Le ministère chargé du programme « Villes sans bidonvilles » a annoncé que, cette année, on fêtera sept nouvelles villes sans bidonvilles qui s'ajoutent aux 50 villes déjà fêtées. Il s'agit notamment de Tanger, Tétouan, Settat, Labrouj, Missour et deux autres. D'après le même ministère, cette année célébrera le chiffre flatteur de 57 villes marocaines sans bidonvilles. Cela veut simplement dire que le programme est sur le point d'être achevé et avec un résultat de 100 pour 100 de réussites. Peut-on être satisfait à 100 pour 100 de ces résultats à prime abord trop bons ? La réponse risquera fort bien d'être mitigée. Et pour cause, le développement de l'habitat illégal est une réalité à l'échelle nationale, notamment sur le littoral qui est soumis à une forte pression anthropique. La consommation des espaces par l'urbanisation sur la frange littorale s'accompagne d'une occupation illégale due à un habitat précaire et non soumis au code de l'urbanisme marocain, un espace occupé par des constructions qui passent ipso facto du temporaire au permanent, par des populations issues le plus souvent de l'exode rural. Cette occupation arbitraire met en difficulté les politiques tracées par les pouvoirs publics en vue de l'éradication de tout habitat indécent d'une part, et place les Conseils des villes dans de très mauvaises postures par rapport à leurs efforts aux fins d'une amélioration tangible des conditions de vie de leurs concitoyens. Dès lors, ils se trouvent enclins de trouver des équilibres socio-territoriaux et faire des arbitrages douloureux, dans un contexte de pression humaine, de difficulté financière et de promesses électorales. Dans la mesure où la construction de ces logements précaires et la préservation du littoral fragile sont en jeu, les problématiques ne sont que très multiples : apparition d'un marché noir de l'immobilier, intégration des non résidents dans les communes, problèmes de sécurité et de santé publique, dégradation environnementale. Mais c'est surtout les bidonvilles qui constituent un dossier politiquement sensible, car il touche à la propriété et à la norme qui prime ou qui prévaut sur l'espace du littoral, qui demeure bien, hélas, très convoité par les prédateurs, avec des frontières floues entre le maintien des coutumes et le respect des lois et la faible capacité des acteurs publics à faire respecter les règles. L'habitat illégal apparaît de ce fait comme une entrée intéressante pour comprendre l'une des composantes de la construction anarchique le long du littoral national. Il interroge de manière parabolique l'évolution de son occupation sur le temps long terme : son attractivité croissante, la stratification des formes d'occupation de l'espace, le rapport des populations à la norme, le jeu des acteurs institutionnels et privés. La pérennisation de ces constructions et le changement de leur usage participent d'un processus où le temporaire toléré devient le permanent imposé par les voies de fait, des voies bien évidemment en flagrant délit avec les règles d'urbanisme. De ce fait, et sur le plan fonctionnel, il faut bien avouer qu'il existe une «bidonvilisation» de la pauvreté qui semble pérenne sur les espaces longeant le littoral, surtout le long de l'axe Kénitra/El Jadida.