Une nouvelle ère s'ouvre dimanche en Ukraine après la folle journée de la veille marquée par la destitution de facto du président Viktor Ianoukovitch et la libération de l'opposante Ioulia Timochenko, acclamée par ses partisans sur le Maïdan à Kiev. L'espoir de sortie de crise de l'Ukraine est toutefois douché par l'inquiétude croissante de la communauté internationale de voir ce pays de 46 millions d'habitants un peu plus divisé entre l'est russophone et russophile, majoritaire, et l'ouest nationaliste et ukrainophone. Ainsi, le Premier ministre polonais Donald Tusk a estimé samedi soir qu'il existait des forces menaçant l'intégrité territoriale de l'Ukraine, sans en préciser leur nature. La représentante de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, a appelé les responsables politiques ukrainiens à agir «de manière responsable» pour maintenir l'»intégrité territoriale» et l'»unité» du pays. Et le chef de la diplomatie française Laurent Fabius, tout en «saluant» la libération de Ioulia Timochenko», a estimé que «la France, en lien avec ses partenaires européens, lance un appel à préserver l'unité et l'intégrité du pays ainsi qu'à s'abstenir de la violence». Ioulia Timochenko, ex-Premier ministre, a lancé en larmes : «Vous êtes des héros, vous êtes les meilleurs d'Ukraine !». Coiffée de sa typique tresse blonde enroulée et assise sur un fauteuil roulant devant quelque 50.000 personnes serrées sur la place de l'Indépendance, haut lieu de la contestation, l'égérie de la Révolution orange en 2004, qui était emprisonnée depuis 2011 pour abus de pouvoir, leur a demandé de poursuivre le combat. «Si quelqu'un vous dit que c'est terminé et que vous pouvez rentrer chez vous, n'en croyez pas un mot, vous devez finir le travail», leur a-t-elle demandé. Les violences qui ont culminé cette semaine ont fait 80 morts après trois mois de crise aiguë, un niveau de violence inédit pour ce jeune pays issu de l'ex-Union soviétique. Au cours d'une journée échevelée, les députés du Parlement ont décidé de la «libération immédiate» de l'opposante. Peu après, ils votaient ce qu'ils ont présenté comme une vacance du pouvoir justifiant une destitution de facto du chef d'Etat et l'organisation d'une présidentielle anticipée le 25 mai. «Le président Ianoukovitch s'est écarté du pouvoir et ne remplit plus ses fonctions», selon la résolution adoptée par le Parlement. Mais, de Kharkiv (est), l'intéressé, élu en 2010 et dont le mandat court jusqu'en mars 2015, a assuré qu'il n'avait nullement l'intention de démissionner. «Le pays assiste à un coup d'Etat (...) Je suis un président élu de manière légitime», a-t-il souligné dans une allocution télévisée enregistrée à une date inconnue et diffusée par une chaîne régionale. Alors que l'accord qu'il a conclu vendredi prévoit qu'il entérine rapidement des mesures adoptées par le parlement en vue de la formation d'un gouvernement d'union nationale, M. Ianoukovitch a souligné qu'il n'allait «rien signer avec les bandits qui terrorisent le pays». On ignorait dans la nuit de samedi à dimanche où il se trouvait. Selon le nouveau président du Parlement, Olexandre Tourtchinov, l'ex-chef d'Etat se cacherait dans la région de Donetsk (est), dont il est originaire. «Il a essayé de prendre un avion à destination de la Russie, mais il en a été empêché par des gardes-frontières», a-t-il déclaré. «Extrémistes et pillards» Les réactions ont aussitôt fusé. «Ianoukovitch a été mis KO», s'est réjoui l'un des principaux responsables de l'opposition ukrainienne, le champion du monde de boxe poids-lourds, Vitali Klitschko, qui pourrait être amené à jouer un rôle politique important dans les prochains mois. La Russie a accusé l'opposition de ne pas avoir «rempli une seule des obligations» figurant dans l'accord signé vendredi avec le président et dénoncé «les extrémistes armés et les pillards dont les actes constituent une menace directe (pesant) sur la souveraineté de l'Ukraine». Côté européen, le ton était radicalement différent. «Il n'y a pas de coup d'Etat à Kiev. Les bâtiments officiels ont été abandonnés. Le président du Parlement a été légitimement élu», a twitté le ministre polonais des Affaires étrangères Radoslaw Sikorski, qui a participé cette semaine aux négociations entre opposition et pouvoir. La Maison Blanche a pour sa part salué la libération de Ioulia Timochenko et rappelé qu'il revenait aux Ukrainiens de «déterminer leur propre avenir». A Kiev, si les manifestants se sont bien gardés de démonter les barricades qui hérissent plusieurs rues du centre-ville, l'ambiance était plus légère après le ralliement de la police à la cause des manifestants et la «neutralité» annoncée de l'armée.Dans la banlieue de la capitale, des milliers de curieux sont accourus pour visiter dans le calme la luxueuse résidence apparemment abandonnée par M. Ianoukovitch, et désormais sous la garde du service d'ordre des opposants. Faux galion, faisans de collection, marbres et dorures, beaucoup de visiteurs en sont ressortis stupéfaits de tant de faste. Mais l'Ukraine, de l'avis général, est loin d'être tirée d'affaire. A Kharkiv, ville de l'est du pays, des responsables locaux des régions pro-russes de l'est ont remis en cause la «légitimité» du Parlement ukrainien, qui selon eux travaille actuellement «sous la menace des armes».Même si elle retrouve le calme et un semblant de stabilité politique, l'Ukraine se trouve en outre dans une situation économique qualifiée cette semaine d'»épouvantable» par M. Fabius. Les bouleversements de samedi risquent fort de remettre en cause la promesse par la Russie d'un crédit de 15 milliards de dollars, dont seuls 3 mds ont été versés et d'un important rabais du prix du gaz. Les Européens ont promis une assistance financière beaucoup plus modeste, d'environ 610 millions d'euros. Le ministre britannique des Affaires étrangères William Hague a indiqué s'être entendu avec son homologue allemand pour faire pression pour le déblocage d'une «aide financière vitale du Fonds monétaire international».