Les économies ayant opéré la transition de la catégorie des faibles revenus à celle des revenus élevés ont généralement subi des changements significatifs au niveau de la structure de leur économie. Si l'Afrique du Nord connaît un changement structurel depuis au moins quatre décennies, ce processus n'a pas été suffisant pour promouvoir une croissance économique rapide et la création d'emplois. Que ce soit en termes de diversification de l'industrie et des exportations, de sophistication, de niveau et de composition de l'investissement privé, ou de productivité et de capacités des entreprises, aucune économie d'Afrique du Nord n'a subi le type de transformation économique qu'ont connu des économies à revenu intermédiaire telles que le Brésil, la Chine, la Malaisie, l'île Maurice et la Turquie. Du fait de la lenteur de l'évolution de la structure économique de l'Afrique du Nord et du déclin relatif du secteur manufacturier, au cours des 20 dernières années, on a assisté à une modification de la composition de l'emploi en faveur des emplois à plus faible productivité. Les données, quoique partielles, montrent que le changement structurel a inhibé la croissance. En Egypte et en Tunisie, le secteur des services absorbe une bonne partie de l'augmentation de la main-d'oeuvre depuis 2000. Une grande proportion des emplois dans le secteur des services dans les deux économies est informelle et caractérisée par une faible productivité et des bas salaires. L'ampleur limitée du changement structurel traduit essentiellement le fait que les économies d'Afrique du Nord ont manqué de s'industrialiser. La part du secteur manufacturier dans le PIB de la région est faible, comparée aux pays en développement dans leur ensemble et, particulièrement à l'Asie de l'Est. Le niveau des exportations de produits manufacturés par habitant en Egypte est particulièrement faible, s'établissant à moins de 100 $ par habitant. Au Maroc, elle ne représente qu'environ 60 % de la moyenne pour les pays en développement. La Tunisie, par contre, affiche un niveau d'exportation de produits manufacturés par habitant qui soutient favorablement la comparaison avec l'Asie de l'Est. L'Egypte, le Maroc et la Tunisie exportent principalement des produits manufacturés très simples. La part des produits de moyenne et haute technologie dans le total des exportations de produits manufacturées – un indicateur important de l'apprentissage par l'exportation – est très faible, en comparaison avec les autres régions en développement. L'Egypte et la Tunisie ont souffert pendant longtemps d'une baisse du niveau de sophistication de leur secteur manufacturier, ce qui constitue un frein pour leur croissance. Au cours des années 70 et 80, l'Egypte et la Tunisie affichaient une production manufacturière et des structures d'exportation qui, en termes de sophistication, étaient grosso modo conformes à leurs niveaux de développement. En 1995, les deux économies ont chuté en dessous de leurs niveaux prévus, en termes de production et de sophistication des exportations. Autonomisation du secteur privé Le changement structurel inducteur de croissance dépendra fondamentalement de l'investissement privé et de la création d'emplois. L'Afrique du Nord a besoin d'un secteur privé plus dynamique et compétitif. Paradoxalement, les gouvernements de la région ont été félicités la dernière décennie par les institutions internationales pour avoir pris des mesures destinées à promouvoir le développement du secteur privé. Cependant, les politiques et les changements réglementaires qui, sur papier, semblaient autonomiser le secteur privé en fait sapaient la concurrence, limitaient l'entrée sur le marché de nouvelles entreprises et décourageaient la prise de risques. Le rétablissement de la confiance des milieux d'affaires dépendra de l'instauration de la confiance entre le gouvernement et le secteur privé dans un cadre plus ouvert. Une première mesure dans le sens de l'établissement de la confiance peut consister à mettre en place des institutions qui promeuvent des rapports transparents et fondés sur des règles entre le milieu des affaires et le gouvernement. Une réforme importante serait l'amélioration de l'accès à l'information par la publication des réglementations publiques et des résultats des décisions administratives (par exemple en ce qui concerne les permis et les adjudications de marchés). Les gouvernements peuvent également introduire des innovations en vue d'améliorer l'efficacité et l'équité de la fourniture de services aux entreprises. Les services de douane, les autorités fiscales, les administrations des terrains industriels et les organismes chargés de réglementer l'investissement et l'entrée de nouvelles entreprises figurent au nombre des principaux organismes au niveau desquels ces réformes devront être mises en oeuvre. Le système bancaire en Egypte et Tunisie est peu efficace au regard des normes internationales. Les banques publiques continuent de dominer le secteur financier et la concurrence entre les banques est limitée. Les banques d'Afrique du Nord ont le taux moyen de concentration des prêts le plus élevé au monde. Seulement 20 % de PME en Afrique du Nord ont accès au financement, et la part de la population desservie par la moitié de celle de l'Amérique latine. Une mesure immédiate à prendre pour accroître la concurrence consisterait à lever les restrictions pesant sur l'entrée des banques étrangères. Les pays peuvent également renforcer la concurrence dans le secteur bancaire et réduire les possibilités d'abus en limitant le montant des prêts qu'un seul emprunteur peut contracter auprès des banques publiques, en levant les restrictions pesant sur l'ouverture des succursales, et en améliorant la surveillance indépendante de toutes les banques. La mise en place d'institutions qui facilitent l'allocation des capitaux par projet s'avère particulièrement important pour assurer l'accès au crédit aux petites, moyennes et micros entreprises.