Le poète et écrivain marocain de renom Azzeddine Idrissi vient de publier en arabe son nouveau recueil de poèmes, « Takassim Ala Ikae Alboukae » (Compositions au rythme des pleurs). En menant des recherches approfondies sur la poésie romantique à la manière baudelairienne, Idrissi n'aura pas seulement bouleversé la nature de la poésie arabe moderne, il aura aussi interverti l'ordre de la création poétique : désormais, l'œuvre précède la théorie, qui trouve son aboutissement et sa légitimité dans la vie au sens illuminé du terme. Dans ce nouveau recueil, le poète exprime l'amour suprême, celui de la création littéraire. Ses lectures diversifiées dessinent le rendu fabuleux d'un projet poétique qui se veut un manifeste esthétique à plusieurs titres. Poète d'une extrême sensibilité, Idrissi revisite à sa guise les ressources de la littérature universelle. Sa soif de nouveauté le détourne de la plupart de ses contemporains. C'est en lui-même, à l'écart des modèles et des conventions, qu'il mène l'expérience du visionnaire et du voleur du feu en quête d'un univers parallèle, expérience qui fait rappel au poète universaliste Arthur Rimbaud qui disait : « Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences » (Lettre d'Arthur Rimbaud à Paul Demeny, 15 mai 1871). Derrière des illuminations poétiques, c'est le dit métaphorique d'Idrissi qui fascine et intrigue. Il est intransigeant et marqué par une tendance à la rhétorique et aux rites du milieu littéraire. Il accorde une grande attention aux « silences » et à l'«l'aisé inaccessible », qui lui permet de fixer « des rêves communs », ce qui lui amène à rejeter la leçon de ses prédécesseurs, et assure si bien cette « fertilité poétique ». Saison printanière et lettre du voyant, sa poésie exprime le bon goût d'une existence pacifique : goût apparent et riche en images allégoriques à vivre et à contempler. Son pacte autobiographique forme un volet complet de son œuvre : l'héritage littéraire du poète est indissociable des péripéties de sa vie, cristallisés dans ses anthologies. Ce capital existentiel fait de lui un grand témoin de son temps et un acteur incontournable à travers l'écriture connotative. La révolution poétique qu'il introduit passe par une expérience de l'imaginaire mystique, qui est aussi une aventure humaine par excellence. « La poésie est un paradis terrestre » Homme aux semelles de verbe, Idrissi écrit des poèmes tout en exploitant la nécessité de la vie sociale et tout en faisant allusion à Rimbaud qui écrit à Izambard le 13 mai 1871: « C'est faux de dire : Je pense. On devrait dire : On me pense. Pardon du jeu de mots. JE est un autre. ». Le poète se fixe donc pour tâche de se connaître en se débarrassant de toutes les conventions et les contraintes qui l'entravent, et ce à la quête de notre paradis terrestre qui est la poésie. Juriste et homme de lettres et sciences humaines, il conçoit la poésie comme une façon de traverser le monde, l'esprit ouvert, curieux. Lieu de forte implication où l'être se révèle, l'acte d'écriture s'interroge sur la complexité de la vie. Paru en 2013 après la publication de 15 recueils, y compris « Aghani Aloumr » (Chansons de la vie), le recueil «Compositions au rythme des pleurs », décliné en plus de 200 pages, se propose de revenir sur des questions de l'être, son existentialisme et son essence, et ce à partir d'un jeu impressionnant qui vacille entre la réalité et l'imaginaire. Il contribue à l'enrichissement de la bibliothèque des poèmes aux souffles mystiques, en assimilant le verbe à une touche symbolique qui nécessite beaucoup de réflexion afin de cerner ses contours et son fond.