Quel rôle joue l'économétrie dans la connaissance de l'analyse économique ? L'avenir de l'enseignement de l'économétrie a été débattu lors d'un symposium international à Paris, les 29 et 30 janvier. Aziz Lahlou, Docteur d'Etat, ancien Maître-Assistant à l'Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, actuellement professeur d'analyse économique à l'E.N.A. de Rabat, a participé à cette rencontre. Il nous livre, ci-dessous, ses impressions. Question : C'est quoi l'économétrie ? Peut-on avoir une idée sur cette question ? Réponse : C'est simple, l'économétrie, c'est une méthode d'analyse des données qui, par l'utilisation des statistiques et des mathématiques, recherche des corrélations (des réciprocités ou des interdépendances), permettant l'étude de la précision des phénomènes économiques. Autrement dit, l'économétrie, c'est aussi la mesure des grandeurs et des phénomènes économiques ; plus précisément, on peut la subdiviser en quatre branches. La première, c'est la statistique économique, son but est le recueil et la présentation des « données économiques », à un niveau plus ou moins élaboré (indices des prix, par exemple, les statistiques relatives au chômage, résultats du commerce extérieur...). La deuxième branche, c'est ce qu'on appelle l'économétrie positive, elle s'attache à vérifier la pertinence des théories économiques, mises sous forme de relations mathématiques, (fluctuation et croissance, variabilité des coefficients des variables explicatives). La troisième branche, c'est la méthode statistique de l'économétrie, qui expose les procédures d'ajustement des modèles ; en langage clair, c'est l'évaluation des paramètres des relations entre les variables économiques qui y figurent. Enfin, la quatrième branche, c'est l'économie mathématique. Il s'agit, ici, de déduire, par un calcul algébrique, comment fonctionnerait une économie théorique satisfaisant à ces hypothèses. Cette approche peut être considérée comme analogue à celle de l'économie pure, qui utilise en général une formulation mathématique. Question : Quelle est la place de l'économétrie dans l'arsenal de l'homme politique ou de l'économiste d'action ? En d'autres termes, quel rôle joue l'économétrie dans la connaissance économique du pays ? Réponse : Je pense qu'il ne fait aucun doute que la précision mathématique de l'économétrie a fait des progrès décisifs à la maîtrise des données économiques de notre pays. Aujourd'hui, dans tous les programmes de fonction économique, l'économétrie a sa grande place. Elle est enseignée dans toutes les écoles d'ingénieurs, des écoles de gestion, des Facultés de Droit et dans des écoles de formation professionnelle spécialisée comme l'E.N.A ou l'INSEA ou l'ISCAE. L'objectif de tout cela, c'est de former un esprit de synthèse chez les futurs décideurs économiques, ingénieurs, gestionnaires du public ou du privé, lauréats des Facultés de Droit, tout le monde doit parler le même langage : la précision mathématique. La formulation de modèles de synthèse, qui est l'œuvre de l'économie mathématique, est aussi un progrès important. Je pense toutefois qu'il serait tout à fait insuffisant d'en rester là : d'une part, si ces modèles expriment qu'une variable est fonction de certaines autres, ils ne disent rien sur l'intensité de ces liaisons; d'autre part, pour rendre compte d'un phénomène, plusieurs modèles peuvent être élaborés, entre lesquels il faut choisir. Ainsi, pour un décideur politique, cherchera-t-on à évaluer les effets, sur l'épargne et l'investissement spontanés, d'une modification de la fiscalité ou de l'équilibre budgétaire. Question : Pouvez-vous nous préciser tout cela ? Réponse : Bien sûr, notons par exemple que l'analyse économique utilise alors les modèles de décision et peut ainsi procéder à des simulations de l'évolution probable, selon diverses hypothèses. La démocratie en économie, c'est quoi, donc ? C'est de permettre à un maximum de Marocains de participer par exemple à la Bourse des Valeurs, mais pour arriver à cela, il faut défiscaliser en partie les bénéfices, afin d'attirer les investisseurs, personnes