Ancien haut cadre au ministère de l'Education nationale, au ministère de la Culture, à l'OCP et au ministère des Affaires de la Communauté marocaine résidant à l'étranger feu Ahmed Aqallal, rappelé à Dieu le mercredi 12 Ramadan 1433 (1er août 2012), laisse derrière lui le souvenir d'un homme aux qualités exceptionnelles qui a su réunir entre le militant engagé et le patriote qui a consacré sa vie académique et professionnelle au service de l'édification de son pays et du rayonnement des structures étatiques et des administrations au sein desquelles il a eu à faire valoir son savoir- faire et ses compétences. Si Ahmed Aqallal n'était pas uniquement un haut fonctionnaire aux qualités reconnues, mais aussi un homme de grande culture et un intellectuel d'une rare trempe dont les écrits et les travaux de traduction, entre autres, furent d'un apport considérable. C'est le cas notamment de l'excellente traduction de la préface de l'ouvrage référence du docteur Abdelhadi Tazi « Al Qaraouiyine » (Dar Al-Kitab Allubnani – 1973) que nous reproduisons, par ailleurs, ci-dessus après ce bref aperçu du parcours exceptionnel de feu Ahmed Aqallal. Biographie expresse : Avant son départ à la retraite, M. Ahmed Aqallal occupait la fonction de secrétaire général du Ministère des Affaires de la Communauté Marocaine à l'Etranger depuis février 1991. Né à Fès le 15 septembre 1938, M. Aqallal y achève son cycle secondaire. Baccalauréat en poche obtenu au Lycée Moulay Idriss, il quitta en 1957 sa ville natale pour la capitale administrative pour intégrer successivement l'Institut des Hautes Etudes Marocaines de Rabat puis l'Ecole Marocaine d'Administration où il décrocha son diplôme du cycle des études supérieures en 1958. Il part à Paris et suit la formation de l'Ecole Nationale d'Administration, et est auditeur libre à l'Institut des Sciences Politiques. Il profite de son séjour en France pour effectuer des stages pratiques auprès de la Préfecture du Calvados à Caen (Normandie), puis auprès du Rectorat de l'Université de Caen, de la Municipalité de la ville de Caen qu'il choisit pour sujet de son mémoire. Il est également stagiaire au Ministère français de l'Education Nationale et à la Bibliothèque Nationale de Paris. De retour au Maroc en septembre 1959, il rejoint le Ministère de l'Education Nationale, des Beaux-Arts, de la Jeunesse et des Sports en qualité de chef de la division du personnel jusqu'en 1965. M. Aqallal se voit alors confier la division des Beaux-Arts et du Folklore de ce département jusqu'en mai 1967. A cette date, il est promu chef de cabinet du ministre de l'Education Nationale et des Beaux-Arts jusqu'à juin 1968. Il est alors directeur de cabinet du ministre de l'Education Secondaire et Technique puis, en août 1969, directeur de cabinet du ministre d'Etat chargé des Affaires Culturelles et de l'Enseignement Originel. Cette dernière fonction achevée en août 1971, M. Aqallal prend en charge la Direction des Affaires Culturelles au Ministère de la Culture, de l'Enseignement Supérieur, Secondaire, Originel et de la Formation des Cadres. De 1972 à 1973, il est secrétaire général de ce Ministère avant de devenir le directeur-fondateur de l'Institut de Promotion Socio-Educative (IPSE), filiale du groupe OCP. M. Aqallal est donc détaché par décision du Premier ministre auprès de l'OCP de juin 1974 à février 1983. Cette année-là, il est de nouveau secrétaire général mais au Ministère des Affaires Culturelles, et ce, jusqu'en 1988. Marié et père de 3 enfants, M. Aqallal compte à son actif plusieurs décorations : - Ouissam Errida, classe exceptionnelle (Rabat-1967) - Ouissam El-Arch, grade Chevalier (Rabat-1986) - Chevalier de l'ordre des Palmes Académiques (Paris-1977) Texte de la préface de « Al Qaraouiyine » traduite par feu Aqallal : « Au Maroc, dans la ville de Fès, une parcelle de terrain occupe un demi-hectare de la rive gauche qui porte le nom des immigrés d'AI Qaïraouane (Kaïrouan), et abrite le cœur battant de la cité, cœur dont l'impulsion et la vitalité