2013, année de tous les dangers pour le gouvernement turc, du Parti de la Justice et de développement (AKP issu de la mouvance islamiste), a été marquée par deux événements majeurs sans précédent : le large mouvement de protestation populaire de juin dernier et le scandale politico-financier en cours, qui semblent affecter le fameux «modèle turc» tellement présenté comme le modèle idoine pour les pays islamiques, notamment pour ceux de la région du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord. Après les événements de Taksim, qui avaient secoué en juin dernier presque toute la Turquie dans un large mouvement de contestation dirigé contre le gouvernement et son Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, accusé de «dérives autoritaires» et d'»affairisme», le pays fait face actuellement à une affaire de corruption sans précédent, où sont mises en cause des personnalités influentes du monde de la politique et des affaires proches de l'entourage d'Erdogan. Cette affaire de corruption, liée essentiellement à des appels d'offres publics dans le domaine des bâtiments, vient ainsi entacher le puissant Erdogan et son parti, qui président à la destinée de la Turquie depuis près de 12 ans, et qui se targuent d'avoir réussi «une expérience originale», qui a fait de la Turquie une «démocratie» et une puissance économique dans la région. Cette expérience semble subir les contrecoups de ce scandale, qui a fortement ébranlé le «trône» du Premier ministre, qui du haut de ses trois mandats à la tête du gouvernement, et en l'absence d'une opposition politique à la mesure, s'est érigé comme le maître incontesté de la Turquie et la personnalité la plus influente depuis Mustafa Kemal Ataturk, le père fondateur de la Turquie moderne. D'aucuns y voient une réelle menace pour le «modèle AKP» sachant que le danger est venu cette fois-ci de l'intérieur même du Parti et du mouvement islamiste turc en général, contrairement à la grogne de juin dernier, qui a été dirigée et nourrie principalement par les opposants politiques de droite comme de gauche. En effet, ce scandale de corruption dévoile au grand jour les profonds différends qui entachent désormais les relations entre le parti d'Erdogan et son allié d'autrefois, la puissante confrérie Fethullah Gulen, sur fond de la décision du gouvernement de fermer les «Dershane», ces écoles de soutien scolaire privées dirigées par le mouvement Hizmet (service) de ce prédicateur islamique turc. Menée le 17 décembre dernier à Istanbul et à Ankara, la rafle anti-corruption, qui a concerné une cinquantaine de personnes, dont les fils des ministres de l'Intérieur, de l'Economie et de l'Environnement, un maire municipal (AKP), le PDG de la banque publique «Halkbank» et les patrons de plusieurs groupes de construction, a provoqué une vaste onde de choc dans la société turque et plus particulièrement dans le gouvernement qui a vite interprété cette opération comme une action menée par des «organisations illégales drapées dans les habits de l'Etat», pour discréditer l'AKP à la veille des élections municipales prévues en mars prochain, dans une allusion au mouvement Fethullah Gulen. Les médias parlent désormais de divorce et de rupture profonde entre Erdogan et ce Mouvement, qui revendique plusieurs millions d'adeptes et de relais influents dans le monde des affaires et les systèmes sécuritaire et judiciaire turcs. Et ce n'est pas un hasard si après le déclenchement de cette affaire, le gouvernement turc a procédé à une large opération de purge dans les milieux sécuritaires (police), qui a touché plusieurs dizaines de responsables, dont le préfet d'Istanbul, Huseyin Capkin. Les conséquences de ce séisme politico-financier ne se sont pas fait attendre. Sur le plan politique, les trois ministres, dont les fils ont été appréhendés dans cette affaire, ont démissionné, avant que le Premier ministre ne procède à un large remaniement ministériel, qui a concerné près de la moitié des portefeuilles, dont les plus importants sont ceux de la Justice et de l'Intérieur. Le scandale a provoqué également une hémorragie dans l'AK-Parti suite à la démission de plusieurs membres influents, dont d'anciens ministres et des députés, mais aussi dans le système judiciaire après la sortie tonitruante d'un magistrat qui a crié aux pressions et à l'intimidation de la justice dans cette affaire. Ces accusations d'intimidation ont été également le leitmotiv de l'opposition politique, représentée essentiellement par le Parti républicain du peuple (CHP), qui a vite appelé le gouvernement à la démission. La rue pour sa part a réagi par plusieurs manifestations et sorties dans des villes comme Istanbul et Ankara pour demander encore une fois la démission du gouvernement, laissant planer le spectre des troubles de juin dernier, surtout après les interventions musclées de la police pour disperser les foules à coups de grenades Lacrymogènes et de canons à eau. Sur le plan économique, les retombées étaient très négatives. Le vice-premier ministre, porte-parole du gouvernement, Bulent Arinç, a estimé à 100 milliards de dollars les dommages de ce scandale, même si son collègue, le vice-premier ministre en charge des affaires économiques, Ali Babacan, s'est montré rassurant en indiquant que la Turquie maintient toujours ses prévisions de croissance à 4 pc pour 2014. Cet optimisme intervient alors que la monnaie turque, la Livre, et la Bourse d'Istanbul ont subi de sévères chutes depuis le déclenchement de ce scandale. La monnaie nationale a touché ce jeudi son plus bas niveau historique face au dollar, pour s'échanger à 2,1178 livres pour un dollar. La livre turque était également en recul face à l'euro (2,9879 livres pour un euro), alors que le principal indice de la Bourse d'Istanbul a perdu 1,91 pc à la mi-journée. Le scandale de corruption qui secoue la Turquie depuis un peu plus de deux semaines semble prendre de l'ampleur alors que le pays se prépare à des rendez-vous électoraux importants, qui vont commencer par les municipales en mars prochain et finir par les législatives en 2015, en passant par les très attendues élections présidentielles.