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Entretien avec Hakim Messaoudi, coordinateur du réseau d'ONG pour la sauvegarde de la baie d'Al-Hoceima : Pour l'élaboration d'un schéma directeur de développement avec approche participative incluant tous les acteurs
Natif de la région d'Al-Hoceima, enseignant naturaliste, passionné d'ornithologie, Hakim Messaoudi est coordinateur du réseau d'ONG militant pour la sauvegarde et la promotion économique et sociale de la baie d'Al-Hoceima. Une activité associative au long cours avait été à l'origine de tout un mouvement pour la préservation de l'environnement. Ainsi, des travaux pour le Parc national d'Al-Hoceima ont été réalisés par le réseau d'associations Rodpal dont une carte du Parc, des guides sur les oiseaux et les poissons vivant sur le territoire du parc etc. Un centre d'information et d'éducation a été créé au sein du Parc. L'une des plus récentes réalisations est l'actuelle coordination des associations pour le classement de la baie d'Al-Hoceima au sein du Club des plus belles du monde. Hakim Messaoudi a été par ailleurs désigné parrain de la « Caravane du savoir », projet engagé par la Fédération des Espoirs d'Al-Hoceima-Nador présidée par Azdad Abderrachid. Cette caravane vise à soutenir la scolarité en milieu rural et à appuyer les coopératives féminines d'artisanat en activité dans le Parc national d'Al-Hoceima. C'est dans le cadre de ce même projet que la Fédération des Espoirs d'Al-Hoceima-Nador a invité la Déléguée de l'Artisanat de la région d'Al-Hoceima, Mme Souad Belkaidi, et la Coordination de la société civile pour la baie d'Al-Hoceima en la personne de Hakim Messaoudi, pour prendre part au Salon ArtisantArt de Bruxelles qui vient de se tenir du 12 au 15 courant dans la capitale belge. Dans l'entretien suivant, Hakim Messaoudi explique le travail de la société civile pour un développement durable de toute une région. Entretien : L'opinion : Vous êtes coordinateur du réseau de la société civile à l'origine de l'inscription de la baie d'Al-Hoceima sur la liste des Clubs des plus belles baies du monde. Quelle est la petite histoire derrière cet événement ? M Hakim Messaoudi : Dans cette initiative pour déclarer la baie d'Alhoceima parmi les plus belles baies du monde, le hasard a été pour beaucoup. Comme dit Prévert : « Le paon fait la roue, le hasard fait le reste ». Pour la petite histoire tout a commencé avec une association venue de Bretagne, orientée par Dr Fouad Lghalbzouri pour effectuer une activité dans la région d'Al-Hoceima. La visite a coïncidé avec l'Aid Lkbir. Les membres de l'association ont été, pour une raison pratique, obligés de passer la fête dans la ville d'autant qu'ils y ont trouvé l'hospitalité d'une population accueillante. De fil en aiguille, ils ont eu le temps de découvrir la baie et ses beaux paysages qui ne laissent personne indifférent. Comme ils connaissent un club international dit Club des plus belles baies du monde, ils ont proposé d'y inscrire la baie d'Al-Hoceima. Et c'est comme ça que l'histoire a commencé, par un processus progressif. Il fallait fédérer beaucoup d'acteurs pour adhérer à la même cause tout en se relayant. Cela passa de la société civile à la sphère des élus. Ainsi, le Conseil régional, présidé par Dr Mohamed Boudra, a adhéré à l'idée pour appuyer l'initiative à travers l'approfondissement des contacts pour, au final, présenter un dossier de candidature au Club des plus belles baies du monde. Il y avait l'aspect académique avec l'historienne Leila Maziane qui a préparé le dossier, surtout pour le volet de l'histoire maritime, ensuite le côté associatif avec le réseau des associations de la société civile et en troisième lieu les organismes étatiques comme le Conseil régional qui se sont approprié le dossier. Présenter un dossier de candidature c'est coûteux, ça ne peut pas être l'affaire du seul tissu associatif car il fallait voyager en Corée du Sud où se tenait le congrès du Club des plus belles baies du monde en 2014. De plus, il y a une cotisation annuelle à régler pour en faire partie. Une fois le dossier de candidature