Les Etats-Unis, parrains de l'indépendance du Soudan du Sud en 2011, se sont alarmés jeudi du risque d'éclatement de cette jeune nation déchirée par un conflit armé entre le président et son ex-vice-président, Washington exigeant un cessez-le-feu immédiat. La diplomatie américaine multiplie depuis trois semaines les pressions sur les deux belligérants, mais, pour la première fois jeudi, elle a semblé prendre parti pour l'ancien vice-président Riek Machar en affirmant qu'il n'avait pas tenté de coup d'Etat mi-décembre à Juba, comme l'en accuse le président Salva Kiir. A l'occasion du troisième anniversaire du référendum sur l'indépendance, finalement proclamée le 9 juillet 2011, la secrétaire d'Etat adjointe pour l'Afrique Linda Thomas-Greenfield a exposé devant le Sénat la «tragédie» subie par le Soudan du Sud, bien éloignée de «l'avenir pour lequel le peuple sud-soudanais avait voté» il y a trois ans. «De manière tragique, le plus jeune pays du monde et sans aucun doute l'une des démocraties les plus fragiles est en danger d'éclatement», a averti la diplomate américaine, dont le pays est le plus grand soutien à cette nation née de la partition du Soudan, après des décennies de guerre civile. Très impliquée depuis 20 ans dans le dossier soudanais, la conseillère à la sécurité nationale de la Maison Blanche Susan Rice a exhorté, dans un communiqué jeudi soir, les deux camps à «signer immédiatement» un cessez-le-feu. Sur le terrain, l'armée du président Kiir a affronté jeudi les rebelles fidèles à Riek Machar près de la capitale régionale Bentiu, qu'elle tente de reprendre et où les habitants fuient à mesure que les combats se rapprochent. Aux yeux de Linda Thomas-Greenfield, ce conflit, qui a déjà fait plus d'un millier de morts selon l'ONU, est «la conséquence d'un énorme désaccord politique» entre MM. Kiir et Machar, ce dernier ayant été limogé en juillet par le chef de l'Etat. Et contrairement aux allégations proférées par le président Kiir, les Etats-Unis n'ont «pas vu de preuve d'une tentative de coup d'Etat» qui aurait été fomentée il y a trois semaines par son rival Machar et à l'origine des violences, a affirmé la ministre américaine. Cette prise de position du département d'Etat semble de nature à conforter M. Machar, lequel accuse justement M. Kiir de vouloir l'éliminer en lui faisant porter la responsabilité d'un prétendu complot avorté à Juba. Tensions ethniques Signe supplémentaire d'appui au camp Machar, Mmes Rice et Thomas-Greenfield ont une nouvelle fois réclamé la libération «immédiate» de détenus politiques à Juba, une allusion à 11 proches de l'ex-vice président emprisonnés depuis décembre. Car Washington veut que ces responsables de la rébellion participent aux laborieuses négociations de paix amorcées lundi en Ethiopie entre les deux parties. L'ancien vice-président Machar fait même de cette remise en liberté une condition préalable à tout cessez-le-feu, ce que refuse le régime de Juba. Susan Rice a, elle, renvoyé les deux camps dos à dos: les Etats-Unis sont «déçus» que le président Kiir n'ait «pas encore libéré» les 11 responsables rebelles, mais ils trouvent aussi «inacceptable» que Riek Machar en fasse «une condition préalable pour cesser les hostilités». D'autant que «chaque jour qui passe pour le conflit fait croître le risque d'une guerre civile totale, au moment où les tensions ethniques augmentent» entre les Dinka de Salva Kiir et les Nuer de Riek Machar, a insisté la secrétaire d'Etat adjointe Thomas-Greenfield. De fait, des massacres, viols, meurtres à caractère ethnique ont été rapportés dans les deux camps, des atrocités sur lesquelles l'ONU a promis d'enquêter. «La plus haute priorité des Etats-Unis et de la communauté internationale est de mettre fin à la violence et de tout faire pour que la plus jeune nation d'Afrique avance au lieu de reculer», a martelé Linda Thomas-Greenfield. Des experts du Soudan du Sud rappellent régulièrement que Washington est impliqué depuis des années pour la cause du Soudan du Sud, du soutien à la rébellion soudanaise indépendantiste sudiste de John Garang (mort en 2005) à l'indépendance en grande pompe de juillet 2011. Selon ces analystes, Washington a pour ce pays des intérêts autant humanitaires que stratégiques.