Kalimate Editions, siégeant à Salé, est une jeune maison d'éditions créée il y a deux ans par un groupe d'auteurs dont certains sont d'anciens détenus politiques des années de plomb, Driss Bouissef Rekab, auteur de « A l'ombre de Lalla Chafia » (1989), Mohammed Errahoui, auteur de « Mouroirs, chroniques d'une disparition forcée » (2008), Taoufiki Belaîd, auteur du roman en arabe « Massarat hadda jiddan » et du nouvelliste Abdellah Baali (notre photo). Les rassemble la passion de la lecture et de l'écrit. Driss Bouissef avait déjà commencé une première expérience d'éditeur avec Saad Warzazi Editions en publiant d'importants ouvrages avant de s'engager, il y a près de deux ans, dans cette nouvelle expérience avec un groupe d'amis animés par les mêmes dispositions de contribution au développement de l'édition cuturelle. Le résultat a été, malgré les difficultés énormes au niveau du coût de l'impression et de la distribution et sans aucun soutien, la publication de près de trente ouvrages, des essais d'histoire, de linguistiques, des recueils de poésies, des romans, des traductions comme « Le Prince » de Saint-Exupéry traduit en arabe par Abderrahim Youssi, « Bilan d'une colonisation » de Albert Ayache, traduit en arabe par Abdelkader Chaoui et Noureddine Saoudi, « Madinat Sala-Ribat al-Fath », un essai d'histoire de Salé et Rabat par Mohamed Sammar. Des textes de témoignages comme « Bribes d'une décennie à l'ombre » de Mohamed El Khotbi. Des romans en français, « Clair de lune » de Maroua Affa et « Dieu ne repasse pas à Bethleem » de Jacob Cohen. Des romans en arabe, « Bâdiat erramad » de Mhamed Karroum, « Ala al-jidar » de Halima Zinelabidine, « Ach-chahida » de Mohamed Bouabidi. Des recueils de poèmes de Fatiha Chaieb, Mohmed Ezahir, Jamal Khairi, Malika Dribiyyine. Des recueils de nouvelles de Abderrahim Bekhkhache. Tout récemment la maison d'éditions vient de faire paraître « La Montagne rouge des Ouled Mimoun » de Jamal Bellakhdar, un roman historique sur l'Oriental. Dans l'entretien suivant, Driss Bouissef a bien voulu nous parler de cette expérience qui est aussi une histoire de résistance. -Peut-on avoir une idée sur le projet éditorial des éditions Kalimate avec les objectifs et l'équipe? -Kalimate est née fin 2010, c'est-á-dire cela fait à peine deux ans et demi. Nous sommes une équipe réduite, mais pleine de bonne volonté et, surtout, très homogène. Notre idée fondamentale, qui encadre toute notre action éditoriale, est de faire un travail sérieux, honnête et de qualité. Je sais que nous ne sommes pas les seuls à avoir ces idées et cette ambition, mais je crois que le monde éditorial marocain en a encore besoin. Je sais aussi que c'est une tâche difficile, mais nous ne nous pressons pas trop, nous cherchons des textes qui puissent représenter une petite valeur ajoutée. Nous essayons, en somme, de participer au travail d'accumulation -qui nous semble nécessaire- d'une production culturelle marocaine qui augmente sensiblement au fil des jours. -Est-ce que la publication de «La Montagne rouge des Ouled Mimoun» de Jamal Bellakhdar constitue une étape importante dans l'ambition de votre projet? -Jamal Bellakhdar est un grand homme de sciences, un grand écrivain et un immense humaniste. Il a écrit un beau roman, « La montagne rouge des Ouled Mimoun », qui retrace la trajectoire vitale passionnante de toute une région du Maroc, l'Oriental. Et c'est une histoire passionnante parce que ses personnages sont des êtres qui ont réellement existé et vécu. Et il raconte, tout au long de cette saga de tribus pauvres mais fières, à la fois sages et turbulentes, l'histoire et le rôle de certaines femmes d'une trempe magnifique. Nous sommes, à Kalimate, heureux et honorés d'avoir pu publier ce roman qui deviendra, je n'en doute pas, une référence du genre. -Quels genres de difficultés rencontrées en tant qu'éditeur pour la circulation du livre notamment au niveau de l'impression et la distribution? -L'impression du livre, au Maroc, se modernise très rapidement. Elle est correcte, généralement, et très bonne quelquefois, mais chère. Elle n'est pas chère dans l'absolu, mais en comparaison du pouvoir d'achat du lecteur moyen marocain. La cherté de l'impression oblige l'éditeur à augmenter le prix du livre, et ceci rend son acquisition plus difficile. Pour donner un exemple : le prix de La montagne rouge des Ouled Mimoun est de 80 dirhams l'exemplaire. Nous aurions voulu mettre un prix moindre, parce que 80 dirhams c'est beaucoup pour ce lecteur moyen auquel j'ai fait référence, mais cela n'a pas été possible, surtout si nous tenons compte du fait que nous ne pouvons pas éditer un grand nombre d'exemplaires, puisqu'ils se vendent très mal. La circulation et la distribution du livre sont deux choses un peu différentes, je crois. La circulation du livre (c'est-à-dire le fait qu'on puisse le trouver partout au Maroc et qu'il puisse être acquis) dépend de la distribution (c'est-à-dire du fait qu'il puisse être acheminé et déposé dans les librairies et autres points de vente). Or la distribution qui se fait au Maroc ne répond pas tout à fait aux attentes des éditeurs. Elle est très chère, elle est quelquefois aléatoire et elle ne parvient pas partout. Mais soyons justes : il faut dire que la bonne distribution dépend, à son tour, de la lecture. Si les gens achètent et lisent, cela encourage la distribution, et le contraire est vrai, bien entendu. Nous nous trouvons donc au milieu d'une sorte de cercle vicieux qui constitue la démonstration d'une chose dont tout le monde parle : la crise de la lecture. -Quelle perspective pour le court terme (prochaines publications, coéditions...) -Pour le moment, nous n'avons aucun projet de coédition. Nous venons de commencer et il nous faut aller doucement. Ceci dit, nous avons en effet des manuscrits, nous avons des idées et nous avons la volonté d'aller de l'avant dans ce monde passionnant de l'édition, qui fait partie en même temps du monde économique et du monde culturel. Ainsi, pour le court terme, nos deux prochaines publications sont un livre sur Ibn Arabi (en arabe) et un autre sur les soldats marocains rapatriés du Vietnam au début de la deuxième moitié du vingtième siècle (en français).