ont marqué de leur empreinte indélébile les vastes provinces de l'empire maghrébin. Ce cœur vivant, c'est la Mosquée-Cathédrale Al Qaraouiyyine, à laquelle revient le mérite, tout le mérite d'avoir maintenu la présence de l'Islam et de la langue arabe à travers les terres africaines. En effet, son rôle ne s'est pas limité à l'accueil des fidèles pour l'accomplissement de leurs dévotions et de leurs prières, mais s'est étendu à celui d'un véritable foyer culturel dont le rayonnement englobait les différentes régions du Grand Maghreb pour atteindre aussi bien les contrées de l'Orient que les cités de l'Andalousie. Si les historiens considèrent Al Qaraouiyyine comme « la plus ancienne université du monde», ils visent surtout à mettre en lumière le fait qu'elle fut l'unique institution qui perpétua sa noble mission d'enseignement, sans avoir à souffrir des crises et des épreuves que subirent les mosquées de Zaitouna et d'AI Azhar ainsi que le Collège Al Mostansiriah. Al Qaraouiyyine demeura en effet loin des courants tumultueux qui ravagèrent les métropoles de l'Orient tels que Baghdad, Damas et Le Caire et qui en perturbèrent les structures. C'est ainsi qu'elle garda intact sa personnalité et sa physionomie jusqu'à nos jours, notamment par tant d'éléments architecturaux qui remontent à l'époque des Idrissides, aux temps des antagonismes entre Fatimides et Omeyyades ainsi qu'au règne des Zenatas, des Almoravides, des Almohades, des Mérinides, des Ouattassides, des Saâdiens et des Alaouites. Toutes ces dynasties ont ainsi laissé de leur présence un témoignage mémorable, mais toutes sont redevables à l'Institution d'honorantes attentions : aux uns elle accorda un soutien qui consacra leur autorité, aux autres elle indiqua la voie de la raison; à d'autres encore elle apporta les preuves en faveur de tel choix salutaire. Al Qaraouiyyine connut une prospérité telle que ses ressources tant en biens immeubles, qu'en terres fertiles et en riches plantations, rivalisèrent avec les revenus de l'Etat lui-même, si bien que celui-ci se trouva dans la nécessité de recourir au trésor des Wakfs (biens de main-morte) consacrés à cette Institution, et ce, en vue de subvenir à des dépenses publiques ou de combler un déficit. Notons que ces biens constitués en Wakfs, n'étaient acceptés qu'après de minutieuses enquêtes destinées à établir la bonne provenance des ressources et la légitimité des droits des constituants. Ce fut d'ailleurs là un principe intangible adopté en faveur d'Al Qaraouiyyine depuis l'origine de sa fondation. Aussi, la confiance que lui témoigna le public amena-t-elle les gens fortunés à mettre en lieu sûr, dans son «dépôt», leurs biens les plus précieux. Il est à signaler, d'autre part, que de toutes les mosquées du monde musulman, Al Qaraouiyyine possède le plus ancien minaret, solidement conservé jusqu'à nos jours, conformément au plan architectural établi il y a onze siècles, ce minaret sert de guide aux huit cents autres de la cité, auxquels il donne le signal de la prière. Ce monument et la chambre qui lui est attenante ont successivement servi d'observatoire et ont contenu de très anciennes clepsydres (celles d'Ibn AI Habbak, d'AI Oarastouni, d'Al Jayi...) ainsi que des sabliers et des astrolabes, à tel point que l'ensemble constitua un véritable musée que savants et astronomes s'appliquèrent à organiser et à fournir en instruments propres aux études et observations astronomiques. Les premières horloges mises au point en Europe firent aussitôt leur apparition dans cet observatoire, ce qui témoigne des soins particuliers dont on l'entourait. Quant à son minbar, il se trouve être le plus riche et le plus ancien que des professeurs, maîtres artisans, aient façonné de leurs propres mains tout en dirigeant des cours au sein de l'édifice. D'illustres orateurs rivalisèrent d'honneur pour prononcer de cette chaire leur sermon, ne serait-ce qu'une seule fois, car pareille occasion leur procurait dignité et célébrité. Par ailleurs, les coupoles, octognales, à