Au moment où plusieurs pays parlent de la culpabilité du commun des mortels face au gâchis alimentaire mondial, on devrait au Maroc, du moins, au mois de ramadan, parler du gâchis de toute cette nourriture qu'on emmagasine depuis le mois de « chaâbane » à consommer en ce mois sacré. Mais aussi des tajines, salades, fruits et sucreries qui pullulent dans nos frigidaires et qui, au fil des jours, se retrouvent dans nos poubelles. Si l'abstinence est le maître mot de ramadan, le jeûne l'est pendant la journée, et, cette privation de nourriture est quadruplement récupérée le soir, habitudes alimentaires obligent. Et entre manque d'organisation, mauvaise gestion budgétaire et des papilles, on rentre dans un cercle vicieux embarrassant à tous les niveaux. Chaque membre de la famille devrait, à la fin du mois de ramadan, dresser le bilan de toute cette nourriture achetée non consommée et jetée à la poubelle, entre « Rghayef », « Baghrir », pain, salades, légumes, fruits, tajines... L'abstinence journalière se reflète sur l'esprit et la vue des jeûneurs qui, se gavent le regard d'aliments concoctés ou non vendus à chaque coin de la rue. On fantasme alors sur la nourriture, et du coup, on achète en grande quantité pour, après « Al iftar » pour n'en manger, en fin de compte que ce que peut consommer notre estomac après une journée de repos mérité. Ce surplus de nourriture finit ainsi aux ordures. Or, si l'on compte une famille de sept personnes, chacun rentrant à la maison avec les délices selon ses papilles, bonjour les dégâts, les maladies, l'obésité... Et on ne retrouve plus aucun signe de pauvreté dans les rues à la rupture du jeûne ! Ce gaspillage alimentaire est, « environnementalement » parlant, difficilement recyclable face aux émissions nocives, et « religieusement » parlant, déconseillé en Islam. A ce sujet, deux versets sont cités dans le saint Coran : « Ô vous qui croyez ! Ne vous interdisez pas les bonnes choses que Dieu a rendues licites pour vous, en évitant cependant tout excès, car Dieu n'aime pas ceux qui dépassent les limites permises. » (Sourate Al maîda), verset 87) et : « C'est Lui qui a créé les jardins treillagés et non treillagés, les palmiers et les cultures au goût si varié, l'olivier et le grenadier de même espèce ou d'espèces différentes. Mangez de leurs fruits quand ils ont atteint leur maturité, et acquittez-en la dîme le jour de la récolte ! Mais évitez tout gaspillage, car Dieu n'aime pas ceux qui gaspillent. » (Sourate al anâam, verset 141) Si l'on surestime notre estomac de jeûneur, nos sens à découvert pendant la journée, on pourrait remédier à ce mauvais calcul, du moins, après deux ou trois jours du jeûne, fermer les yeux sur le surplus alimentaire et réduire la nourriture les prochains jours. Cette mauvaise gestion nuit à la santé et au porte-monnaie. Si au moins on avait des restos du cœur dans chaque quartier où, l'on pouvait décharger ce surplus et faire le bénéfice de soi et des personnes sans domicile fixe et pauvres, ce serait une bonne affaire. Car, même les manies d'antan ont tendance à régresser, offrir régulièrement le repas, sur le pas de la porte, pour une ou plusieurs personnes n'est plus de coutume, faute d'insécurité et de changement de culture et d'habitudes. Chacun pour soi et Dieu pour tous, dit-on ! Le gaspillage alimentaire n'a pas été calculé dans les pays musulmans au mois de ramadan, contrairement au reste du monde. Au niveau mondial où l'on recense un milliard de personnes souffrant de malnutrition, on parle d'un tiers de la production alimentaire mondiale jetée à la poubelle chaque année alors qu'un milliard de personnes souffrent de malnutrition. A titre indicatif, selon Tristam Stuart, un britannique spécialiste du gaspillage alimentaire, chaque Français jetterait directement ou non environ 90 kg de nourriture par an (l'équivalent de 430 euros en moyenne), dont la moitié correspond à des fruits et légumes et les hypermarchés élimineraient environ 850 millions d'euros de nourriture par an, un chiffre six fois supérieur au budget annuel des Restos du cœur, une organisation qui sert plus de 100 millions de repas par an. Qu'il s'agisse de fruits ou légumes présentant des taches ou difformités, de mauvais goût ou non, en finalité, les distributeurs jettent tous les aliments qui ne répondent pas aux attentes des clients. A l'Équateur, 146.000 tonnes de bananes sont jetées chaque année pour des raisons esthétiques et économiques. En Inde, un pays où un habitant sur cinq souffre de malnutrition, le gaspillage alimentaire serait principalement dû à des problèmes logistiques, par exemple à la suite de l›utilisation de techniques de transport mal adaptées. Quant aux États-Unis, ils pourraient à eux seuls nourrir deux milliards de personnes avec les denrées alimentaires qui sont jetées chaque année (coût estimé à 100 millions de dollars par an) ! Le gâchis est donc massif et mondial, mais on peut au mois faire des efforts et penser à notre santé, à l'environnement et à notre bourse.