Grand spécialiste des dinosaures, Philippe Taquet, paléontologue français, président de l'Institut de France et de l'Académie des Sciences - Paris, membre de l'Académie du Royaume du Maroc, avait suivi de près les découvertes du site de Tazouda et se trouve partie prenante depuis une dizaine d'années dans les recherches poursuivies et qui avaient abouti à la découverte des plus anciens dinosaures connus à ce jour dans le monde. Il fait partie du comité scientifique pour le projet du musée de Tazouda. Il est auteur notamment de « L'empreinte des dinosaures » (éditions Odile Jacob, 1978). Réédité régulièrement, le dernier chapitre du livre est consacré aux dinosaures du Maroc. Il est auteur aussi d'un article « Histoire de dinosaures au Maghreb » en version anglaise. Nous l'avons rencontré à Casablanca à l'occasion de sa participation au 77ème Congrès de la Meteoritical Society à Casablanca où il a donné une conférence sur les théories d'extinction des dinosaures. Il en a résulté l'entretien suivant : L'Opinion : Pourquoi votre présence à Casablanca dans le cadre du Congrès de Meteoritical Society? Philippe Taquet : J'ai été invité pour donner une conférence. Je ne suis pas spécialiste de météorites, mais plutôt de dinosaures. Or, depuis le début des années 1980, il y a eu la grande discussion parmi les scientifiques autour de la cause de la disparition des dinosaures de la surface du globe, il y a 65 millions d'années. L'explication donnée c'est qu'une grande météorite, tombée sur la terre il y a 65 millions d'années, dans la péninsule du Yucatan au Mexique, aurait exterminé les dinosaures et causé la grande rupture de la fin du crétacé. On discute à ce sujet depuis ces années là et il y a eu beaucoup de débats scientifiques. Mon intervention était donc de revenir sur le sujet. L'Opinion : Quelle a été l'origine de ce débat scientifique sur l'extinction des dinosaures ? Philippe Taquet : En 1980, deux chercheurs américains de Berkeley, Walter et Luis Alvarez, avaient constaté que dans les couches terrestres qui passent du crétacé au tertiaire dans l'Histoire de la terre, il y a un petit niveau très fin d'argile noire et dans cette argile il y a un élément qu'on appelle l'iridium, c'est comme des particules de cendre. Généralement, cet élément est très rare mais dans cette couche il y en avait en quantité relativement importante. La seule explication qui s'offre à l'esprit, c'est que cela vient de l'espace et qu'il y a eu par conséquent, juste à ce moment-là, une énorme explosion. Le constat de l'existence de la même couche sombre au même niveau est observé en Italie, au Danemark et au Mexique. Et la datation de la couche correspond exactement au moment où les dinosaures disparaissent. Les deux chercheurs ont donc publié un article très fameux à l'époque, 1980, pour dire que s'il y a de l'iridium c'est que cela vient nécessairement de l'espace et la cause est une météorite tombée à ce moment-là, entraînant une espèce d'hiver brutal avec des poussières très denses enrobant le globe terrestre, causant un refroidissement comme un hiver nucléaire. Tous les animaux en grande partie disparaissent, les reptiles volants, les reptiles marins, les dinosaures. L'Opinion : Quel est donc votre point de vue à vous sur la question ? Philippe Taquet : Pour ma part, je parle en tant que spécialiste des dinosaures et non de météorites. Il se trouve que je viens au Maroc depuis les années 1980 pour travailler avec mes collègues marocains, avec des étudiants qui ont effectué des thèses sur les dinosaures du Maroc. Le Maroc est un pays très intéressant pour la recherche sur les dinosaures, on en découvre un grand nombre de fossiles sur son sol de tous les âges, du jurassique et du crétacé. On a commencé par en trouver dans le jurassique aux environs de 160 millions d'années avec la découverte d'un énorme dinosaure qu'on a nommé Atlassaurus dont le squelette est visible au musée du ministère des Mines à Rabat. Ce sont mes collègues marocains et moi-même qui l'y avions installé au début des années 1990 en lui donnant le nom qu'il porte aujourd'hui. Il va être démonté pour être installé dans le musée du Géoparc d'Azilal. Ensuite, je suis venu pour étudier cela avec des amis géologues marocains et un géologue suisse qui faisait les cartes géologiques pour connaître l'âge des couches. Après, des étudiants et des villageois nous ont signalé à Tazouda Toundoute près de Skoura, province d'Ouarzazate, un gisement de dinosaures, plus ancien, plus bas, 180 millions d'années, presque au bord du village. Nous avions procédé à des fouilles et nous avons découvert deux dinosaures nouveaux. L'Opinion : Bien conservés ? Philippe Taquet : Oui, avec beaucoup d'os mais en