stalactites ou circulaires, les chapiteaux des colonnes, les voûtes des arcades, les frises des portails sont autant d'oeuvres artistiques qui reflètent le génie des architectes et décorateurs maghrébins et qui impressionnent par leur beauté les amateurs d'arts monumentaux. Le souvenir de l'Alhambra de Grenade s'impose à la mémoire lorsqu'on embrasse de la vue le vaste patio de la mosquée dont les façades latérales sont ornées en leur milieu de deux élégants pavillons, reposant sur de gracieuses colonnes de marbre et abritant deux vasques symétriques par rapport à la vasque centrale. Al Qaraouiyyine se trouve encore être le seul monument qui soit alimenté par cinq sources destinées à couvrir en toutes saisons les besoins en eau de l'édifice et de ses dépendances. Peu de canalisations ont été aussi judicieusement conçues à telle enseigne que, même en temps de dure sécheresse, cette mosquée restait le seul monument où l'eau ne fit jamais défaut. Sa célèbre bibliothèque constituée par les apports des Mérinides et par ceux connus sous le nom d'AI Ahmadiya (du nom du roi saâdien Ahmed AI Mansour) renfermait de riches et précieux manuscrits de tous genres, mentionnés par des documents historiques et par des attestations de Wakfs. Ce qui constitue une précieuse source d'information sur les disciplines enseignées et sur les oeuvres étudiées à différentes époques. La vie intellectuelle était si prospère qu'une criée de livres manuscrits se tenait chaque semaine dans la partie Sud-Est de la mosquée et que trente trois sections de cette bibliothèque furent ouvertes dans chacune des petites mosquées relevant d'Al Qaraouiyyine. Si l'on juge de l'importance d'un monument par le nombre de ses accès, Al Qaraouiyyine compte dix-huit portails, modèles de majesté et de splendeur dont certains sont recouverts de plaques de bronze ciselées de dessins et d'inscriptions louangeuses ou gravées de nom d'artisans. La population afflua dans la zone périphérique pour l'habiter, en raison du voisinage de la mosquée, de l'éclairage soigné et des autres attraits qu'on y trouvait. Juges, notaires, astronomes, muftis, imams, prédicateurs, libraires, savants, médecins y avaient élu domicile. Des collèges (médersas) furent édifiés dans les alentours pour l'accueil des étudiants et furent dotés de salles d'études. Ces médersas richement ornées de mosaïques et de motifs décoratifs en plâtre et en bois avaient si grande allure, que l'une d'elle reçut le qualificatif de «Merveille de Fès». Al Qaraouiyyine attira ainsi des milliers de familles de diverses régions du Maghreb, ce qui lui valut le mérite de réunir à Fès un grand nombre de groupements issus de tribus originaires des contrées les plus lointaines. Bien plus, elle exerça son attrait sur des foules d'Andalous et d'Africains aux côtés desquels on trouva même des Persans et des Kurdes. Résider dans le voisinage privilégié d'un tel sanctuaire faisait en effet pour les uns et les autres, l'objet de voeux très chers. Al Qaraouiyyine, la première dans l'Histoire universitaire, instaura une tradition, celle d'honorer ses étudiants, au printemps de chaque année, en accordant à l'un d'eux l'accession au titre de «Sultan Attalaba». A cet effet, le « monarque» des étudiants reçoit tous les insignes de la souveraineté : il monte un cheval princier et se fait abriter sous un parasol royal. Il nomme les ministres de son gouvernement parmi ses condisciples et reçoit durant la semaine de son «règne» la visite du vrai souverain, dans une pompe et un cérémonial majestueux. Al Qaraouiyyine connut une organisation précise en ce qui concerne le régime des études et des vacances, ainsi que des traditions particulières relatives aux cercles de cours dont les uns étaient confiés à un seul professeur, tandis que d'autres étaient dirigés par deux enseignants. Certains cercles étaient fréquentés uniquement par des étudiants portant le turban alors que la participation à d'autres était interdite aux adolescents. Si la ville de Fès jouissait de son rang de « Siège