Au cours des quinze dernières années, le Maroc a réalisé des avancées incontestables, tant sur le plan économique et social que sur celui des libertés individuelles et des droits civiques et politiques. Tel est le constat de la Banque Mondiale dressé dans son Mémorandum 2017 intitulé : « Le Maroc à l'Horizon 2040 : Capital Immatériel et les Voies de l'Emergence Economique ». Ces avancées se sont notamment traduites par une croissance économique relativement élevée, une augmentation sensible de la richesse nationale et du niveau de vie moyen de la population, une éradication de l'extrême pauvreté, un accès universel à l'éducation primaire et globalement un meilleur accès aux services publics de base et enfin un développement considérable des infrastructures publiques. Grace à ces avancées, le Maroc a pu enclencher un processus de rattrapage économique vers les pays d'Europe du Sud (Espagne, France, Italie, Portugal), souligne la Banque Mondiale. Cependant, l'institution de Breton Woods estime que l'insertion des jeunes dans la société constitue encore un point noir pour le Maroc. Avec environ un jeune sur deux âgés de 25 à 35 ans disposant d'un emploi – souvent informel et précaire – l'emploi des jeunes constitue un défi majeur. Le Maroc est également confronté à la nécessité de répondre à une demande moins immédiate mais tout aussi pressante que celle de l'emploi qui concerne l'aspiration d'une jeunesse à un niveau de vie qui puisse se rapprocher rapidement de celui que connaissent les pays plus avancés. Or, le processus de convergence économique enclenché depuis 15 ans est relativement lent, notamment en comparaison avec celui affiché par d'autres pays émergents qui ont réussi à combler leur retard de façon significative. Même si la situation politique nationale a largement évolué depuis 2011, les aspirations de la jeunesse marocaine à un avenir meilleur demeurent présentes. Quelques faits stylisés de l'économie marocaine en 2016 Dans son rapport, la Banque Mondiale passe en revue quelques faits marquants de l'économie en 2016. Le premier fait soulevé est que les progrès économiques et sociaux indéniables réalisés au cours de la dernière décennie ne peuvent être tenus pour définitivement acquis. Du côté de l'offre, l'effort important d'investissement – principalement le fait de l'Etat et des entreprises publiques – ne s'est pas encore traduit par des gains de productivité significatifs et ne peut être poussé davantage. Du côté de la demande, la croissance a été principalement tirée par la demande intérieure sur fond d'augmentation de l'endettement de l'état, des entreprises et des ménages. Le deuxième fait marquant de l'année 2016 : la dynamique structurelle de l'économie marocaine fait apparaître trois tendances essentielles : une difficulté d'allocation du travail non-qualifié qui découle d'une industrialisation qui reste globalement insuffisante, nonobstant des succès retentissants dans certains secteurs émergents (automobile, aéronautique, agroalimentaire, énergies renouvelables, etc.) ; une difficulté d'allocation du travail qualifié résultant de la lenteur de la montée en gamme du tissu économique, et notamment des demandes de cadre moyens et supérieurs ; et une difficulté d'allocation des talents conduisant à un faible dynamisme entrepreneurial. Peu structurées, de taille modeste et faiblement internationalisées, les entreprises marocaines s'avèrent globalement peu dynamiques et innovantes. Quel Maroc à l'horizon 2040 ? Pour les experts de la Banque Mondiale, atteindre et conserver pendant 25 années un niveau élevé de croissance économique inclusive et de création d'emplois de qualité constitue l'un des défis politiques et économiques majeurs pour le Maroc. Ils soulèvent ainsi des scénarios possibles pour le Royaume. Le premier scénario est que la transition démographique, l'urbanisation de la société dans un contexte de régionalisation avancée, et la montée du niveau de formation de la population sont trois tendances profondes et structurelles qui traversent la société et qui constituent une fenêtre d'opportunité unique dans l'Histoire du Maroc. En particulier, le faible taux de dépendance (part des moins de 15 ans et des plus 65 ans dans la population totale) prévu jusqu'en 2040 constitue une véritable aubaine démographique. Le second scénario possible pour le Maroc est que ces tendances structurelles ne suffiront pas à elles seules à déclencher une accélération durable de la croissance. Afin d'échapper à ce que l'on appelle « la trappe des pays à revenu intermédiaire », le Maroc devra atteindre et - ce qui est plus important encore - conserver pendant une génération au moins des gains de productivité plus élevés que par le passé. Le troisième scénario consiste à extrapoler les tendances observées pendant la période 2000-2015 (forte accumulation de capital fixe, créations d'emplois limitées, et faibles gains de productivité) repose sur une mécanique d'accumulation de capital qui apparait difficilement soutenable d'un point de vue macroéconomique : le taux d'investissement ne peut continuer à croitre indéfiniment. Sans accélération des gains de productivité, la croissance ne peut que décélérer. La dynamique atone des années récentes peut s'interpréter comme une préfiguration de ce scénario de lente convergence. Le quatrième scénario est que les gains de productivité constituent la clé de voûte d'une croissance forte et viable à long terme à même d'améliorer le bien-être et la prospérité des Marocains tout en renforçant la paix et la stabilité sociale. Le scénario de rattrapage économique accéléré fait