C'est dans un désert caillouteux, à cinquante kilomètres au sud d'Erfoud, que le réalisateur marocain Hamid Bennani a choisi de tourner certaines séquences de son prochain long-métrage "L'Enfant Cheikh". Sous des hauteurs revêtues de roches noires, l'auteur de "Wachma" (1970) recompose l'une des inoubliables épopées berbères du temps de la résistance contre le colonisateur français. Du haut de ses 68 ans, il gère paternellement, mais surtout professionnellement, une jeune équipe. Avec un Kamal Derkaoui comme chef opérateur, le plateau de tournage est totalement maitrisé. Du côté d'un oued sec, Farah Halfaoui qui incarne le rôle de Toucha, conduit un groupe de guerrières des Aït Atta, en chantant une poésie lyrique amazighe célébrant le mont du Saghro qui a abrité les braves fils de Boughafer, à leur tête Assou ou Baslam. Au milieu de ces femmes, un petit garçon d'à peine six ans marche avec nonchalance. Idir, personnage nodal de la fiction, est élu chef de communauté de ces femmes qui ont perdu leurs hommes dans la guerre contre les français. Le mythe de l'enfant sauveur ayant marqué les civilisations méditerranéennes, ne pourra jamais achever son parcours narratif dans le film, en dépit des tentatives du facteur adjuvent de son père (Baha) interprété par Mohamed Majd et de Zahra, campé par la comédienne Sanaa Mouzian. Mais la violence de cette conquête militaire coloniale et ses conséquences d'aliénation et de spoliation auront eu gain de cause et empêcheront le mythe de devenir réalité. "C'est la première fois que ce mythe méditerranéen d'enfant sauveur se réalise, mais le processus n'arrive pas à sa fin", explique Hamid Bennani. Les Aït Ouaaziq, l'une des fractions de la confédération des Aït Atta, auront perdu ainsi leur sauveur. Mais, la bataille de Boughafer restera dans les annales de l'histoire. Les généraux Vial et Huré ainsi que l'historien Henri de Bordeaux ont apporté des témoignages sur la bravoure inégalée des "indigènes". La mort du capitaine Bournazel, nommé "Balmorel" dans le film, a été à lui seul au goût d'une défaite significative. Reconvertir la célèbre bataille de Boughafer au grand écran revient à creuser dans les dédales d'une histoire épique écrite principalement par la sociologie colonialiste, mais que les contes populaires des Aït Atta préservent. Bennani, qui a pris place sur une petite colline surplombant le plateau de tournage depuis le petit matin, a puisé dans les deux registres. L'esprit d'une fiction qui emprunte à la réalité ses éléments de base le motivait et la volonté d'approcher un événement phare du nationalisme marocain le hantait. "Je pense que les artistes en général doivent chanter leur histoire et l'interroger de telle manière à en faire un objet d'art et une référence culturelle et chercher la part de l'imaginaire dans le réel", estime-t-il. Passionné et dynamique tel un jeune cinéaste, le réalisateur de "La prière de l'absent" (2001) trouve certainement son plaisir à filmer ce Maroc profond où les gens vivent, aiment, souffrent et rêvent. "Mon rôle consiste à lire entre les lignes de l'Histoire et à relever la part de l'imaginaire dans le réel", dit-il. Les principaux personnages de cette histoire présentée sous forme d'un récit relaté en flash-back par Saïd, enfant adoptif de Baha, sont interprétés notamment par Mohamed Majd, Mohamed Bestaoui, Driss Roukh, Sana Mouziane, Mohamed Rizqui et Mohamed Lotfi. Les membres de l'équipe technico-artistique déploient un double effort, implanter d'abord leur logistique dans des endroits assez accidentés, accomplir ensuite leur mission consistant à préparer un plateau adéquat aux acteurs et contribuer au tournage en tant que perchiste, ingénieur de son, costumières, décorateurs. Ce tournage est appuyé par une jeune équipe locale composée notamment de Abdelhaq Bediar, Mohamed Saidi, Jawad Baraka et Omar Jyad. Une équipe, dont les membres ont déjà travaillé dans d'autres tournages internationaux. "Erfoud mérite bien un studio pour qu'elle puisse accueillir de grandes productions", soutiennent-ils en chœur.