présenté, il y a la visite d'une délégation pour inspecter la baie et voir si elle répond vraiment aux critères. Pour chaque continent, il y a un inspecteur, pour l'Afrique c'était Bouna Diouf, ex-ministre sénégalais des Finances, qui était accompagné de l'ex-représentant du continent africain dans ce club, le Marocain Mohamed Oudmine, vice-président du Conseil Régional Souss-Massa-Draa. C'est pour visiter la baie et voir dans quelle mesure le dossier présenté reflétait réellement la réalité. L'opinion : Il y a donc des normes pour accéder au club ? M Hakim Messaoudi : En effet, il faut que le site présente une richesse historique, ensuite une importance environnementale et enfin une beauté au niveau du paysage. Bien entendu, la baie d'Al-Hoceima possède ces trois atouts. Ainsi du point de vue du paysage c'est un très beau site, il faut juste choisir l'angle de vision. Elle est entourée de falaises, on est en position de nid d'aigle avec une vue panoramique imprenable. Pour l'importance historique, elle est impressionnante car ici l'Histoire commence bien avant l'époque médiévale. Il faut cependant noter que le premier émirat musulman au Maroc s'était installé dans cette région, c'est l'émirat de Nekor. Ce n'est pas un hasard si l'émirat s'installe ici et pas ailleurs. Les vestiges de Nekor sont en partie enterrés sous le barrage de Mohamed Abdelkrim Khattabi mais restent les ruines de Lmzemma, ville portuaire où se faisaient les échanges d'où le nom Lmzemma (là où l'on enregistrait les marchandises entre les deux rives). Il y a l'autre partie de l'histoire de la présence des Espagnols depuis qu'ils avaient débarqué en 1682 et ils avaient eu une relation conflictuelle perpétuelle avec la cité de Lmzemma. Leur présence s'est maintenue là jusqu'à aujourd'hui. Ils ont repris deux autres îles et ça c'est une autre histoire. Un autre volet de l'Histoire concerne le XXème siècle, avec le colonialisme espagnol, la guerre de résistance de Abdelkrim Khattabi, en plus de son fils Mohamed. Ce sont des épisodes d'Histoire de l'époque contemporaine. Donc, la richesse historique, la beauté du paysage et la richesse environnementale constituent les trois principaux piliers de l'attrait de la baie. Quand on parle de richesse environnementale, peut-être que beaucoup de gens ne la perçoivent pas d'emblée. Ce qu'il y a à retenir sur ce chapitre, c'est le fait qu'il y a deux grandes rivières qui sont l'oued Nekor et l'oued Ghiss. Leur embouchures sont très connues du point de vue maritime et constituent deux frayères qui sont des lieux où se reproduisent principalement les poissons de surface. Lorsqu'il s'agit d'un lieu de reproduction de poissons, on en déduit la présence d'un milieu riche en aliments avec des animaux qui viennent se nourrir des petits, ceci est la base d'une forte biodiversité et d'une richesse des ressources naturelles. L'opinion : Et du point de vue du paysage? M Hakim Messaoudi : Un paysage c'est l'ensemble de constituants qu'il englobe et qui, par le tout qu'ils constituent, offrent une harmonie qui séduit d'emblée le regard. Dans la baie d'Al-Hoceima, on est vraiment dans la beauté absolue du paysage. Quand on se rend dans la région, c'est en partie pour la jouissance du regard et l'harmonie des éléments naturels. L'opinion : Qu'en est-il de l'aspect de la richesse ornithologique ? M Hakim Messaoudi : Parallèlement à la richesse maritime, il y a la richesse terrestre. A une certaine époque, les abords de la baie n'étaient pas très habités, je me rappelle quand j'étais enfant je chassais avec mon père des cailles dans les environs de la baie, on y voyait différentes espèces de canards : des cols verts, des sarcelles d'hiver, des canards souchets, il y avait énormément d'animaux. Une biodiversité régnait sans partage. Actuellement, la démographie de la région a augmenté avec un raz-de-marée de constructions. Du coup, la biodiversité s'est particulièrement réduite mais cela n'empêche qu'il existe encore l'une des plus grandes colonies d'une espèce de goéland qu'on appelle le goéland d'Audouin (Ichthyaetus audouinii) doté d'un bec rouge. Cette espèce