Selon les normes internationales, les taux de pauvreté en fonction du revenu semblent étonnamment faibles dans la région MENA (Bibi et Nabli, 2009 ; Adams et Page, 2003 ; Bargawi et McKinley, 2011). En adoptant des objectifs de réduction de la pauvreté définie de façon étroite, les stratégies de croissance pro-pauvres risquent d'ignorer un grand nombre de personnes à faibles revenus qui se situent juste au-dessus des seuils de pauvreté internationaux. Ce qui pose le problème des seuils à retenir pour définir les ratios des effectifs de pauvres, et jette des doutes sur la fiabilité et l'exactitude des données relatives à la pauvreté et, en conséquence, à leur applicabilité, dans la région. Les personnes qui vivent avec moins de 1,25 $ par jour (en PPA USD 2005) ne représentent que 4% de la population totale dans la région arabe. Ce chiffre semble correspondre aux ratios d'effectifs pour des régions beaucoup plus riches comme l'Amérique latine (5%) et il est bien inférieur à celui d'autres régions en développement comme l'Asie du Sud (40%) et l'Afrique subsaharienne (50%). Faire passer l'indice de référence à 2 $ ou à 2,75 $ par jour fait une différence importante pour les pays arabes (hors de proportion par rapport au reste du monde), mais, pour autant, l'image globale de la pauvreté demeure, selon les seuils internationaux fixés, relativement positive dans la région (19% vivent en dessous de 2 $ par jour et 40% en dessous de 2,75 $ par jour). Bien que limitées, les données (présentées ) pour les pays d'Afrique du Nord confirment cette vue d'ensemble. On distingue deux schémas : en Tunisie et au Maroc, où les ratios de pauvreté sont supérieures aux normes régionales (mais encore faibles par rapport aux normes internationales), on observe une tendance marquée à la baisse (de 6,5%-6,8% à environ 2,5% pour l'indice de référence inférieur, à 1,25 $ par jour). En Égypte, le ratio – selon un indice de référence similaire – est très faible, mais il est globalement stable ou légèrement en hausse (autour de 1,8%-2% entre 2000 et 2005). Toutefois, la différence devient considérable si l'on relève l'indice de référence à 2 $ par jour, même si le schéma demeure comparable. Par exemple, avec cette définition de l'incidence de la pauvreté, le Maroc a connu la plus forte baisse (de 24,4% à 14%), suivie par la Tunisie (de 20,4% à 12,8%) et l'Égypte, où la réduction a été beaucoup plus modeste (de 19,3% à 18,4%). À première vue, donc l'incidence de la pauvreté au Maroc et en Tunisie est désormais au niveau de celle de la région latino-américaine (environ 12%), mais elle est nettement supérieure dans d'autres parties du monde (par exemple Asie orientale à 40%, Asie du Sud et Afrique subsaharienne à 74%. S'il apparaît que les effectifs de la pauvreté dans la région MENA sont très sensibles au choix de l'indice de référence, on peut se demander si les seuils de pauvreté internationaux, tels qu'ils sont actuellement fixés, constituent des guides appropriés pour estimer l'incidence réelle de la pauvreté dans la région. Comme indiqué plus haut, des doutes persistent concernant l'estimation des données dans l'ensemble de la région MENA. Certains se demandent si les mesures de la pauvreté fondées sur le revenu (par exemple les ratios d'effectifs et le coefficient de Gini) ne donnent pas des résultats trop optimistes concernant l'amélioration des conditions des pauvres dans la région MENA. Breisinger et al., par exemple, concluent que, dans la région MENA, la réduction des chiffres de la pauvreté basée sur le revenu ne correspond pas à la moyenne mondiale, « alors que les taux de réduction de la malnutrition infantile sont semblables » (2012 : 9). Ils attribuent ces écarts en partie à des inexactitudes dans les données et en partie à l'importance des facteurs hors revenus (la santé et l'éducation, par exemple), qui peuvent être relativement moins développés dans la région et qui échappent aux mesures de la pauvreté fondées sur le seul revenu. Concentration des revenus en faveur de la tranche supérieure D'autres contestent la méthodologie utilisée dans les estimations de la pauvreté internationale dans le contexte de la région MENA. Par exemple, l'application d'une PPA universelle ne reflète pas nécessairement les niveaux de prix relatifs auxquels sont confrontés les consommateurs les plus pauvres, ce qui conduit à fausser les comparaisons entre pays de la région MENA (Sabry 2010, affirme que les enquêtes sur les dépenses des ménages révèlent une situation bien pire de la pauvreté en Égypte). Selon une autre méthodologie, qui prend en compte les dépenses de consommation par habitant, le PNUD a réévalué les seuils de pauvreté, jugeant l'indice de référence de 1,25 $ par jour comme beaucoup trop bas et prônant le seuil de 2 $, considéré comme « une référence plus appropriée » pour mesurer la pauvreté dans le monde (2011 : 24). Des doutes semblables ont été émis concernant les données empiriques sur les inégalités dans la région MENA, où les coefficients de Gini estimés à partir des enquêtes sur les dépenses des ménages semblent indiquer des niveaux d'inégalités modérés selon les normes internationales. En règle générale, on pense que ces enquêtes ne prennent pas en compte les groupes de revenus constituant les 5% supérieurs, d'où les résultats indiquant une stagnation ou une diminution de la consommation par habitant, par opposition aux résultats basés sur les comptes nationaux (UNDP, 2011 : 26-27). Sur la base des éléments fournis par l'indice de Gini, l'Égypte a connu une diminution de ses inégalités, alors qu'en Tunisie la tendance est quasi stagnante. Malgré la réduction marquée de la pauvreté au Maroc, l'indice de Gini montre que l'inégalité s'est en réalité aggravée entre 1999 et 2007 (passant de 39,5 à 40,9). Une analyse de la concentration des revenus au niveau des tranches supérieures et inférieures donne une image similaire. En Égypte, le ratio entre les revenus de la tranche supérieure de 20% et ceux de la tranche inférieure de 20% a baissé (il est passé de 3,2 à 2,9 entre 2000 et 2008); en Tunisie, il est resté stable (autour de 5,5 entre 1995 et 2005). Là encore, le Maroc se distingue avec une concentration des revenus en faveur de la tranche supérieure.