du Royaume», c'est grâce à Al Qaraouiyyine qui disposait d'une centaine de sections d'étude, réparties à travers la cité, où l'on compta à une époque jusqu'à cent quarante chaires d'enseignement, dont bénéficiaient des auditeurs issus de toutes les couches de la population. Il était de notoriété publique que les étudiants non originaires de Fès, s'ils souhaitaient acquérir plus tard réputation et célébrité, devaient nécessairement poursuivre leurs études à Al Qaraouiyyine. Le mérite d'avoir sauvegardé au Maroc l'enseignement du Hadith (Traditions Prophétiques) sur la base de récits transmis fidèlement de génération en génération depuis les temps du Prophète (Assanad et AI Isnad), revient incontestablement à Al Qaraouiyyine. Elle institua également les fonctions de «chargé de département» pour chaque discipline, de «commentateur» pour chaque traité précis, et rétablit le système des « Ijazat» ou attestations de capacité scientifique, qui restèrent en vigueur jusqu'à leur remplacement par un Diplôme universitaire tout récemment créé. Durant la première phase de l'Histoire universitaire de la mosquée, les professeurs dispensaient un enseignement basé sur des ouvrages composés en Orient ou ayant fait l'objet de traduction. Toutefois, ils ne tardèrent pas à adopter leurs propres oeuvres lors de la deuxième étape, qui fut marquée par l'apogée de l'Institution. La troisième étape, celle de la réorganisation, coïncida avec l'apparition de l'imprimerie lithographique, époque où l'on commença alors à exporter en Orient des ouvrages édités à Fès. Les oulémas d'Al Qaraouiyyine adoptaient une méthode qui leur était propre en matière de composition d'ouvrages, méthode qui différait de celle de leurs collègues d'Orient. C'est dire encore une fois la particularité de la personnalité maghrébine dans ce domaine, personnalité qui se signala, entre autres, par le choix du rite malékite et du dogme achaârite par l'adoption de la méthode de lecture du Coran professée par Ouarch par le choix de la version rapportée par Ibn Saâda concernant les «hadiths» recueillis par AI Bokhari. par l'utilisation et la diffusion des chiffres arabes et enfin par la mise au point «d'El Amal El Fasi», traité de droit musulman dont l'ensemble des jurisprudences étaient en honneur à Fès. L'esprit d'émulation entre les oulémas a contribué à la création d'un mouvement intellectuel dont le rayonnement rejaillissait sur les milieux fassis, ce qui a permis de stimuler les esprits et de développer le sentiment d'enthousiasme à l'égard de la culture. Composé essentiellement de blanc, l'habit universitaire porté par le corps professoral d'Al Qaraouiyyine trouve son origine dans un haut fait de l'Histoire nationale et rappelle ainsi les exploits de l'Islam dans les périodes glorieuses de son apogée. Aussi, les traditions marocaines suivies en périodes de fêtes comme de deuils, sont-elles marquées par le port du blanc, en souvenir des prescriptions séculaires d'un dahir promulgué par les Mérinides. Les écrits d'auteurs étrangers ont souligné l'apport d'Al Qaraouiyyine dans l'évolution du mouvement orientaliste: avant d'être pape, Sylvestre Il avait profité de l'enseignement donné par l'Institution à l'aube de son histoire : Clénard, Golius, André en suivirent également les cours, alors que d'autres disciples professèrent plus tard l'enseignement de la langue arabe dans les universités de l'Europe médiévale. Le mérite d'Al Qaraouiyyine n'était pas seulement dans la présence de célèbres et doctes personnages qui, par leur assiduité, fréquentaient ses lieux ou occupaient ses chaires, mais s'étendait également à des dames vertueuses qui venaient assister aux séances de cours, à partir des galeries surplombant les cercles d'études. Ainsi, les jeunes mariées étaient-elles instruites dans leurs devoirs de la vie d'ici-bas et des l'au-delà, car elles en avaient reçu l'enseignement pendant leur jeunesse dans les demeures de «Faquihat», maîtresses qui, à leur tour, avaient elles-mêmes assisté aux cours