En accusant les autorités marocaines d'entraver le travail des journalistes qui couvrent les évènements d'Al Hoceima, Reporters Sans Frontières (RSF) défend-elle réellement la liberté de la presse ? La réponse cinglante du ministère de la communication à RSF, qui qualifie de fausses allégations les déclarations de ladite organisation, souligne un fait à la fois basique et essentiel : l'exercice du journalisme est régi par la loi et les professionnels répondant aux critères légaux exercent leurs activités, dans la province d'Al Hoceima ou partout ailleurs au Maroc, sans la moindre contrainte. Sur les sept « journalistes » arrêtés que RSF prétend défendre, un seul dispose effectivement d'une carte de presse, Hamid El Mahdaoui, qui a été appréhendé non pas pour ce qu'il a écrit, mais plutôt pour avoir, sur la place publique à Al Hoceima, appelé à manifester. Les faits pour lesquels il a été poursuivi ne relèvent donc pas d'un manquement au code de la presse, mais plutôt du code pénal. Ce qui amène à s'interroger sur un autre terme utilisé par RSF dans son communiqué relatif aux évènements d'Al Hoceima, celui de « journalistes-citoyens ». Serait-ce une nouvelle catégorie de personnes qui exercent, d'une manière tout aussi nouvelle, le journalisme et qui ne seraient pas tenues, de ce fait, de respecter la loi ? Tout journaliste qui se respecte inscrit ses activités professionnelles dans le cadre d'un code éthique, la référence en la matière étant la Charte de Munich de 1971. Elle stipule clairement qu'il ne faut« jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste ». En d'autres termes, le journaliste n'est pas quelqu'un qui fait de la réclame, ni un activiste. Son devoir est de s'informer pour informer. Quand aux activistes politiques qui se prétendent journalistes, tout en sachant pertinemment qu'ils ne sont pas légalement reconnus comme tel, nul besoin de préciser que la solidarité professionnelle à leur égard n'a aucun lieu d'être. De ce mélange hétérodoxe des genres, ce sont les vrais journalistes, qui sont normalement plus en droit d'être soutenus par RSF, qui ne vont pas manquer de faire les frais. Car, si pouvoirs et opinion publics n'arrivent plus à distinguer les journalistes des activistes politiques, s'en est fait de la crédibilité des premiers. Les évènements d'Al Hoceima ont été tellement médiatisés, au Maroc comme à l'étranger, les reportages à ce sujet ont été réalisés sous tous les angles possibles,ont traitéde toutes les causes et effets imaginables, et même totalement fictifs, reflété toutes les positions exprimées, autant celles des meneurs du Hirak que des autorités, qu'il semble réellement malhonnête de prétendre qu'il y a eu entrave à la couverture desdits évènements. Que la police mette la main sur des meneurs et provocateurs est un tout autre sujet. Que la chaîne de télévision France24 diffuse des images des évènements au Venezuela, en faisant croire à ses spectateurs qu'elles ont été filmées à Al Hoceima, avant de s'en excuser, suivie plus récemment par le journal israélien Haartez, qui a plus subtilement fait le parallèle entre les manifestations à Caracas et Al Hoceima, tout en semblant « craindre » un nouveau printemps arabe au Maroc, laisse dubitatif. L'on est légitimement en droit de se demander s'il s'agit d'organes d'information ou de propagande grossière et quels desseins obscurs sont-ils ainsi censés servir.C'est plutôt au sujet de l'instrumentalisation des médias, mortellement dangereuse pour la profession journalistique, que l'on aurait escompté une prise de position franche et courageuse de RSF. Et ce si RSF agit réellement en faveur du journalisme, en n'étant pas elle-même un instrument... L'influence et le respect, déclinants par ailleurs, dont jouit la presse auprès de l'opinion publique découle uniquement de son rôle dans la diffusion de l'information convenablement collectée et recoupée, objectivement traitée, laissant l'usager de cette information seul juge de l'interprétation à lui donner et des prises de position que la consommation de cette information pourraient ainsi entraîner. Déroger à cette règle sacro-sainte, c'est condamner le journalisme à devenir un simple instrument de communication publicitaire ou politico-subversif et perdre le peu de crédibilité que l'opinion publique voue encore à la presse. Yasser Ayoubi