vrac, il s'agit d'un troupeau emporté par la boue dans un torrent et ils ont été un peu mélangés. On a pu découvrir deux dinosaures, un herbivore qu'on a appelé Tazoudasaurus du nom du village, le Maroc en a réalisé un timbre poste avec l'image de la tête, et un deuxième carnivore qu'on a appelé Berbérosaurus. L'endroit est tellement intéressant qu'on est en train de construire un musée sur le site de la découverte des dinosaures. Dans le musée, on va voir la roche avec les couches terrestres et les ossements incrustés. Les travaux sont en cours, ce sera fini dans six mois environ, il est probable que le musée soit inauguré l'année prochaine. Dans mon exposé donc, je parle de tout ça, les dinosaures du Maroc et de l'importance des sites marocains pour la recherche. Après le crétacé brusquement, les dinosaures disparaissent, à l'exception des petits carnivores qui vont donner naissance aux oiseaux. On sait que les oiseaux ont eu pour ancêtres les dinosaures carnivores. Du coup, les dinosaures n'ont pas tous disparu. Ce sont ceux de grande dimension seulement qui se sont éteints. Alors, qu'est-ce qui a causé leur extinction ? Est-ce vraiment la météorite ? Mon point de vue part de ces questionnements. L'Opinion : Combien y a-t-il de théories sur la disparition des dinosaures ? Philippe Taquet : Il y en avait des dizaines. Mais quatre principales théories seulement peuvent être retenues comme plausibles. Parmi les quatre, deux font appel à des événements soudains, catastrophiques. Les deux autres parlent, elles, de disparition progressive des dinosaures. Pour les deux premières théories de catastrophe, une parle de l'intervention d'une gigantesque météorite et la deuxième, avancée par un géologue français, Vincent Courtillot, dit qu'il ne s'agit pas de météorite mais plutôt des éruptions volcaniques intervenues simultanément répandant des couches de lave, un épais écran de poussière autour du globe terrestre qui fait diminuer la température et entraîne le même effet que l'impact de la météorite quoiqu'à un rythme plus lent et non pas brutal. La troisième théorie réfute les deux premières et parle d'un refroidissement de la terre du fait de l'activité du soleil qui aurait été moins importante d'autant qu'il y a eu des périodes de glaciation dans le passé. Du coup, les dinosaures n'ont pas pu supporter le nouveau climat et ont disparu, pas brutalement mais graduellement. La quatrième théorie dit qu'il ne s'agit ni d'un impact de météorite, ni d'éruption de volcans, ni de refroidissement de la planète, mais plutôt d'un problème de compétition entre les espèces. Aujourd'hui, vous avez une espèce sur terre qui est très prolifique, c'est l'Homme, elle est en train de faire disparaître toutes les autres espèces, pas besoin de météorites ! (rires) L'Opinion : Quelles explications pour étayer cette dernière théorie de compétition des espèces ? Philippe Taquet : A l'époque, il y avait des petits mammifères, les rongeurs qui commençaient à envahir toute la planète et mangeaient les œufs des dinosaures. On pense que, par compétition entre les espèces, l'extinction est possible. L'Opinion : D'après vous, aujourd'hui, qu'est-ce qu'il faut retenir comme théorie ? Philippe Taquet : Il y aurait plusieurs choses à dire. Pour les biologistes comme moi, l'idée de la chute de la météorite ce n'est pas très convaincant parce que ça fait disparaître les êtres vivants mais pas tous, car il y en a plein qui ont survécu, par exemple les crocodiles qui restent, les oiseaux, etc. Le fond de la question qui est intéressant sur le plan philosophique c'est de se demander si l'Histoire s'est réalisée à partir d'événements soudains, brutaux de catastrophe ou, au contraire, d'événements intervenus de manière progressive. Les gens peuvent se demander si l'Histoire de la vie c'est comme on dit « pas de chance » : soudain une explosion et tout disparaît. Ou, au contraire, une mauvaise adaptation à l'environnement. Ce n'est pas la même approche ! La conclusion c'est qu'il n'y a probablement pas une seule cause mais plusieurs et c'est la somme de ces causes qui fait qu'il y a une crise. Et la conclusion qui s'ensuit c'est la question : quelle sera la prochaine crise ? Est-ce que l'homme en paiera les frais ? Est-ce qu'il y aura un réchauffement climatique en changeant l'environnement ? L'Opinion : Au-delà du domaine scientifique, quel intérêt pour les dinosaures ? Philippe Taquet : Au Maroc, l'intérêt des dinosaures c'est aussi le géo-tourisme avec le musée de Tazouda, le Géoparc du M'goun à Azilal et la route des dinosaures d'Azilal, Béni Mellal, Skoura. A l'ouverture du musée de Tazouda, il y aura un guide géologique qui expliquera toute la géologie des montagnes du Maroc.