l'hypothèse d'une hausse de la productivité totale des facteurs de 2% par an et d'une hausse du taux d'emploi de la population en âge de travailler, qui passerait de 45% en 2015 à 55% en 2040, principalement sous l'effet d'une hausse du taux d'emploi des femmes, persistance qui est aujourd'hui extrêmement faible, autour de 23%. L'effet cumulé des hausses de la productivité et du taux d'emploi conduirait à une croissance tendancielle plus forte et durable, d'au moins 4,5% par an jusqu'en 2040. Autre scenario évoqué par la BM : Doubler les gains de productivité à 2% par an pendant plusieurs décennies représente un vrai défi car cela suppose une transformation structurelle profonde de l'économie et des gains d'efficience substantiels. Les gains de productivité supplémentaires ne découleront pas uniquement de nouveaux investissements en capital fixe mais d'un effort accru pour accumuler davantage de capital immatériel, c'est-à-dire de capital humain, institutionnel et social. Les évolutions de la productivité et du capital immatériel sont en grande partie liées, et c'est autour de ces deux variables clés que se détermineront la trajectoire de croissance et l'évolution du bien-être de la population marocaine à l'horizon 2040. Pour le dernier scenario, la BM souligne que le Maroc, en réorientant prioritairement ses politiques publiques vers le développement de son capital immatériel, serait naturellement amené à faire évoluer sa stratégie de développement et à renforcer la gouvernance des politiques sectorielles. Quelles voies possibles pour réaliser l'émergence économique ? La Banque Mondiale fait observer, d'autre part, que l'accélération durable de la productivité totale des facteurs ne pourra résulter d'une seule réforme, aussi ambitieuse soit-elle. En d'autres termes, l'augmentation du capital immatériel du Maroc sera nécessairement multiforme et devra viser à promouvoir un contrat social fondé sur la promotion d'une société ouverte ; c'est-à-dire sur le renforcement des institutions, le recentrage de l'action de l'Etat sur ses fonctions régaliennes, le développement du capital humain et le renforcement du capital social. Pour renforcer les institutions d'appui au marché, la BM recommande à ce que l'allocation soit plus concurrentielle du capital. « Pour débrider le moteur de l'innovation, le Maroc pourrait agir dans les trois domaines stratégiques suivants : renforcer la concurrence et lutter contre l'ensemble des rentes ; informer et associer davantage les acteurs économiques aux décisions qui les concernent, en particulier les acteurs locaux ; et promouvoir un changement culturel à l'égard de l'entreprise et de l'innovation », explique-t-on. De même, afin de renforcer les institutions d'appui au marché, le marché du travail doit être plus efficient et inclusif. « Nos estimations suggèrent qu'une refonte du code du travail augmenterait significativement la participation économique et l'emploi, notamment celui formel des jeunes et des femmes, et réduirait le chômage tout en préservant les salaires. La réforme pourrait viser à assouplir significativement la réglementation du travail, renforcer la sécurité des travailleurs ; et améliorer l'efficacité des politiques actives du marché du travail », affirme la Banque. Aussi, le Maroc doit être fortement intégré dans l'économie internationale et les chaînes de valeur globales. Ce changement passerait par la disparition du « biais anti-export » qui continue à caractériser les institutions et les politiques gouvernant les échanges extérieurs, notamment par un assouplissement du régime de change, une libéralisation du contrôle des capitaux, une réduction des barrières tarifaires et non tarifaires, une meilleure facilitation du commerce et une amélioration du régime d'investissement. Les perspectives d'un accord de libre-échange approfondi et complet (ALECA) ambitieux avec l'Union Européenne et la nécessaire mise à niveau des règles et réglementations du Maroc dans de nombreux secteurs constitueraient un objectif stratégique doté d'un fort potentiel de transformation pour l'économie marocaine. Par ailleurs, afin de renforcer les institutions et services publics, la BM suggère le respect de la règle de droit et de la justice. Le Maroc aurait tout intérêt à veiller à mettre en oeuvre les nouveaux droits conformément à l'esprit de la nouvelle Constitution et la Charte de la réforme du système judiciaire, y compris à travers des dispositions complémentaires qui paraissent nécessaires pour envoyer rapidement un signal fort de changement effectif en vue d'une meilleure protection des personnes, des biens et des contrats. Modernisation de l'administration publique La Banque appelle également la modernisation de l'administration publique. Les voies de réforme généralement suivies dans le monde visent à décentraliser les responsabilités en matière de gestion des ressources humaines, responsabiliser les gestionnaires, accroître la flexibilité des politiques de recrutement et de développement de carrière, encourager la performance individuelle et collective et, plus largement, débureaucratiser l'administration. Les priorités pour le Maroc viseraient à décentraliser l'Etat ; réformer la fonction publique en introduisant effectivement les notions de performance et de résultats dans la gestion des ressources humaines ; réduire les coûts de fonctionnement de l'administration par un meilleur contrôle des effectifs et de la masse salariale ; et lancer une réflexion plus globale et stratégique sur la notion même de fonction publique au 21ème siècle. Autre recommandation avancée par