physiques. Mon point de vue, en fonction de plusieurs années d'enseignement et de recherche, c'est que l'économétrie, comme toutes les disciplines économiques, est encore imparfaite, mais elle est susceptible d'améliorations, son champ d'application est limité, mais, dans ce champ, quand même, elle est susceptible d'apporter des contributions valables, aussi bien à la connaissance qu'à la préparation des décisions politico-économiques, simulation et prise de décisions au niveau de l'engouement touristique pour une région du Maroc, par exemple. Elle se révèle un outil indispensable pour le décideur politique, qu'il soit préoccupé de comprendre ou d'agir. La corrélation est toujours simple : quel est le rapport en terme mathématique, entre l'épargne, l'investissement, la consommation et l'emploi sur une région donnée ? L'afflux touristique ne dépend pas que de quelques équations, il dépend de la sécurité et la stabilité politique du pays. Voilà la limite de notre analyse, et vous pouvez extrapoler le raisonnement, sur tous les domaines économiques, que vous avez en tête. Question : Qu'appelle-t-on un modèle économétrique ? Réponse : On appelle modèle économétrique une représentation schématique de l'économie constituée par un système d'équations entre un certain nombre de variables. Celles-ci peuvent être élémentaires, tels le prix d'un produit bien défini ou le montant de billets en circulation (inflation) ; ou synthétique, comme le niveau général des prix ou de l'investissement global. Elles sont liées entre elles par le jeu d'un certain nombre de relations ; par suite, leurs évolutions dans le temps ne sont pas indépendantes, et ce sont ces liens de dépendance, décrits par les équations, qui constituent une représentation simplifiée des mécanismes économiques. Un modèle économétrique, bien précis, ne veut pas dire une précision mathématique, parfaite, pour la réussite d'une entreprise. Notez bien ceci, on peut être en position de monopole et faire faillite, quand même. Regardez bien l'exemple de la SAMIR ou de la COMANAV, des entreprises en cessation de paiement, en clair en faillite, le management n'a pas tenu compte de l'ouverture des frontières et de la concurrence imposée par l'extérieur. Un modèle micro-économique ne peut être pris au sérieux, que s'il est extrapolé, sur la macroéconomie. Nos paramètres d'analyse de l'an 2016 diffèrent de ceux des années 60 ou 70, quand les frontières économiques étaient fermées, ou du moins réduites au maximum !... Question : Pourquoi des économistes recourent-ils systématiquement à la théorie économique ? Réponse : Comme vous le savez, la différence fondamentale entre les sciences économiques et les sciences physiques, réside dans l'impossibilité, pour les premières, de se livrer à des expériences, comme le font les secondes. Le physicien renouvelle autant qu'il le veut ses expériences, et peut en modifier les conditions comme il l'entend. L'économiste travaille sur des observations correspondant à des réalités dont il n'est pas maître. La théorie économique raisonne généralement sur des variables élémentaires, qui traduisent des réalités psychologiques ou techniques, ou des éléments économiques réels (quantité et prix d'un séjour touristiques par exemple). Au contraire, le modèle utilisera généralement des variables plus globales : offre de prestations touristiques d'un pays donné, consommation de toute une catégorie de groupes touristiques, lien direct entre prix et consommation, leurs rapports sur l'offre et la demande. Je suis convaincu d'une chose : c'est que, sans la rigueur mathématique de la science économique, cette dernière ne peut évaluer. Des renseignements précis sur un secteur donné, comme le secteur touristique, peuvent, ipso-facto, être quantifiés et mis à la disposition de l'homme politique, mais aussi à la disposition des opérateurs économiques, tout le monde demande des données précises, chiffres et corrélation entre eux, c'est donc l'économétrie qui nous permet d'être précis, d'avancer et de faire la science économique. Tous les Prix Nobel d'économie sont en général des économètres ...