d'illustres-enseignants. Lorsqu'on cherche à énumérer les noms des professeurs, hommes et femmes, qui ont vécu à Fès et animé les cercles d'étude d'Al Qaraouiyyine, on se trouve devant un si long répertoire d'érudits qu'il faudrait des dizaines de volumes pour en relater la biographie. Véritable pépinière, Al Qaraouiyyine assurait pour l'Etat la formation de cadres à tous les niveaux, aussi bien hommes de lettres de grand renom que magistrats de talent qui, les uns et les autres, exercèrent leurs fonctions à Fès-même ou dans les autres villes du Maghreb et d'Andalousie. C'est encore parmi ses lauréats qu'on nommait les ambassadeurs devant se rendre en mission dans les lointains pays. Par leur dévouement, leur sincérité et leur sollicitude, ils étaient cités en exemple. Les échanges de consultations entre Oulémas de Fès et ceux du Levant avaient permis d'établir entre eux des rapports fréquents, notamment à l'occasion d'événements notoires intervenus aux époques almoravide, almohade, mérinide, ouattasside, saâdienne et alaouite. Aussi, les pays du bassin méditerranéen et particulièrement Tunis, Tripoli et Alexandrie, demeuraient-ils des centres de rencontre entre personnalités intellectuelles originaires de ces diverses contrées : c'est ainsi qu'on trouvait le nom de Fès sur toutes les langues et que le rite malékite bénéficiait d'une sérieuse prééminence dans de vastes territoires et jusqu'en Alexandrie où, pourtant, le rite officiel de l'Etat était différent. Les personnalités maghrébines dont les noms étaient devenus célèbres en Orient, avaient toutes un lien d'appartenance avec Al Qaraouiyyine : Ibn AI Arabi, Ibn Battouta, Ibn Khaldoun, AI Maqqari entre autres célébrités dont nous avons donné des biographies sommaires dans le répertoire des savants de cette université. Lieu saint de l'Empire, Al Qaraouiyyine venait donc tout naturellement en tête des lieux à visiter par les voyageurs se rendant au Maghreb: l'ambassade de Salah Eddine AI Ayoubi y effectua une visite de piété, les émissaires d'Andalousie et de Tunis s'y rendirent à plusieurs reprises et y organisèrent des cercles d'étude, ce qui contribua à rehausser leur prestige et à accroître les chances de succès de leurs missions. L'histoire de la diplomatie et des relations internationales du Maghreb était liée à celle de l'Université. Rares sont en effet les événements décisifs sur lesquels les oulémas n'avaient pas la haute main. C'est ainsi que les Almoravides ne portèrent secours à l'Andalousie qu'après qu'ils eurent obtenu une fétoua (consultation juridique) des oulémas d'Al Qaraouiyynne. De même, la première ambassade dépêchée du Maghreb en Orient était sous la conduite d'un Alem célèbre qui eut ainsi l'occasion de s'entretenir avec les sommités de Baghdad et d'Alexandrie. Al Qaraouiyyine fut,d'autre part, la seule mosquée à recevoir sa part du butin pris au cours des combats héroïques livrés par les combattants de la foi. C'est ainsi que l'on trouve dans la nef centrale de l'édifice des cloches enlevées aux églises castillanes et transformées en lustres dont quelques-uns portent encore des traces de lettres latines. Les guerres défensives engagées par le Maroc profitèrent également à l'Institution au même titre que les périodes d'accalmie. Mais le rôle joué par elle, en temps de guerre comme de paix, était différemment orienté selon les impératifs du devoir ou les nécessités de l'intérêt public. Elle demeura la citadelle contre laquelle se brisèrent toutes les manoeuvres du colonialisme. Pour celui qui prend soin de suivre l'Histoire politique du pays, il découvrira qu'elle était constamment à l'origine de tout mouvement de résistance. La «Résidence Générale » se trouva pour la première fois en difficulté avec le Palais Royal à cause précisément du rôle joué par Al Qaraouiyyine, que l'occupant considérait comme un obstacle dont il fallait se débarrasser. Ce sont là les grands traits que j'essaie de faire ressortir dans l'étude que je mets entre vos mains. Voilà donc la Mosquée Al Qaraouiyyine, à laquelle