la BM : une meilleure gouvernance des services publics. L'amélioration de la gouvernance des services publics suppose de placer le citoyen-usager au coeur du système comme bénéficiaire et régulateur de celui-ci et notamment de donner pleinement la parole à l'usager-citoyen ; de systématiquement informer le public et rendre des comptes ; de simplifier et rapprocher la décision de l'usager ; et d'expérimenter et évaluer de nouvelles approches en matière de service au public. Dans le but de renforcer le capital humain, afin de réaliser l'émergence économique, la BM appelle à ce que l'éducation soit placée au coeur du développement. Pour être efficace, la réforme éducative doit être réaliste et sélective. Elle devrait s'attaquer aux contraintes majeures, dans le cadre d'une « thérapie de choc » visant à provoquer un « miracle éducatif », c'est-à-dire une amélioration très significative du niveau des élèves marocains. Cela passerait par la modernisation de l'écosystème éducatif dans son ensemble ; une meilleure sélection et formation des enseignants ; l'adoption d'une nouvelle gouvernance de l'école publique ; le développement d'une offre éducative alternative (écoles à charte, chèques-éducation, écoles libres, etc.) ; et la promotion des compétences dites du XXIème siècle, notamment par un plus grand usage des technologies de l'information et de la communication à l'école. Toujours au niveau du capital humain, la BM suggère l'investissement dans la santé pour une meilleure santé économique. En appui à la stratégie du gouvernement, et pour renforcer l'autre dimension essentielle du capital humain, les axes prioritaires de réforme devraient viser à étendre la couverture médicale et adapter l'offre de soins ; mobiliser et améliorer l'efficacité allocative des dépenses de santé en faveur des soins de santé primaire ; et parallèlement renforcer significativement la gouvernance du système de santé pour garantir l'efficience des nouveaux moyens en accroissant la redevabilité de tous les acteurs, en remobilisant les personnels de santé et en introduisant un système d'information et de gestion sanitaire intégré. La BM préconise, d'autre part, le développement de la protection et de l'éducation de la petite enfance. « Que l'on se place sur le plan des droits de l'homme, de l'égalité des chances ou encore de l'efficacité économique, il faudrait veiller à ce que tous les enfants marocains puissent bénéficier d'une meilleure protection et d'un meilleur développement lors de la petite enfance. Ceci nécessite des efforts importants d'information etde campagnes publiques de sensibilisation sur l'importance de la petite enfance ; une meilleure coordination des politiques et programmes de soutien de l'Etat ; des investissements de qualité supplémentaire dans le préscolaire ; et une plus grande information et responsabilisation des parents, notamment des pères », indique-t-on. Pour le renforcement du capital social, susceptible réaliser l'émergence économique, la BM est pour l'égalité entre les sexes. « Beaucoup reste à faire pour améliorer l'accès des femmes aux opportunités économiques et augmenter leur autonomie. Les politiques pourraient être infléchies autour de trois axes majeurs : accroître les opportunités économiques pour les femmes ; encourager l'émancipation, la liberté d'action et l'autonomie des femmes ; et systématiser la prise en compte du genre dans l'action politique et poursuivre la modernisation du droit », martèle la Banque. Une plus grande confiance interpersonnelle est aussi recommandée par l'institution de Breton Woods. La gamme des moyens permettant à un pays d'augmenter son capital social est assez limitée car on ne décrète pas la confiance générale entre les citoyens, pas plus que le savoir-vivre, le savoir-être ou le savoir-faire ensemble. Le capital social est un sous-produit de facteurs structurels permanents ou hérités du passé difficilement modifiables (la géographie, l'Histoire, la culture). Pour autant, des travaux ont mis en évidence la possibilité d'accroître le niveau de capital social en faisant en sorte que la règle de droit soit mieux appliquée et respectée ; en promouvant le sens civique et l'exemplarité dans toutes les sphères de décision ; en encourageant l'engagement associatif et le développement de la société civile; et en accompagnant l'évolution des mentalités et des normes socioculturelles, notamment à travers des campagnes d'information dédiées. Le Maroc fait figure d'exception dans un monde arabe en effervescence La Banque Mondiale conclut que le Maroc fait figure d'exception dans un monde arabe en effervescence. Il dispose d'atouts considérables pour renforcer sa singularité et devenir à l'horizon de la prochaine génération le premier pays d'Afrique du Nord non producteur de pétrole à rejoindre le club des pays émergents. Pour cela, le Maroc peut s'appuyer sur des leviers réels de changement à la fois sur le plan politique (la stabilité de son leadership), sur le plan institutionnel (les valeurs et les principes entérinés par la Constitution de 2011) et sur les plans économique, social et environnemental (la convergence normative vers l'UE) pour renforcer son capital immatériel, source principale de toute prospérité future partagée. En effet, si la comptabilité patrimoniale ou la compatibilité en termes de capital nous enseigne une seule leçon, c'est qu'un développement durable, c'est-à-dire un développement à la fois viable, vivable et équitable, repose essentiellement sur l'accumulation d'actifs immatériels sous la forme de capital institutionnel, capital humain et capital social.