L'artiste plasticien et poète Lahbib M'Seffer fait l'événement artistique de l'entrée artistique avec l'exposition qui se tient actuellement entre les murs de la galerie nationale Bab Rouah, joliment et poétiquement intitulée « La Nature, Eternité de l'Instant. Exposition agrémentée par l'édition d'un beau-livre qui contient, entre autres, des textes de référence consacrés a cet inclassable poète de la toile. Rencontre avec un artiste raffiné chez qui plume et pinceaux s'entremêlent fort harmonieusement. *Dans son texte de référence, l'illustre Mohammed Khaïr-Eddine pense que vous échappé à toute classification picturale. Étés-vous si insaisissable? -Mon ami feu Mohamed Khaïr-Eddine avait bien analysé et saisi l'essence profonde de ma peinture. Effectivement, on ne peut me classer dans une quelconque tendance. Mon ami Rabi' dit également que mon « œuvre reste inclassable, car conçue en dehors des courants dominants au Maroc, elle rappellerait, si elle était plus vaporeuse, un certain aspect du romantisme, si elle était débarrassée de toute évocation du réel, cette abstraction marquée par la vision extrême-orientale de l'espace ». Dans mon cheminement, je suis mon inspiration loin de tout mimétisme ou influence. Mes œuvres naissent d'une fulgurance qui guide mes mains, étonne mes yeux et canalise mes pensées. Est-ce que cela me rend insaisissable ? Je ne le crois guère. Ma peinture se lit comme un poème surgi de l'âme, qu'on regarde, l'on sent et que l'on comprend. Je reste présent dans mes toiles et mes sujets sont à la portée de tout un chacun. Je m'exprime dans un langage simple sans utiliser des choses obscures ou trop savantes pour être insaisissable. *Les mots éphémère, instant, éternité... sont souvent cités à propos de vos œuvres Comment appréhendez-vous lz facteur temps dans et lors de votre travail? -L'éphémère, c'est le temps. Que représente l'instant par rapport au temps ? Le fait d'être éphémère donne à l'instant une force exceptionnelle sur le mental et l'affect. Le bonheur serait cet instant d'extase qui illumine le cœur et pénètre dans l'âme. Il arrête le temps pour devenir cette empreinte éternelle qui marque la vie entière de l'homme... que le peintre saisit sur sa toile et que le poète chante dans ses vers. Le temps est présent dans mes œuvres. C'est même l'élément essentiel. C'est un instant éphémère que je fais durer et qui se prolonge sur la toile sans être figé. Regardez bien mes nuages...vous les verrez bien se mouvoir dans le ciel, clignez des yeux, vous remarquerez que l'éphémère ne l'est plus sur la toile... *Dans quelle place trône la Nature dans votre inspirationi -La nature est devenue le sujet principal et l'élément qui me permet de m'exprimer en toute liberté. Je dirai que c'est la liberté totale d'expression. La peinture à l'huile est magique quand elle se conjugue avec la nature. Chaque couleur appelle une autre couleur ou exige une forme ou un espace qui lui convient. Dans la création l'inspiration vient ou ne vient pas... Rien dans l'œuvre n'est immuable, c'est le dialogue des éléments qui détermine la bonne fin de l'œuvre. Une marine peut devenir une montagne ou des dunes de sable, un ciel bleu peut se transformer en coucher de soleil. Lorsque tous les éléments s'entendent, c'est le miracle qui se produit et donne naissance à l'œuvre. *D'ailleurs, certains critiques d'art vous qualifient de peintre paysagiste. Vous revendiquez cette étiquette, n'est-elle pas un peu réductrice? -Si certains critiques me qualifient de « peintre paysagiste », c'est leur point de vue. Cela me fait honneur. Mais je réfute cette étiquette et rejette l'idée qu'elle soit réductrice... Je ne suis pas paysagiste, je peins l'instant, l'éphémère, la lumière et la nature éternelle au point que chacun croit connaître le lieu représenté. *Autre élément qu'impose votre œuvre, la poésie, "somptueuse", comme écrit Mohamed Chiguer. Étés-vous un poète de la toile? -C'est vrai que ma peinture se lit comme un poème. La peinture et la poésie sont des sœurs jumelles. Toute œuvre picturale qui ne touche pas le cœur reste fade, ce serait comme un texte écrit dans une langue que le lecteur ignore. Si Mohamed Chiguer, feu Mohamed Khaïr-Eddine, Si Abdelkébir Rabi' ainsi que Si Moulim El Aroussi ont bien pénétré ma peinture et l'ont considérée comme poétique ; je dirai que les quatre sont des poètes dans l'âme, et je me sens un devoir de les remercier d'avoir écrit sur ma peinture et de la considérer comme telle. *Changeons de sujet En tant qu'ancien banquier, on sait que nos banques sont très impliquées dans le secteur artistique. -On ne peut ignorer le rôle actif joué par le mécénat à travers le monde, depuis les pharaons, les grecs et les romains. De même au Maroc, l'université Al Karaouyine, les bibliothèques des Zaouias ainsi que les fonds des Habous montrent combien cette action est enracinée dans les traditions de notre pays. Un tournant important est intervenu au XXème siècle avec l'apparition du mécénat d'entreprise initié par les banques. Libérateur pour les artistes, valorisant pour les banques, ce mécénat a créé des rapports sains et féconds entre l'argent et la culture. Ainsi les banques ont aménagé des espaces d'art dans leurs sièges et constitué des collections importantes d'œuvres d'art. Toutefois cet élan s'est estompé avec le temps, et, la gestion des espaces ne répond plus aux objectifs de départ. Un travail en profondeur devrait être entrepris pour permettre une action cohérente compatible avec la situation actuelle. *Un sujet qui commence à se répandre comme tache d'huile dans la scéne artistique au Maroc: le faux, d'autant plus que le manque d'experts assermentes en la matière est flagrant. Que préconisez-vous dans ce sens? -Les faussaires sont légion à travers le monde à cause des prix faramineux et inimaginables qu'ont atteint certaines œuvres d'artistes anciens ou contemporains. Le Maroc n'échappe pas à ce fléau alimenté par des personnes cupides, avides de gains faciles qui trompent un nombre de plus en plus important d'amateurs, de collectionneurs et même d'institutions. Il y a trois ans, l'Association Marocaine des Arts Plastiques (AMAP) avait dénoncé cette pratique dangereuse à travers les médias et saisi les autorités de tutelle pour mettre en place les mesures nécessaires pour assurer le respect de la déontologie. En avril dernier, le Syndicat Marocain des Artistes Plasticiens Professionnels (SMAPP) en collaboration avec l'AMAP ont organisé une table ronde, à Marrakech en présence de spécialistes des droits d'auteurs et d'expertise en matière d'art. Le terrain a été balisé et une nouvelle action sera menée prochainement pour sortir avec des propositions de réglementation et de lois qui seront présentés aux instances concernées.