
Profession du père : Grand leader Allal El Fassi Abdelwahed El Fassi raconte, parmi les anecdotes, qu'un jour lorsque l'instituteur lui demanda de remplir un formulaire sur les données personnelles, il ne savait que faire s'agissant de la case réservée à la profession du père. Il a fini par inscrire "Allal El Fassi, Grand leader", précisant qu'il s'agissait de l'unique phrase qu'il a eu l'habitude de lire sur les lettres qui arrivaient à la maison. Feu Allal El Fassi ne craignait pas la mort. Il ne songeait pas à sa fin tant qu'il s'acquittait de ses devoirs national et religieux. A ce propos ses proches se rappellent encore un incident, en l'occurrence une tentative de son assassinat qui l'a visé alors qu'il se trouvait au Caire au début des années 1950. Il a en effet refusé de récupérer un colis qui lui était destiné, colis qui a explosé quelques minutes après ce refus. "N'a-t-il pas dit : Lan Amouta Kabla An Amout".