« Abdelfattah Kilito, Dédales de l'écriture », est le titre de l'ouvrage qui rassemble les actes du colloque international organisé en hommage à l'écrivain marocain Abdelfettah Kilito. Le colloque s'était tenu en février 2012 à l'Université Mohammed V de Rabat, où l'auteur enseigne depuis de longues années. L'ouvrage, réalisé avec la coordination de Khadija Mouhsine, vient d'être publié par les éditions Toubkal (Casablanca) qui publient en même temps une autre version en arabe réalisée avec la coordination d'Abdeljalil Nadem. Les ouvrages sont édités avec le concours de l'Université Mohammed V. Des aspects multiples de l'œuvre d'Abdelfattah Kilito sont évoqués dans ces textes avec l'objectif d'analyser les œuvres et surtout d'en arriver à déterminer la nature très originale du style de l'auteur de « La Querelle des images », « L'Auteur et ses doubles », « L'œil et l'aiguille », « Les Séances » etc. Les communications émanent notamment des collègues dont une bonne partie des professeurs chercheurs femmes de la Fac de lettres de Rabat mais aussi des universitaires et traducteurs étrangers français, espagnols, italiens etc. Dans l'introduction de l'ouvrage en arabe, Abdeljalil Nadem rappelle un mot fameux de Kilito disant que le propre de l'écrivain est d'adopter un ton d'écriture et de faire en sorte qu'il trouve faveur chez le lecteur. Dans son mot d'introduction Khadija Mouhsine décrit les contributeurs du colloque comme des « amoureux et/ou des curieux des œuvres de Abdelfettah Kilito venus d'horizons différents disciplinaires et géographiques ». Elle note par ailleurs, à propos du travail de Kilito: « ...œuvre protéiforme hybride, la fiction de l'essai, l'écriture de la réflexion sur la littérature, l'intertextualité féconde... ce qui prime, ce n'est pas tant l'histoire que le jeu de l'écriture, le leurre qui semble être le principal plaisir de l'auteur et partant du lecteur, acquis désormais à un palimpseste permanent » Pour sa part, Ijjou Cheich Moussa, dans sa communication « Onomastique et quête de soi et de l'autre dans les récits d'Abdelfettah Kilito, indique à propos de la dimension mémoire en littérature : « Cette incorporation onomastique dans les récits de Kilito, loin d'être un étalage d'érudition, crée un mouvement de va-et-vient et tisse tout un réseau de correspondances entre la littérature arabe et la littérature occidentale d'une part et les textes de Kilito et le corpus mondial d'autre part. Les noms des auteurs et des œuvres évoquant l'héritage de la littérature arabe sont intégrés dans les récits de Kilito en tant que « mémoire ». En les convoquant, en inscrivant leurs noms sur ces pages, Kilito les extrait de l'oubli, conformément à la fonction qu'il attribue à ses écrits et à la littérature en général : « Oui je continuerai à écrire pour contribuer à lutter contre l'oubli. La littérature n'a-t-elle pas pour principale fonction de préserver la mémoire ». Certes, la mémoire n'est efficace et n'exerce son attrait que parce qu'elle éclaire et interroge le présent et qu'elle est susceptible d'avenir. A.Nadem indique que c'est l'originalité et la rigueur des textes de Kilito qui permettent aux lecteurs de découvrir « une nouvelle vie aux textes qu'il présente ». Ceux-ci sont souvent les grands textes de la littérature arabe classique Jahiz, Mouqaffa', Ibn Hazm, al-Ma'arri, Ibn Tofeil etc. revus sous un nouveau jour en posant les questions brûlantes du devenir de la création littéraire aujourd'hui et des enjeux de langue. Littérature, poésie, philosophie, linguistique, histoire et autres disciplines du savoir s'imbriquent pour un va-et-vient entre passé et présent, entre littérature arabe et littérature occidentale. Le travail de Kilito semble avoir toujours été en effet de faire découvrir les grands textes littéraires sous un jour nouveau sans fioritures, dans une sorte de méditation où entrent en jeu ironie, humour, émotion. Ce faisant tout, semble-t-il, est fait pour éviter l'ennui grâce à une capacité de créer de l'étonnement, susciter l'éveil, pousser à la réflexion en guidant le lecteur par des sentiers imprévisibles. Le côté ludique est à coup sûr une fine courtoisie qui rend la grande érudition de l'auteur aérienne au lieu de pesante voire intimidante pour le lecteur. D'où le terme de dédale, labyrinthe qui semble emprunté à Borgès et dont Kilito use notamment pour le titre de son livre sur le grand poète philosophe arabe Abou al-A'la' al-Ma'arri « Al-Ma'arri ou les dédales de la parole » (en arabe éditions Toubkal 2000). Ce qui attire aussi c'est l'absence de frontières dans ces rapports intimes avec la littérature occidentale « La divine comédie » de Dante, « Don Quichotte » de Cervantès et les rapprochements incessants entre celle-ci et la littérature arabe, marocaine, la question de la traduction et de l'emprunt et donc transmission d'héritage, le thème du copiste et de l'écrivain créateur. Le rapport aussi central et récurrent avec « Les Milles et une nuits » et par conséquent avec le grand écrivain argentin Borgès avec lequel Kilito partage cet attrait pour ces textes leurres particulièrement ludiques à cheval entre le conte et l'essai où l'imaginaire se donne libre cours accentué par le mélange des genres. Les actes du colloque ont été publiés en deux volumes, l'un en français et l'autre en arabe. Une bonne partie du volume des textes en arabe sont des traductions, sauf quatre, lesquellzs ne sont pas compris dans le volume en français. La publication dans le même temps de ces deux livres, rappelle le jeu d'écriture auquel semble s'adonner depuis toujours Kilito écrivant tour à tour soit en français, soit en arabe en étant chaque traduit de l'arabe ou du français. Un bilinguisme qui en cacherait bien d'autres car il s'agit en réalité de plurilinguisme qui fait que Kilito s'interroge souvent sur la langue, encore une de ses méditations labyrinthiques favorites dans un Maroc ou coexistent l'amazigh, la darija, l'arabe, le français et l'espagnol etc. Plusieurs communications font un tour d'horizon de l'œuvre de Abdelfattah Kilito : Isabelle Reck de l'Université de Strasbourg, « Dites-moi le songe, un labyrinthe de mirages ou une femme en cache une autre », Touria Oulehri du CPR de Fès « Enigmatique icône », Saïda Chraïbi Fac de lettres Rabat « Dites-moi le songe ou la théorie du roman », Azeddine Nozhi Fac de lettres de Béni Mellal, « Abdelfattah Kilito, une enfance entre le texte et l'image », Saloua Eloufir ,fac de lettres de Rabat, « Fiction/auto-fiction ou l'obsession de la littérature », Houda Benmansour, fac de lettres de Rabat, « Jeux narratifs dans la Querelle des images », Marta Cerezales Laforêt, « Lire pour vivre », Abdessalam Benabdelali, « Littérature et métaphysique », Mirella cassarino, Université de Catane Italie, « Peut-on écrire les histoires avec une aiguille dans l'angle interne de l'œil ? », Hassan Moustir, fac de lettres de Rabat « Le réveil du soupçon : Kilito face au corpus arabe classique », Edgar Weber, Université de Strasbourg, « L'écriture d'Abdelfettah au fils du plaisir de la lecture », Amina Achour, « Une lecture politique de l'œuvre de Kilito », Ruth Grosrichard de sciences Po de Paris, « Kilito, l'homme du livre », Daniel Heller-Roazen, université de Princeton-USA « Arts of Silence », un texte en anglais. Les textes sont accompagnés d'une riche bibliographie établie par l'auteur où sont notés tous ses travaux depuis 1976. « Je parle toutes les langues mais en arabe » Parallèlement, les éditions Toubkal ont publié un autre ouvrage de Kilito, en arabe. Il s'agit d'un recueil de textes, « Je parle toutes les langues mais en arabe ». Il s'agit d'une traduction en arabe réalisée par l'écrivain et philosophe Abdessalam Benabdelali. La traduction sort en même temps que le texte original en français (Actes Sud, Paris). Le titre du livre, comme le signale l'auteur est repris du journal de Kafka citant une artiste de Prague disant : « Voyez-vous, je parle toutes les langues, mais en yiddish ». L'idée est que la langue maternelle reste toujours présente malgré l'apprentissage des autres langues. Elle peut paraitre absente, effacée, mais en réalité elle reste « embusquée ». Dans ces textes, souvent écrits à la première personne, Kilito développe le rapport complexe avec la langue écrite, la langue orale darija, l'arabe, le français dans une méditation autobiographique pour parler de la langue maternelle et langues d'écriture en commençant par une évocation de « Rissalat al-Ghouftane » de Maarri qui évoque la perte de la langue maternelle comme une déchéance avec Adam chassé du Paradis et qui désapprend sa langue maternelle originelle l'arabe pour le syriaque. L'auteur pose les questions de la création, du renouvellement de langue arabe qui ne peut se faire sans ouverture sur les autres langues d'où la question centrale de la traduction vers l'arabe. Des thèmes récurrents peuvent être remarqués d'un livre à l'autre, comme ce rapport énigmatique entre « Rissalat al-Ghoufrane » d'al-Ma'arri avec la « Divine comédie » de Dante, deux œuvres ayant vu le jour à quatre siècles d'intervalle, les évocations du livre central omniprésent « Les Milles et une nuits » le livre infini dont on ne peut jamais achever la lecture comme il est arrivé à Kilito de dire. « Abdelfattah Kilito, Dédales de l'écriture », groupe de chercheurs éditions Toubkal (Casablanca)