est endémique et ne se rencontre qu'en mer Méditerranée. Autrefois très rare, aujourd'hui, elle est considérée par l'UICN comme une espèce quasi menacée et une des plus grandes colonies de cette espèce sur la rive Sud de la Méditerranée se trouve sur l'un des trois îlots de la baie d'Al-Hoceima. Les embouchures de Nekor et Ghiss sont des lieux de transit et des aires de repos et d'approvisionnement des oiseaux migrateurs, ils se retrouvent sur la trajectoire des couloirs de migration des oiseaux. L'opinion : Comment développer la baie tout en préservant l'environnement ? M Hakim Messaoudi : Il y a plusieurs visions. Il y a une approche purement économique : comment valoriser l'économie, le foncier, le tourisme, les loisirs, etc. C'est une vision à court terme et qui ne risque pas d'aller bien loin. Si on se met à exploiter la richesse halieutique, par exemple, pour en tirer le maximum, les pêcheurs de la région vont se retrouver bientôt au chômage ! Ce qu'il faudrait, c'est une vision à long terme qui prenne en considération une gestion rationnelle des ressources qui ne sont pas inépuisables, qui peuvent ne pas se régénérer si on n'y prend pas garde. La même chose pour les ressources terrestres et pour le patrimoine culturel et historique. Si on veut vraiment développer la baie, il faudrait plancher sur les axes économique, social et environnemental, soit les piliers d'un développement durable. Pour cela, il faut un plan stratégique qui prenne en compte les trois composantes. Il faut créer des activités de développement économique mais qui respectent l'environnement, qui préservent les écosystèmes et qui créent de l'emploi pour les habitants de la zone. Ce qu'il faut éviter, c'est d'avoir des entreprises qui viennent générer des déchets et qui ramènent avec elles leurs propres employés alors que la population locale se contenterait d'être simple spectatrice. L'opinion : Est-ce que la société civile parvient à être une force de proposition ? M Hakim Messaoudi : En principe, on est une force de proposition mais ça ne suffit pas, car il y a d'autres partenaires qu'il faut prendre en considération. Ainsi,les pouvoirs publics ont leur vision pour le développement, les élus et l'élite économique aussi ont les leurs. Coordonner tout ça c'est une charge très lourde pour la société civile à elle seule. On peut à la rigueur entamer des discussions et ouvrir des débats à ce sujet pour pouvoir élaborer une vision où il y a des convergences de visions entre tous les partenaires. L'opinion : Quel est actuellement l'impact des pressions démographiques sur l'environnement? M Hakim Messaoudi : Là où il y a développement anarchique, il y a forcément pression sur l'environnement et destruction parfois irréversible. Lorsqu'on parle de développement pour cette zone, on est obligé d'évoquer l'évolution de trois ou quatre centres à l'origine ruraux et qui sont devenus urbains. Il y a Ajdir, Boukidaren ou Sidi Bouafif, Imzouren et Béni Bouayyach. Il n'y a même pas une quinzaine d'années, c'étaient des centre ruraux, des villages. Actuellement, ce sont des villes. Boukidaren, par exemple, abrite le noyau de la future cité universitaire et de ce fait ça va se développer encore plus rapidement. On imagine facilement que des populations qui s'installent avec ce rythme si rapide vont générer des déchets solides et liquides. Si pour les déchets solides il y a solution, pour les déchets liquides, malheureusement, ils finissent toujours par être déversés directement dans la baie ou dans les fosses septiques. Il s'ensuit que la nappe phréatique est contaminée. L'approvisionnement en eau potable est devenu un véritable problème pour la ville d'Al-Hoceima et sa région. Le barrage de Abdelkrim Khattabi est envasé, il lui reste à peine 40% de sa capacité de rétention. La population d'Al-Hoceima quadruple en été, le besoin chronique en eau de même. Il y a le raccordement de plusieurs villages pour les eaux de l'ONEP. Dans le futur proche, on est dans un cas de figure de pénurie d'eau. Quelles sont les ressources dont on dispose ? Il y a l'oued Nekor, on peut créer un barrage collinaire. Il