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«Pendant longtemps, j'ai vécu une sorte de schizophrénie, séparant de manière complète mes travaux historiques et mes textes littéraires » Abdelmajid Benjelloun, auteur de « Le Mouvement nationaliste marocain de l'ex-Maroc Khalifien 1930-1956»
Abdelmajid Benjelloun est surtout connu comme poète qui excelle dans un genre littéraire de grande tradition, l'aphorisme. Des recueils d'aphorisme comme « L'âme fréquente aussi les beaux quartiers de l'esprit » (éditions Aïni Bennaï, 2008) et « L'éternité ne penche que du côté de l'amour » (éditions William Blake And Co, 2002), entre autres, révèlent un univers à part d'un auteur avec une solitude assumée. Sans parler de nombreux textes narratifs, « Mama » (éditions du Rocher, 2002), « La mort d'un proche ne se termine jamais » (éditions Toubkal, Casablanca 1998). Mais chez Abdelmajid Benjelloun, il y a une autre facette : celle de l'historien rattaché à une carrière universitaire ayant publié plusieurs livres, en particulier des recueils d'études : « Page d'histoire du Maroc : le patriotisme marocain face au Protectorat espagnol » (1993), « Fragments d'histoire du Rif oriental » (1995), « Etudes d'histoire contemporaines du Maroc », Tunis Fondation Temimi pour la recherche scientifique (2000). Parmi ses ouvrages d'histoire, citons aussi « Le Mouvement nationaliste marocain de l'ex-Maroc Khalifien 1930-1956» qui est à l'origine une thèse d'histoire, soutenue à la Faculté de Droit de Casablanca en 1983 et qui a été revue et augmentée pour n'être publiée que presque trente ans après, en 2012. Ce retard de publication est expliqué par les interminables difficultés de recherche d'archives pour notamment confirmer ou infirmer les relations entretenues entres la nationalistes de la zone nord du Maroc et les Espagnols, notamment lors de la guerre civile de 1936. Dans la conclusion, l'auteur écrit notamment, comme pour répondre à une question tautologique, demandant si le mouvement nationaliste de la zone nord était nationaliste : «Il est vrai que j'avais relevé quelques données sujettes à caution surtout dans les périodes de semi-coopération entre lui (mouvement nationaliste) et les autorités espagnoles et particulièrement en 1936-1939 et 1953-1956. Mais le lecteur l'aura remarqué, mon sentiment aura été que ces patriotes n'ont pas failli à leur mission dans une très large mesure ». Entretien. *Pourquoi la publication de cet essai d'histoire aujourd'hui et comment il se positionne par rapport aux travaux de recherche d'histoire de la même zone du nord du Maroc à l'époque du « Protectorat espagnol » ? -Ayant soutenu ma thèse en décembre 1983, j'ai attendu tout ce temps pour une raison très simple, c'est que j'attendais confirmation dans les archives publiques espagnoles de certaines affirmations déjà avancées dans ladite thèse, et au sujet desquelles je disposais déjà d'un début de démonstration et de confirmation dans un sens assez convaincant. J'y reviendrai dans ma réponse à une question ultérieure. Mon travail se positionne parmi d'autres travaux d'inégale importance. Si ce n'est, et sans que je prétende à aucun monopole en la matière, que j'ai été objectivement le premier marocain à m'être attaqué au thème, dès les premières années 1970. J'avais moi-même depuis 1983 publié sur le sujet une demi-dizaine d'ouvrages, sous formes de recueils d'articles, surtout. *Peut-on savoir selon vous succinctement les forces et faiblesses du mouvement nationaliste dans la zone nord du Maroc dans la lutte pour l'indépendance sachant? -Ses forces sont liées au fait que la zone khalifienne était animée par un groupe de patriotes marocains extrêmement déterminés à faire triompher la cause nationale. De plus, ils ont su jouer très habilement des différends ayant opposé presque de tout temps les autorités du Protectorat français, d'un côté, et celles de la zone d'influence espagnole dans la zone, de l'autre. Sans oublier que le mouvement nationaliste de la zone nord entretenait de puissantes relations avec l'Orient arabe. Par ailleurs, sans trop s'aventurer à affirmer que le colonialisme espagnol était celui d'un pays faible sous-impérialiste, sachant que ses méthodes d'administration étaient fort souvent aussi dures que dans le Protectorat français, il n'en demeure pas moins que les circonstances politiques intérieures en Espagne ont favorisé dans un sens le développement, voire le renforcement du mouvement nationaliste dans la zone nord. Quant à ses faiblesses, elles tiennent à des facteurs objectifs, en rapport avec l'exiguïté territoriale de la zone, sachant que sa population n'a jamais dépassé le million d'habitants. Mais je me suis toujours complu à déclarer que les patriotes marocains de la zone criaient plus fort que leur voix. *On dit que le mouvement nationaliste de la zone nord a eu relativement moins de difficultés par rapport à la zone française. Pourquoi ? -Ainsi que je viens de le dire, il est arrivé souvent que les autorités du Protectorat espagnol fussent aussi répressives que leurs homologues du sud du pays, mais dans l'ensemble, il est vrai que la qualité de ‘sous-locataire' des Espagnols a beaucoup servi leur cause, sachant que ces derniers étaient convaincus que le départ des Français du Maroc entrainerait le leur. Et comme ils savaient bien que leurs homologues français feraient tout pour se ‘cramponner' au Maroc, ils estimaient qu'ils n'avaient pas à ‘trop serrer la vis', si vous me passez l'expression. *Il semble que vos aspirations de chercheur ont été trop conditionnées par la question d'accès aux archives en vue de clarifier des interrogations épineuses ? Quelle appréciation des frustrations du chercheur et quel impact sur la quête de la réalité des faits ? -Il s'agit d'une véritable souffrance. Parfois, j'ai mis des années et même des dizaines d'années, avant de mettre la main sur une archive déterminée. Cependant je ne peux pas laisser passer cette occasion sans rendre un vibrant hommage à Sidi Mohamed, le fils du défunt leader Abdelkhalek Torrès, qui dès le début m'a ouvert l'intégralité des archives historiques de son père, sans lesquelles, je n'aurais absolument pas écrit une seule ligne sur le mouvement nationaliste du Maroc khalifien. *Que représente votre thèse de 1983 par rapport au texte actuel de votre étude ou encore quelle évolution intervenue par rapport au projet initial ? -En vérité, et malgré les nombreuses recherches que j'ai continué à entreprendre et les livres que j'ai publiés, et que j'ai déjà évoqués plus haut, sans compter la multitude d'articles que j'ai fait paraître sur tel ou tel autre aspect de cette histoire, il reste que le point focal de mon livre concerne la très épineuse question des avantages matériels accordés par les Franquistes aux patriotes marocains de la zone pendant la guerre civile espagnole, au sujet desquels j'ai réussi d'ailleurs à obtenir une confirmation décisive et sans appel. *Quels rapports entre vos travaux de recherche en histoire et les textes littéraires et poétiques où vous semblez autrement plus prolifique ? -la vérité, c'est que pendant longtemps j'ai vécu en la matière une sorte de schizophrénie, séparant de manière complète mes travaux historiques et mes textes littéraires. Mais ces dernières années, et presque insensiblement, ou du moins au début, je me suis évertué à rédiger dans le domaine de l'histoire avec un souci littéraire, surtout par l'introduction dans mes textes y afférents d'aphorismes, qui constitue un peu ma spécialité.