L'Egypte s'apprête à commémorer le début il y a un an de la révolte contre Hosni Moubarak, dans un climat d'incertitudes et de tensions entre un pouvoir militaire critiqué, un mouvement contestataire à la recherche d'un nouveau souffle et des islamistes triomphants. La date symbolique du 25 janvier, autrefois «jour de la police», est devenue «journée de la révolution» et a été décrétée jour férié, en souvenir des manifestations qui ont mené à la chute du raïs le 11 février. Le conseil militaire qui tient depuis les rênes du pouvoir veut marquer l'événement mercredi avec force parades, feux d'artifice et discours officiels, dans l'espoir de retrouver l'esprit, aujourd'hui terni, d'union entre la population et les forces armées qui avait marqué le début de la transition. L'armée a également annoncé samedi soir la grâce du blogueur Maïkel Nabil, condamné à deux ans de prison par un tribunal militaire pour avoir critiqué l'armée. Elle a aussi promis des médailles et l'octroi d'emplois publics aux milliers de personnes blessées en janvier et février 2011. Mais les militaires ont parallèlement multiplié les mises en garde contre tout «chaos» visant à «déstabiliser l'Egypte» mercredi, et annoncé des mesures de sécurité renforcées. Rassemblements pour poursuivre l'idéal démocratique La mise en garde s'adresse implicitement aux jeunes militants qui espèrent relancer un mouvement en perte de vitesse face aux succès électoraux des islamistes et à la lassitude d'une grande partie de la population. Ces mouvements très actifs sur internet appellent à des rassemblements dès lundi, jour de l'investiture de l'Assemblée, pour demander aux nouveaux députés, en grande majorité islamistes, de poursuivre l'idéal démocratique de la révolte. D'autres manifestations sont prévues mercredi pour réclamer le départ des généraux au pouvoir --accusés de perpétuer l'ancien système autoritaire-- sans attendre l'élection présidentielle prévue d'ici la fin juin. «Nous ne descendons pas dans la rue pour fêter la révolution comme certains le voudraient, mais pour poursuivre les objectifs de la révolution» affirme un des principaux groupes contestataires, le «Mouvement du 6 avril». Cet anniversaire survient dans la foulée d'élections législatives qui ont donné plus des deux tiers des sièges aux candidats islamistes. Une assemblée du Peuple aux deux tiers islamiste Les islamistes égyptiens ont remporté plus de deux tiers des sièges de députés, dont près de la moitié pour les seuls Frères musulmans, selon les résultats officiels de la première élection depuis la chute du président Hosni Moubarak diffusés samedi. Le Parti de la liberté et de la justice (PLJ), issu des Frères musulmans, se taille la part du lion avec 235 sièges sur les 498 en lice, soit 47% environ, lors de ce scrutin qui s'est tenu en plusieurs phases depuis le 28 novembre. Le parti fondamentaliste salafiste Al-Nour arrive en deuxième position, avec 121 sièges (environ 24%). Le parti libéral Wafd a eu quelque 9% des sièges. Le Bloc égyptien, coalition de partis libéraux laïques, obtient 7% des députés dans cette élection considérée comme la plus ouverte depuis le renversement de la monarchie en 1952. Dix sièges de députés supplémentaires, non-élus, ont été pourvus par le chef du Conseil militaire qui dirige le pays, le maréchal Hussein Tantaoui, qui a notamment désigné pour ces sièges cinq chrétiens et deux femmes. Le PLJ a déjà fait savoir qu'il avait choisi son secrétaire général, Saad al-Katatni, pour présider l'Assemblée du peuple (chambre des députés), au terme d'un accord avec d'autres partis. La première session de l'Assemblée du peuple doit se tenir lundi en présence du maréchal Tantaoui. L'élection des sénateurs doit pour sa part débuter le 29 janvier pour s'achever fin février. Le futur Parlement sera chargé de désigner une commission qui rédigera une nouvelle Constitution. Les Frères musulmans ont multiplié les déclarations ces dernières semaines pour se présenter comme une formation responsable, prête à participer au pouvoir. Ils ont notamment tenu à se démarquer des fondamentalistes salafistes, dont la percée électorale constitue la grande surprise du scrutin, et fait des propositions d'alliance avec des partis laïques. Les dirigeants des Frères et du PLJ ont notamment cherché à rassurer sur le terrain de l'économie, alors que le pays traverse une grave crise, et se sont employés à donner des gages à la communauté chrétienne copte, qui représente entre 6 et 10% de la population. Sur le plan diplomatique, Le guide de la confrérie, Mohamed Badie, s'est dissocié des appels à manifester contre le pouvoir militaire à l'occasion du premier anniversaire, mercredi, du début de la révolte contre Hosni Moubarak. Il a notamment rejeté les appels à une «deuxième révolution», et a plaidé pour qu'il ne «soit pas porté atteinte au prestige de l'armée», dans des propos sur une chaîne privée, rapportés samedi sur le site internet de la confrérie. Il a toutefois laissé entendre que la future assemblée dominée par le PLJ pourrait être ferme face à des demandes de l'armée de préserver certains privilèges de l'institution militaire. Il a notamment estimé que le budget de l'armée, jusqu'à présent exempt d'examen par les députés, pourrait être soumis à une commission parlementaire. Il a aussi souligné que les membres des forces armées n'étaient pas au dessus des lois ordinaires.