y a la nappe phréatique, malheureusement elle est contaminée. La dernière proposition a été le dessalement de l'eau de mer. Pour le dessalement de l'eau de mer, si on était au Qatar ou à Dubaï, on peut comprendre, si on était à Laâyoune aussi. Mais là on est au Rif central qui un est véritable château d'eau. Il y a beaucoup d'eaux souterraines et ce qu'il faudrait plutôt c'est de valoriser ces ressources d'eau dites secondaires. Le dessalement est la dernière solution à laquelle on devrait recourir. Pour paradoxal que ça puisse paraître, il n'empêche que le projet est en cours ! L'opinion : La pollution de l'eau du littoral par les rejets en l'absence de stations de traitement est en contradiction avec votre orientation pour la protection de l'environnement de la baie ? M Hakim Messaoudi : C'est là où la société civile a une grande responsabilité, mais juste celle de plaidoyer pour faire comprendre l'impact négatif que peut avoir cette situation sur le développement et l'avenir. Avant de s'engager dans une orientation, il faut des études solides qui prennent en compte tous les cas de figure : quels sont les besoins en eau, quel coût pour valoriser ce qu'on a afin de choisir des solutions adéquates qui puissent garantir un développement durable. Ce qu'il faut c'est une concertation entre tous les partenaires : société civile, pouvoirs publics et acteurs économiques. Nous avions prévu une journée pour ouvrir un débat sur la gestion des ressources en eau mais elle a été tout le temps reportée. L'opinion : En attendant, l'impact sur l'environnement se poursuit étant donné l'affluence sur la baie en période estivale, en plus du boom démographique des nouvelles cités de la région ? M Hakim Messaoudi : En été, la population d'Al Hoceima quadruple comme j'ai dit. Il y a une forte pression. Al-Hoceima est un pôle touristique depuis les années 1960. L'économie est basée sur l'activité touristique estivale essentiellement, et la pêche. Par exemple quand le Ramadan coïncide avec l'été l'activité baisse sensiblement, voire il n'y a plus d'activité du tout, c'est la crise. Autrement, on assiste à des affluences record. Il y a les MRE, les touristes occidentaux, les nationaux qui raffolent des plages de cette région. De plus, la visite de SM le Roi attire aussi du monde. Devant une telle pression qu'est-ce qu'il faudrait préparer ? Il y a l'infrastructure touristique, quelques hôtels ont été créés mais de haut de gamme pour une élite limitée et donc il faut des infrastructures hôtelières qui ciblent une classe moyenne. Il faut ouvrir des campings. A Al-Hoceima, il y avait deux campings, un à Cala-Bonita et un autre à Cala Iris, ils ont été clôturés. Il faut diversifier les structures d'accueil. Avec la société civile, beaucoup d'efforts ont été consentis pour appuyer l'ouverture de 8 gîtes. Mais c'est l'avenir d'Al-Hoceima qui est en jeu tant que les questions de l'environnement restent en plan, particulièrement le traitement des eaux usées et l'habitat anarchique. La baie d'Al-Hoceima est un territoire qui possède un fort potentiel naturel, économique, culturel et humain qui peut participer activement au développement de cette région et ceci à travers le développement des activités économiques et industrielles telles les activités de transformation agroalimentaires et autres dans les centres urbains : Ajdir, Boukidarn, Imzouren, Bni Bouayach qui bordent la partie sud de la baie. Ensuite, le développement des activités de production agricole sur tout le périmètre irrigué de Nekor-Ghiss. Enfin, le développement des activités touristiques balnéaires durables sur la frange littorale de la baie tels que les sports aquatiques. Dans cette vision et pour assurer un développement territorial durable, il faut obligatoirement commencer par l'élaboration d'un schéma directeur de développement avec approche participative en incluant tous les acteurs : institutions académiques (centres de recherches, universités, chercheurs...), institutions publiques (autorités locales, élus...), les utilisateurs de cet espace (la population, les investisseurs...) et la société civile.