Nouvel an, nouvelle Constitution, nouveau gouvernement, nouveaux espoirs. Les Marocains sont en train d'entrer doucement dans une nouvelle phase de l'évolution de leur nation, pleins d'attentes et d'ambitions, suffisamment motivés pour relever les immenses défis auxquels leur société est confrontée. Le rapport du cinquantenaire l'a bien souligné, la stratégie consistant à lier le bien-être social à la seule réalisation de taux de croissance économique élevés, en passant par le maintien dans la durée des équilibres macroéconomiques fondamentaux, a montré ses limites au Maroc, comme ailleurs dans le monde. Croissance économique et développement humain sont étroitement liés. En matière de développement humain, la problématique de l'éducation et de la formation demeure essentielle. Elle détermine, d'ailleurs, tout autant la qualité et la durabilité de la croissance économique, à travers l'amélioration de la productivité et en tant que facteur probant d'attractivité des investissements directs étrangers. Pour toutes ces raisons, l'éducation-formation a été érigée en seconde priorité nationale, après l'intégrité territoriale. 60,3% des Marocains âgés de plus de dix ans étaient alphabétisés en 2009, selon les chiffres du Haut Commissariat au Plan. Bien sûr, c'est beaucoup mieux que dix ans auparavant, quand ce taux n'était que de 49,8%. Mais ça ne fait même pas les deux tiers des Marocains qui savent lire et écrire. Quand aux taux de scolarisation, si la généralisation à 100% de l'accès à l'enseignement primaire est censée être atteinte en 2015, grâce à des efforts particuliers déployés dans ce sens au cours des dernières années, le taux de scolarisation collégiale, 44% en 2008, met à nue l'importance de la déperdition scolaire. La question des taux de réussite est, toutefois, à double tranchant. Car il ne suffit pas de voir ces taux progresser, encore faut-il que ces taux reflètent réellement un meilleur rendement dans le processus d'acquisition des connaissances par les élèves. Les enseignants en savent quelque chose, comme en témoigne un professeur de l'enseignement secondaire. «Les élèves réussissent leur passage de classe en classe, tout le long de leurs études primaires, sans aucune difficulté, indépendamment de leur niveau. Il n'y a pas d'échec possible durant le primaire. Et parfois, la note de passage d'une classe à une autre chute jusqu'à 3/10. On se retrouve, au niveau de l'enseignement secondaire, confrontés à des collégiens qui sont incapables de formuler une phrase correcte, que ce soit en français ou en arabe. Les élèves ayant achevé le parcours des études primaires sans avoir accumulé les connaissances requises, sans avoir acquis un solide niveau, n'arrivent pas à suivre la cadence pendant les années d'études secondaires, au collège et au lycée. Ils en sont alors très affectés psychologiquement, ayant été confrontés à un échec auquel ils n'étaient pas habitués». Programme d'urgence élaboré sur hautes instructions royales, le plan «Najah», couvrant la période 2009-2012, est normalement venu combler les lacunes constatées des stratégies de réformes successives engagées depuis le début du siècle. Mais a-t-il vraiment répondu aux espoirs placés en lui et aux attentes des citoyens ? Le plus honnête serait de dire que le bilan est mitigé. Mais il a eu quand même le mérite, en principe, de «placer l'apprenant au cœur du système d'éducation et de formation», selon la formule consacrée. Car il s'agissait d'essayer enfin de trouver une solution à l'un des aspects les plus épineux et les plus ignorés de la problématique de l'éducation-formation au Maroc. Plus axé sur l'accumulation brute des connaissances que sur l'éveil des capacités d'analyse et de réflexion de l'élève, le système d'enseignement marocain a pendant longtemps produit des personnes instruites mais peu dotées d'esprit d'initiative. Plus grave encore, la tête bourrée de notions abstraites plus au moins bien comprises, nombre de jeunes diplômés s'évertuent à vouloir plier la réalité aux idées préconçues qu'ils se font de cette réalité et qu'ils leur ont été maladroitement inculquées, plutôt que le contraire. Il en résulte une permanente friction entre une fraction importante de ces jeunes diplômés, surtout ceux qui n'ont pas réussi à décrocher un emploi, et les pouvoirs