L'impôt de solidarité instauré par le gouvernement à travers la loi de finances 2012 n'est pas pour plaire au patronat. Destiné à soutenir le développement des régions les plus déshéritées du Maroc, cet impôt est prélevé sur les profits nets des entreprises à hauteur de 1,5% quand les bénéfices vont de 50 millions à 100 millions de Dirhams, et de 2,5% quand ces bénéfices dépassent les 100 millions. Cette taxation des entreprises devrait rapporter au fonds de solidarité quelque 200 millions de Dirhams cette année, mais ne sera plus appliquée l'année prochaine. Avec près d'un quart de la population marocaine vivant sous le seuil de la pauvreté et le profond gouffre des inégalités socioéconomiques qui attise les tensions sociopolitiques, les opérateurs économiques marocains auraient dû, au contraire, saluer cette mesure. Car il faudrait raisonner au-delà de la simple arithmétique du prélèvement fiscal. Les opérateurs économiques sont bien placés pour savoir combien coûte cher l'instabilité sociale aussi bien en termes de manque à gagner que de perte de confiance, synonyme de stagnation des activités et des investissements. Chaque année, après la publication du rapport sur le développement humain réalisé périodiquement par le PNUD, des voix s'élèvent à travers le pays pour dénoncer le mauvais classement du Maroc et rappeler tous les progrès accomplis au cours des dernières décennies. Il faut alors déployer des trésors de pédagogie et de patience pour expliquer aux citoyens courroucés qu'en matière de santé, l'existence de cliniques dans les grands centres urbains dotées des équipements médicaux technologiquement les plus avancés ne parviendra jamais à faire oublier l'état lamentable des unités de soins de santé dans les zones montagneuses et les régions reculées, que la multiplication des établissements d'enseignement privé aux tarifs mensuels exorbitants ne peut occulter la triste situation des écoles publiques non seulement dans le monde rural, mais également dans les périphéries urbaines. Ce n'est pas le niveau de vie des seules élites sociales qui est pris en considération, mais celui de l'ensemble de la population, y compris les laissés pour compte du développement. Il semblerait que le terme solidarité accolé à ce nouvel impôt ne convient pas tout à fait pour décrire sa véritable portée. Il ne s'agit pas de faire appel aux bons sentiments des élites sociales marocaines, mais à leur raison. Ce n'est pas l'aumône pour se donner bonne conscience, mais un devoir pour mériter sa citoyenneté et un bon placement pour assurer l'avenir de ses enfants. La pauvreté dans laquelle sont plongés des centaines de milliers de citoyens marocains est une véritable entrave à un développement économique rapide et consistant du pays. Aider les franges de la population les plus défavorisées à se sortir de leur misère n'est donc pas une question de pitié, mais d'intérêts biens compris. Plus il y a de pauvreté, plus il y a de problèmes sociopolitiques, moins il y a de confiance des épargnants, des investisseurs et des consommateurs, moins il y a de profits à engranger. Par ailleurs, la préservation des acquis des élites sociales est des plus incertaines quand l'instabilité sociopolitique tend à tout remettre en cause. Le libéralisme débridé, on en voit les conséquences fâcheuses sur les pays occidentaux qui s'y sont empêtrés. S'entêter à répéter inlassablement que les pauvres le sont par leur faute, en leur accolant toutes les tares sociales du monde, dénote d'une très grande ignorance de l'Histoire de l'humanité. Ce genre de raisonnement ne débouche que sur des révoltes et finit par coûter cher à ceux qui le tiennent. Verser des impôts suffisamment élevés pour permettre une redistribution des richesses, c'est juste s'assurer que les équilibres sociaux sont préservés pour le plus grand profit de tous. Suite à la bataille de Marathon contre les Perses, la noblesse d'Athènes, qui avait été la seule à combattre parce que la seule à avoir les moyens de s'acheter glaives et boucliers, avait compris que pour faire face à un ennemi aussi puissant que l'empire perse, il fallait nécessairement armer les citoyens pauvres pour qu'ils puissent participer à la guerre. Et, de ce fait, accepter de verser des impôts plus lourds pour financer leur armement. Il a découlé de cette décision une dynamisation de l'économie athénienne, aussi bien à travers la création de chantiers de construction navale et d'ateliers de fabrication des armes, que de l'apprentissage de métiers par les plébéiens dont le pouvoir d'achat et le niveau de vie se sont ainsi améliorés. L'INDH, en tant qu'instrument de lutte contre la pauvreté au Maroc, a eu le mérite d'insister sur la création d'activités génératrices de revenus plus que sur les aides directes aux plus démunis. Tant que le fonds de solidarité financé par l'impôt nouvellement créé s'appuie sur cette logique de soutien à la prise en charge des populations pauvres par elles-mêmes, les sommes mobilisées ne risquent pas d'être dilapidées et les populations cibles ne vont pas être encouragées à la passivité, mais au contraire motivées pour améliorer leur sort en multipliant leurs efforts.