Les grandes écoles s'intéressent désormais au sport et à sa gestion. On peut citer HEM, les ENCG qui prolifèrent partout comme modèle réussi, les diverses Ecoles de cadres et quelques facultés dépendant de l'université marocaine. Lors de ces dix dernières années, quelques étudiants chercheurs ont soutenu des thèses sur la gouvernance du football au Maroc, avec Abderrahim Rharib notamment, une thèse en droit public du sport, soutenue par Moncef El Yazghi et une autre à venir, en ethnologie sur la violence et le football à travers le cas du Maroc. UN DEMI LIVRE PAR AN Avant l'arrivée de ces chercheurs et d'autres, soutenus par une cellule d'ethnologie à la faculté des sciences juridiques et économiques de Casablanca, seul M. Kaâch pouvait se targuer d'avoir soutenu un doctorat en économie du sport, en France. A cette époque on parlait à peine de la dimension «non économique» du développement, c'est-à-dire la culture et le sport (excusez du peu !). La centaine de mémoires de fin d'études, à l'Institut Moulay Rachid, encadrés par Aziz Daouda et Hassan Hormat Allah, pour ne citer que les plus illustres parmi nos formateurs, sont restés enfermés dans des tiroirs pour y subir la loi ingrate de l'oubli et de «l'immémoriel». Au niveau de l'édition, la situation n'est pas plus brillante, avec une trentaine de publications depuis l'Indépendance, c'est-à-dire moins d'un demi livre par an, 6 en 50 ans. Et nous nous référons à des publications, prises dans un sens quantitatif, c'est-à-dire que nous mettons de côté la dimension éditoriale, le contenu des publications et de leur apport scientifico-pédagogique, la crédibilité et la compétence des auteurs et le professionnalisme de l'éditeur. Le sport a donc été livré à la presse sportive, qui en reste le témoin privilégié et donc l'historien chronologique, souvent sans une distanciation critique, telle que rappelée par le sociologue français Pierre Bourdieu, auteur de réflexions pertinentes sur le sport. Car il est difficile voire impossible de détacher le journaliste de l'objet de son action: le sport. MEDIA SPORTIF OU MEDIA DU SPORT? On parle d'ailleurs de journaliste sportif (on y mêle le corps acteur) et non de journaliste du sport, comme on dit presse sportive et non presse du sport. Et le débat n'est pas que d'ordre étymologique, il réfère plutôt à l'essence même du sport et à la manière dont il est perçu par ses interprètes, au Maroc. Avec un maximum de dose polémique, qui empêche une véritable réflexion critique sur ce qu'il est convenu d'appeler, pour être simple «la crise du sport». Mais doit-on percevoir la crise comme étape négative ou comme phase historiquement indispensable, destinée à assurer la croissance? Bien sûr, il existe des spécialistes qu'on appelle «crisologues» ou encore des «terroristologues» pour citer Kepel qui affuble certains intellectuels médiatiques, dans un autre champ de recherche, de cette identification fort réductrice mais justifiée en l'espèce ! Cependant, on ne peut pas, même à un niveau primaire du raisonnement, accepter que le sport, objet ludique par excellence, lieu de spectacle, de jouissance, de défoulement, de jubilation et de plaisir partagé soit cantonné dans un discours de rejet éternel. D'ailleurs, à force de subir la crise des résultats répétés, on a fini par légitimer le ton polémique comme étant l'unique et seul modèle vrai et authentique. Que vous vous acquittiez d'un travail d'enquête et de terrain, cela n'est crédible que si vos conclusions débouchent sur un rejet radical du modèle étudié. ETHIQUE ET CONTRE-MODELE Pourtant, le rôle du chercheur est d'opposer au modèle critiqué un contre-modèle. Et à moins de se positionner comme nihiliste, ce qui est possible mais difficilement applicable au sport, on est tenu de jouer le jeu, comme dans un match de football où les règles sont opposables à tous, protagonistes ou antagonistes soient-ils. On ne parle pas des valeurs du football, pas du fair-play mais du carton rouge: on est exclu du jeu quand on tackle dangereusement un adversaire. Est-ce le cas quand on colporte une rumeur sous prétexte qu'on recherche le scoop? En sport, on trouve des scoops tous les jours, toutes les minutes, toutes les secondes et quand on ne déniche pas un scoop on est dans l'obligation de l'inventer. Ainsi est fait le monde du sport au Maroc, avec un imaginaire où le fictionnel est très riche avec le supportérisme et ses divers acteurs (slogans chantés des stades, banderoles, identification...), mais appauvri par des approches égocentriques. Et le drame c'est que ce système clos permet rarement sinon jamais une incursion différente. On sollicite, ici, la différence et non la divergence, ce qui montre l'impact dangereux de l'imposture dominante comme pratique et comme modèle. Aujourd'hui, l'impression dominante dans notre société en mutation accélérée, est que le sport devient un prétexte et cesse d'être un contexte. La faute en incombe, surtout, à l'absence d'une réflexion rigoureuse, basée sur des recherches véritablement scientifiques. Nous le disons avec l'espoir de voir notre université s'ouvrir sur la recherche pluridisciplinaire en sport (sportologie), au moment où il existe dans le monde des universités spécialisées dans le sport comme discipline éclatée et soucieuse de théorisations constamment renouvelées et mises à niveau. Dans l'intérêt de la collectivité et de la cité. Au Maroc, certains mordus du football ont cassé certaines barrières administratives, pour passer à la recherche comme l'a fait un cadre de la Sûreté Nationale, M.Abdallah Mountassir, auteur d'un mémoire sur «Le contrat du joueur professionnel de football». Il serait encore plus judicieux de s'adonner au «partage épsystémologique» dans toutes les administrations, pas pour de simples soucis académiques, certes nécessaires et indispensables, mais aussi pour des raisons utilitaires à un moment où le sport nous interpelle plus que jamais. Serions-nous à ce point désarmés pour y trouver l'issue juste et avisée, sans le savoir et l'information requis? Et désintéressés, aussi!