publics, accusés de faillir à leur mission consistant à garantir à tous le droit à l'emploi. Il serait tentant de dire que ces pouvoirs publics ne font que récolter aujourd'hui ce qu'ils ont semé jadis. La stimulation de l'esprit d'initiative ne faisant pas partie du cursus de l'apprenant-récitant-obéissant qu'exige le système d'enseignement marocain de l'élève, il est bien difficile de convaincre les diplômés chômeurs, produits de ce système, que le temps est venu pour eux de se prendre en charge, de savoir «vendre» leurs compétences aux employeurs privés ou de «s'auto-employer». Sauf qu'il s'agit d'un énorme gâchis qui met en cause les perspectives de développement de la nation. C'est plutôt exiger de chaque citoyen une forte mobilisation pour y mettre fin. Repenser la transmission du savoir Il y a d'abord l'approche essentiellement économiste, qui consiste à dire que le plan «Maroc Emergence» et autres plans de développement sectoriel promus récemment nécessitent d'importantes ressources humaines qualifiées, de l'ouvrier spécialisé à l'ingénieur en passant par le technicien, d'estimer les besoins du secteur productif national et des potentiels investisseurs étrangers pour y répondre et d'élaborer des stratégies d'éducation-formation sur cette base. Mais aussi pertinente que soit cette approche, elle n'est pas suffisante pour asseoir la philosophie d'un système d'enseignement, qui se doit de former les aptitudes de l'individu à s'intégrer au mieux à son environnement et celles du citoyen à servir au mieux sa nation et pas seulement celles de l'élément productif. Car il ne faut pas négliger la dimension sociale de la question de l'éducation-formation. Comme l'a souligné SM le Roi dans un de ses discours l'an dernier et comme l'ont bien compris les partis politiques qui ont un réel contact avec les populations, la promotion des classes sociales moyennes au Maroc est devenue un impératif sociopolitique pour assurer la stabilité du Royaume. Or, suite aux défaillances et échecs cumulés au cours des dernières décennies, le système scolaire joue de moins en moins son rôle d'ascenseur social. Il y a beaucoup de non-dits concernant la question du système d'enseignement au Maroc. Ainsi, la gratuité de la scolarité ne cesse d'être remise en cause par certains cercles bien pensants, au nom des impératifs budgétaires et de la sacro-sainte orthodoxie financière, ce qui est faire preuve de cécité. La part de la population marocaine qui vit dans la pauvreté est encore trop importante. Quand à la frange inférieure de la classe moyenne, elle est tellement fragile qu'elle n'échappe à la régression sociale que grâce à la gratuité des services publics et aux subventions de l'Etat accordées aux produits de premières nécessités. L'éducation-formation a un coût, il est vrai, mais il est à percevoir comme un investissement rentable à terme, pas comme une simple charge à réduire pour embellir les comptes de la nation. La problématique du personnel enseignant a été enfermée, pour sa part, dans le carcan des revendications syndicales et des surenchères politiques, au point d'occulter la question essentielle des qualifications et compétences dont dépend pourtant la qualité de l'enseignement inculqué. Combien sont les professeurs de français qui sont incapables de faire une phrase correcte en français ? Combien sont les professeurs quasi-démissionnaires de leur mission éducative, par lassitude ou par dégoût, combien d'enseignants déprimés, noyés dans des classes surpeuplées ? Quand à la sécurité au sein des établissements scolaires, c'est avec effarement que les personnes d'âge mûr constatent la présence d'agents de sécurité dans certains collèges et lycées. Signe des temps, il est de moins en moins question de violences envers les élèves, mais de plus en plus de celles des élèves envers leurs enseignants. Repenser les modes de transmission du savoir, mettre à niveau un corps enseignant devenu dépassé par les évènements, rendre à l'établissement scolaire le respect qui lui est dû, c'est répondre aux attentes légitimes des citoyens et aux besoins concrets de la nation et de son économie. Autant de chantiers à entamer et de défis à relever pour le prochain gouvernement, envers lequel les citoyens seront plus exigeants qu'ils ne l'ont jamais été jusqu'à présent.