Dans la plupart des cas, les immigrés, quand ils arrivent dans un pays, notamment en France, ils sont souvent sans papiers d'identité ou que ces derniers soient inexploitables du fait de leur illisibilité. En France, être identifié comme une personne majeure ou mineure est un enjeu déterminant pour un immigré isolé. Car, s'il est reconnu majeur, il sera en situation d'irrégularité et menacé d'expulsion. S'il est mineur, il sera pris en charge par l'Etat français, selon le dispositif juridique de la protection de l'enfance. Et pour parvenir à déterminer un âge, la justice française va recourir à des examens médicaux, notamment radiologiques. Dans cet entretien, Dr Boumehdi Bounhir voudrait attirer l'attention sur l'utilisation d'examens radiologiques, qui au départ, étaient destinés à des fins diagnostiques et thérapeutiques, et qui peuvent être détournés à des fins policières et juridiques L'Opinion : Dans quelle mesure les examens radiologiques peuvent aider à connaitre l'âge d'une personne ? Dr Boumehdi Bounhir : Il s'agit de faire une radiographie de face de la main et du poignet gauches de la personne. Ce sont surtout les épiphyses des rayons de la main, c'est-à-dire les extrémités des doigts et des métacarpiens (les cinq os qui composent la paume de la main), qui vont être étudiés. Il s'agit ainsi d'examiner les points d'ossification des doigts : plus il y a de cartilage de croissance, plus la personne est jeune. Quand il n'y a plus de cartilage, le sujet a atteint ce qu'on appelle la maturité osseuse, ce qui correspond plus ou moins à l'âge de 18 ans, selon la personne et le sexe. Le radiologue procède ensuite à la comparaison de cette image à un atlas de référence selon la méthode dite de Greulich et Pyle. L'Opinion : Qu'est-ce que l'atlas de Greulich et Pyle ? Dr Boumehdi Bounhir : Cet atlas a été conçu entre 1931 et 1942 en réalisant des radiographies des mains et poignets gauches d'une cohorte d'enfants américains socialement aisés. Il indique, selon des tranches de six mois ou d'un an, l'état de maturation osseuse des enfants de 2 à 18 ans (19 ans, pour les garçons). La finalité initiale de cette technique n'était pas à l'origine pas judiciaire, mais médicale, puisqu'elle était utilisée, en particulier, dans le suivi des maladies endocriniennes, notamment le retard de croissance d'un enfant. Et il n'y a jamais eu de mise à jour de cet atlas, pourtant sujet à controverse. Cependant, en 2007, une équipe de chercheurs de l'université Méditerranée-Marseille et de radiologues du CHU de Marseille ont fait une étude sur une cohorte «multiethnique» de 1 300 enfants du sud de la France, qui s'est avéré validée en comparaison avec l'atlas de Greulich et Pyle. Malgré tout, la fiabilité de la méthode est largement remise en question depuis plusieurs années, par des instances aussi bien judiciaires que médicales. En août 2011, le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe a notamment émis un avis critique vis-à-vis de la fiabilité et du caractère éthique d'une telle méthode, que l'Angleterre a toujours refuser d'appliquer. L'Opinion : Dans la pratique, quelle est la fiabilité de cette méthode ? Dr Boumehdi Bounhir : En se basant sur des travaux réalisés dans le service de radiologie pédiatrique de l'hôpital Bicêtre, on peut dire qu'il y a une marge d'erreur à double échelle. Tout d'abord, la marge inhérente à la subjectivité de la méthode elle-même. Cette marge d'erreur est estimée entre 12 et 24 mois, même dans les mains de radiologues entraînés, et ne permet en aucun cas de déterminer un âge précis, encore moins sur la tranche d'âge allant de 16 à 18 ans, qui est pourtant celle où on a le plus recours à ce genre de test. Ensuite, il y a la notion de la variabilité inter-individuelle : si l'atlas définit une norme, il ne prend pas en compte les cas extrêmes, c'est-à-dire les personnes ayant eu une maturation osseuse précoce, ou au contraire tardive. Par exemple, il n'est pas rare que des jeunes filles aient achevé leur croissance osseuse dès 16 ans et demi. Par ailleurs, l'atlas de Greulich et Pyle a été établi sur une population aisée des Etats-Unis dans les années 1940. Donc, difficile de savoir s'il s'applique à des personnes issues d'autres pays et, surtout, ayant eu une alimentation différente au cours de leur vie. L'Opinion : Existe-t-il d'autres tests pour déterminer l'âge d'une personne ? Dr Boumehdi Bounhir : Dans presque tous les pays et notamment en France, selon la loi, les autorités judiciaires sont censées recourir à des tests complémentaires afin d'établir un « faisceau d'indices » permettant d'approcher au mieux l'âge d'une personne. En tout premier l'entretien avec la personne pour juger de la cohérence de son histoire. On peut ensuite recourir à des tests physiques et radiologiques osseux. Pour que l'examen soit complet, il faudra donc procéder à un examen morphologique pour déterminer l'avancée de la puberté de la personne : pilosité, développement mammaire pour les femmes et la manière dont les testicules sont accrochés pour les hommes. On peut procéder également à un examen dentaire, qui consiste en une radiographie de la mâchoire et un examen de la morphologie de la troisième molaire. Mais le débat reste toujours ouvert, car selon les instances internationales, tout citoyen du monde, ne peut subir un examen qui émet des radiations, qu'après son consentement, ou celui de son tuteur, s'il est mineur.