m'attachent tant de liens de fidélité indestructible. J'ai passé auprès d'elle les meilleurs jours de mon enfance. Mon adolescence et ma jeunesse s'y écoulèrent dans la plus grande félicité, en tant qu'étudiant d'abord, et en qualité de professeur par la suite. «Quand s'annonce sa vision au plus profond de mon âme, Je sens frémir les rameaux de ma jeunesse». (poème) J'ai ressenti une grande joie m'envahir le coeur, dès le premier jour où j'ai abordé la préparation de cette étude car j'ai cherché surtout à m'acquitter d'une dette de gratitude envers cette Institution. J'ai pensé au premier abord qu'une telle entreprise ne me coûterait pas de grands efforts car la célébrité d'Al Qaraouiyyine était telle que toute documentation la concernant serait à la portée de tous. Or, à l'exception de quelques oeuvres telles «Raoud AI Qirtas» d'Ibn Abi Zarc, «Jana Zahrat AI Ass» d'AI Jaznai et «Jadouat AI Iqtibas » d'Ibn AI Oâdi, les sources de documentation faisaient sérieusement défaut. La difficulté de l'entreprise m'apparut donc dès que j'eus exploité ces trois ouvrages dont les textes devaient du reste faire l'objet de plusieurs analyses et de recherches minutieuses. Car le premier auteur avait puisé la plupart de ses informations dans des sources disparues et non contemporaines de la fondation de l'Institution; alors que le deuxième avait rapporté dans leur majorité les récits de son prédécesseur; le troisième s'étant contenté d'y ajouter des renseignements datant de sa propre époque. J'ai également extrait des passages de certains recueils de jurisprudence ou de biographies, ce qui m'a permis d'éclairer quelque peu mon étude. La nécessité me poussa à recourir aussi à d'autres moyens que je considère comme une base incontestable de documentation: il s'agit des actes de constitution des Wakfs, appelés au Maghreb «AI Haoualat AI Hobossya». J'ai dû me consacrer à l'étude de ces vieux documents portant l'empreinte du temps, y suivre les. revenus et obligations d'Al Qaraouiyyine et de ses zaouias, afin d'y relever les dates et les conditions des constituants. C'était jusque-là chose inconnue pour nous. J'ajouterai à cela recherche entreprise en vue de retrouver les manuscrits et documents rares et d'obtenir ceux qu'auraient écrit d'anciens étudiants émigrés ou tombés captifs aux mains de corsaires étrangers qui opéraient jadis en Méditerranée. J'ai trouvé des textes donnant un aperçu véridique sur divers aspects historiques et intellectuels de l'institution. Ces écrits étaient effectivement rédigés hors du Maroc sous forme de mémoires et nous ont été conservés jusqu'à ce jour. On doit également à certains auteurs des articles disséminés ça et là à travers des ouvrages, articles qui ne dépassent pas en fait le cadre des informations fournies par les principales sources. Toutefois, je ne minimiserai pas l'utilité de certains documents écrits par des étrangers les uns dans un style touristique, les autres avec une pointe vindicative, d'autres, toutefois, avec objectivité quoique assez rares. L'élaboration de mon ouvrage nécessita la consultation de plus de cinq cents sources, l'examen d'anciennes pièces de monnaie et le déchiffrement des lettres et dates gravées dans les murs de l'édifice. Cette tâche entreprise en des périodes espacées et en des lieux différents, impliqua des dizaines de voyages et de visites en divers endroits, ainsi que l'étude des moindres recoins de l'édifice et jusqu'aux marches du minaret. Certains de mes voyages m'ont conduit au-delà de l'Euphrate et de l'Atlantique. J'ai dû en outre correspondre avec des dizaines de penseurs et de savants dont je considérais utile de recueillir les opinions. Certains résidaient au Caire, à Alexandrie ou à Baghdad, d'autres habitaient l'Europe ou même l'Amérique, alors que d'autres comptaient parmi les oulémas et les personnalités des pays du Grand Maghreb: la Libye, la Tunisie, l'Algérie et le Maroc. Pour les illustrations destinées à paraître dans l'ouvrage, j'ai dû accompagner les photographes sur les lieux