Pour mieux comprendre l'évolution possible des cours du pétrole dans les années à venir, nous commençons par examiner les facteurs à l'origine du marasme actuel. Malgré l'extrême volatilité des prix à court terme, sur le long terme (les quatre dernières décennies), le marché pétrolier n'a connu que cinq épisodes majeurs d'expansion et de récession . Les trois grandes flambées des cours ont toutes duré six ans en moyenne. En 1974, le prix du Brent a quadruplé (sous l'effet de l'embargo arabe sur le pétrole) par rapport à son niveau de 2,80 dollars le baril l'année précédente. Ils ont encore triplé en moins de six ans, atteignant 32 dollars le baril en 1979, en raison des tensions géopolitiques provoquées par la révolution iranienne et le déclenchement de la guerre Iran-Iraq. Ils se sont ensuite globalement maintenus à ce niveau avant de plonger de plus de la moitié en 1986. Ils n'ont entamé leur reprise qu'en 2005, doublant leur niveau de 1999 pour dépasser 100 dollars le baril pendant une période de trois ans, 2011-2013. Les trois booms pétroliers étaient essentiellement dus à l'actualité géopolitique et aux craintes d'une interruption brutale de l'offre. Deux chocs importants se sont produits en 1986 et 2014 : le premier a duré 18 ans et le second est toujours en cours après presque trois ans. Ces deux récessions étaient liées à l'offre et faisaient suite à une hausse de production de la part de pays non membres de l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) ainsi qu'aux mesures prises par les pays de l'OPEP pour tenter de conserver leurs parts de marché, tout cela dans un contexte de demande atone. Outre ces deux chocs, un bref effondrement tiré par la demande s'est produit au début de la grande récession de 2008, mais les prix ont rapidement rebondi sous la poussée de la demande mondiale de carburant. Le rôle de l'offre et de la demande. Une analyse plus fine du recul des cours du pétrole en 2014 met en évidence le rôle prépondérant de de certains facteurs. La demande de pétrole est restée faible durant les deux dernières années compte tenu du ralentissement dans les pays d'Europe et d'Asie. La demande chinoise — qui s'est accrue en 2013 à hauteur de la consommation totale du Japon et du Royaume-Uni — est brusquement retombée en 2014 sous l'effet du fléchissement économique de la Chine, outre celui de l'Europe et de certains autres pays d'Asie. À partir d'un simple modèle économétrique, Hamilton (2015) a montré que l'effondrement des prix pétroliers entre septembre et décembre 2014 peut être attribué à hauteur d'environ 42 % à la chute de la demande mondiale face au ralentissement de la croissance en Europe et dans certains pays d'Asie. Du côté de l'offre, le marché pétrolier s'est retrouvé saturé par une offre excédentaire d'environ 1,5 million de b/j qui ne va pas se tarir de sitôt compte tenu des facteurs qui seront examinés ci-après. Volatilité des prix du pétrole. L'offre et la demande de pétrole sont dictées par des conditions marchandes autant que non marchandes qui ne sont pas prédéterminées, d'où l'extrême volatilité des cours du pétrole par rapport à toutes les autres matières premières. Plus que les autres produits, le pétrole est souvent utilisé à des fins d'investissement financier, d'opérations de couverture et de spéculation. Le rôle prééminent de l'Intercontinental Exchange (ICE) de Londres et du New York Mercantile Exchange (NYMEX) dans la négociation des contrats à terme de deux qualités de brut — West Texas Intermediate (WTI) et brut de Mer du Nord — conditionne les attentes quant aux prix du pétrole. L'ampleur des contrats à terme passés par les spéculateurs pour l'achat de brut crée une demande supplémentaire qui peut pousser les prix à la hausse, tout comme la demande physique sur les marchés au comptant. L'attente de prix plus élevés dans les contrats à terme incite les compagnies pétrolières à acheter davantage de pétrole pour le stocker, ce qui augmente les fluctuations de la demande, la volatilité et la constitution de stocks. De plus, le pétrole a servi d'outil de politique internationale et joue actuellement un rôle stratégique dans la politique étrangère des principaux producteurs pétroliers. L'embargo arabe de 1973, la révolution iranienne en 1979, la guerre Iran-Iraq en 1980 et l'embargo récemment décrété par les États-Unis d'Amérique et l'Europe contre l'Iraq, l'Iran et la Libye n'en sont que quelques exemples. Entre 1970 et 2010, on compte au moins douze événements qui ont façonné les chocs sur le marché pétrolier. La valeur du dollar É.-U. est un autre facteur négativement corrélé avec les prix du pétrole. L'affaiblissement du dollar (devise de dénomination des prix pétroliers) peut pousser les prix à la hausse, tandis qu'un dollar fort peut avoir l'effet inverse. Pour rendre compte de l'ampleur de la volatilité des marchés pétroliers, nous avons calculé un indice de volatilité pour la période 1946-2016 d'après des données mensuelles sur les prix réels du baril de Brent. La figure 2 illustre l'indice obtenu, qui représente l'écart-type des prix mensuels du pétrole sur six mois, reporté sur les autres périodes. L'indice de volatilité des prix tend à prendre la forme d'une équation polynomiale de troisième degré, qui présente le meilleur ajustement avec le diagramme de dispersion L'évolution met en évidence une stabilité apparente du marché pétrolier pendant la période 1946-1970. À cette époque, le pétrole n'était pas utilisé à des fins politiques ou spéculatives. La volatilité s'est installée après 1970, avec cinq flambées des cours entre 1970 et 1991, pour ensuite se stabiliser. (L'aggravation de la volatilité a imposé la mise en place de mécanismes permettant aux producteurs et aux consommateurs de se prémunir contre cette instabilité, d'où les contrats bilatéraux, les contrats à terme et les contrats d'options qui n'ont fait qu'ajouter à la complexité du marché ». Si on interrompt la période considérée à 1991, on peut observer que les flambées intervenues entre 1972 et 1991 suivent l'évolution du cycle des affaires (d'une périodicité d'environ six ans), un schéma qui se modifie à mesure que l'on s'approche de la période actuelle. La volatilité commence à augmenter brutalement en 2006, pour atteindre un pic en 2008, année qui marque la plus forte envolée de la volatilité des 43 dernières années. Cela pourrait tenir à l'imprévisibilité des prix à terme et au fait que les cours pétroliers ne réagissent pas seulement à l'ampleur de l'offre et de la demande, mais aux incertitudes du marché, aux appétits divers et variés des investisseurs et à des événements géopolitiques et économiques particuliers qui se sont produits pendant cette période