pour leur montrer les vues à prendre, comme j'ai dû frapper à plusieurs portes pour demander des documents et des dessins dont quelques uns étaient propriété privée alors que d'autres étaient précieusement enfermées. J'ai divisé l'ouvrage en trois parties correspondant à l'ordre chronologique des époques traversées par Al Qaraouiyyine. Chacune des trois parties se subdivise en cinq chapitres traitant les thèmes de base. Ils sont annexés de biographies de deux cent cinquante personnalités, les plus notoires parmi celles qui avaient des liens avec l'Institution. Les trois parties du livre comprennent six cent soixante-dix pages auxquelles il faut ajouter près de quatre cents planches choisies pour apporter toute précision sur l'histoire de l'édifice. Cependant, en dépit des années que nécessita ce travail et malgré l'abondance des matières traitées, la grandeur de l'Institution ne faisait que croître devant moi jusqu'à se rendre inaccessible à mes efforts. Car je voyais de plus en plus clairement, qu'écrire l'Histoire d'Al Qaraouiyyine c'était, en fait, traiter celle de toutes les régions maghrébines et ressusciter tous les aspects du passé politique et social. Bien plus, c'est se préparer à effectuer un voyage à travers l'Histoire, vers des horizons lointains, ceux des Lieux Saints de l'Islam, de Jérusalem, de Baghdad, de Damas, du Caire, de Constantinople et son empire ainsi que ceux des étendues africaines. C'est dire, en outre, la nécessité de prendre connaissance des rapports politiques écrits sur le Maroc par les diplomates étrangers qui les adressaient à leur gouvernement, aussi bien en Sicile, en Flandres, à Stockholm, Copenhague, Amsterdam, Madrid, Lisbonne, Washington, Saint Petersbourg, qu'à Londres et à Paris. Pour toutes ces raisons, je m'empresse de dire que le résultat de mon étude sur Al Qaraouiyyine ne constitue qu'une modeste présentation de cette Institution qui mérite qu'on lui consacre des efforts plus soutenus et des recherches plus approfondies. Qu'il me soit permis d'exprimer ici toute ma gratitude et toute ma considération à tous ceux qui m'ont apporté leur aide en vue de faire connaître ce «Monument de l'Histoire», en particulier ceux qui m'ont prodigué leurs conseils. Ma reconnaissance est adressée aux auteurs auxquels j'ai emprunté les différentes insertions, à ceux dont la documentation a servi de base à mes recherches, à mes correspondants, aux propriétaires de bibliothèques privées et aux fonctionnaires des bibliothèques publiques. Auprès des uns et des autres, j'ai trouvé un accueil spontané, sympathique et efficace, tant en Orient qu'au Maghreb. Aux professeurs universitaires qui m'entourèrent si généreusement de leur sollicitude, et tout particulièrement ceux qui m'honorèrent de leur amitié, j'exprime ici ma haute considération. Je suis tout particulièrement reconnaissant au docteur Mokhtar AI Abbadi, professeur à l'Université d'Alexandrie, qui m'a redonné courage chaque fois que j'ai rencontré des difficultés, renouvelant ainsi les rapports qui unirent par le passé Fès à Alexandrie. Ce faisant, il a tenu à faire revivre l'époque où les oulémas du Maghreb s'honorèrent de recevoir des « Ijazat» rédigées justement par les Cheikh d'Alexandrie ; tel Ibn AI Arabi, ambassadeur du Maroc à Baghdad qui tint à passer par Alexandrie pour y obtenir la « ljazat» délivrée par Art-Tourtochi. Enfin, je prie mes lecteurs de m'excuser pour l'état de présentation de cet ouvrage. Les circonstances particulières que j'ai vécues ces dernières années ont influencé la réalisation de celui-ci dont la forme ne me donne pas entière satisfaction. Toutefois, il m'est apparu opportun d'en hâter l'édition, car la recherche de la perfection aurait pu en reporter indéfiniment la parution. J'ai bon espoir que lecteurs et chercheurs m'en excuseront et voudront bien en combler les lacunes et en rectifier les imperfections. L'AUTEUR Il m'est particulièrement agréable de remercier mon ami Ahmed Aqallal qui a bien voulu assurer la traduction de cette préface ».