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Langues et Education à l'épreuve du XXIème siècle
Un enjeu mondial et un défi national pour les nouveaux pouvoirs au Maghreb (*)
Publié dans L'opinion le 28 - 12 - 2011

Dans cette réflexion consacrée aux Langages du Maghreb face aux enjeux culturels euro-méditerranéens, nous avons essayé tout d'abord de tracer les contours de cette toile de fond régionale et y esquisser ensuite la nouvelle donne des enjeux.
Ceux-ci apparaissent à travers trois idéologies _ européanisme, mondialisme et francophonisme - qui se croisent en Méditerranée, se complètent ou s'entrechoquent en vue, entre autres, d'établir individuellement ou collectivement leur suprématie sur l'autel de l'espace maghrébin. Suprématie qui risquerait, si la tendance unipolaire se renforçait, de bénéficier à terme, à l'idéologie américaniste, compte tenu des nouveaux rapports de force dont l'axe atlantique apparaît de plus en plus susceptible de supplanter, si ce n'est déjà fait, l'axe euro-méditerranéen. Mais nous avons pu aussi nous interroger sur l'aptitude des langages du Maghreb à transcender ces enjeux hégémoniques. Nous avons essayé ainsi d'évaluer la possibilité de faire de ces contraintes extérieures - en l'occurrence celles inhérentes à la Méditerranée - non des adversaires insaisissables, mais des alliés identifiables en s'appropriant éventuellement leurs langages sans pour autant se dissoudre dans leurs propres perspectives. Aussi, la restructuration de la personnalité maghrébine y est-elle apparue - dans cette nouvelle donne - comme un impératif incontournable à travers ses trois dimensions - l'amazighité, l'arabité et l'islamité. D'autant que ce creuset culturel, irremplaçable dans sa diversité comme dans son unité, accompagna l'Histoire du Maghreb dans tous ses avatars. Il en constitua un ciment indéfectible et perpétua une production civilisationnelle liant continuellement le spécifique à l'universel. Il permit, à chaque fois dans les moments difficiles, malgré sa surface assoupie, de faire émerger de ses profondeurs de nouvelles dynamiques.
Or, telle qu'elle s'est engagée, l'éducation au Maghreb qui lui sert de ressort, manque de l'essentiel: la conviction. Elle est envahie par le pire des ennemis: le doute. C'est ce qui explique peut-être que les minorités bourgeoises maghrébines troquent souvent le système éducatif autochtone qui réunit plus de 90% de la population scolaire, contre des systèmes étrangers installés au Maghreb. Ou, à la rigueur, pour leur copie conforme prise en charge par des institutions privées qui en font une base mercantile d'un commerce pédagogique lucratif. Pourtant, contrairement à ce qu'on en dit, l'Ecole publique ainsi désertée par l'élite - voire par les siens - n'a pas démérité. Elle a rempli une mission déterminante au cours de la cinquantaine d'années des Indépendances, qui se sont écoulées. Entre autres, elle a formé dans les deux langues arabe-français, des milliers de cadres masculins-féminins de très haut ni veau, dans un Maghreb intellectuel encore squelettique, vidé de sa substance par le colonialisme. Une telle formation a embrassé tous les domaines: universitaires et médicaux, pédagogiques et sociaux, administratifs et politiques, économiques et techniques, avec un excédent actuel qui, voué au chômage, se mue en produit d'exportation.
L'Ecole publique maghrébine semble donc avoir rempli une part importante de son premier contrat, malgré le manque de moyens matériels et humains et les déperditions scolaires fort nombreuses, qui en sont le corollaire inévitable. Elle aurait peut-être pu mieux faire. Mais qu'il suffise objectivement de comparer le point de départ des années 50 et 60 et le point d'arrivée, toujours ouvert, des années 2000, pour se rendre compte du chemin parcouru. Inutile de s'appesantir sur les chiffres déjà cités et les transformations sociales qui sont attachées à l'Ecole publique, bien que celle-ci ne soit pas toujours d'une réussite éclatante, à l'abri de tout reproche. Elle recèle, au contraire, de véritables zones d'ombre couvrant d'un voile de pudeur tous ceux, très nombreux, qui sont restés sur le quai de l'analphabétisme et de la misère... On ne peut alors s'étonner que de jeunes désœuvrés, qui en sont peut-être issus, soient autant attirés par des mouvements contestataires ou marginaux à l'intérieur, que par les mirages extérieurs du bien-être matériel nord-méditerranéen. Surtout lorsque ceux-ci sont accentués par l'imaginaire et portés à l'écran télévisé, à travers une publicité sadique, par satellites et paraboles interposés. Ces candidats potentiels ou agissants, à l'émigration « clandestine », pour ne pas dire au naufrage, n'hésitent plus à braver les interdits. Ils « confient» leur sort aux vagues d'une mer (e) qui n'est pas toujours clémente. La Méditerranée, berceau des civilisations, apparaît ainsi, ironie de l'Histoire, comme une ogresse qui dévore ses enfants et dont l'antre, sinon les deux rives, se transforment peu à peu en sombres sépultures pour ces « soldats inconnus» d'une « Civilisation » (in) humaine qui prétend à l'universel. De là à rendre responsable les systèmes éducatifs maghrébins, voire les enseignants ou l'arabisation, pour en faire des boucs émissaires, il n'y a qu'un pas que l'on franchit de plus en plus sans ménagement.
Aussi, ce maillon faible de l'édifice social se trouve-t-il constamment - en l'occurrence au Maroc et plus particulièrement en Algérie - pris dans l'engrenage de réformites éducatives qui, comme toutes les pathologies mal diagnostiquées, conduisent à l'impasse, malgré une « expertisite» continuelle. A cet égard, on fait appel à des « consultants » très coûteux venus d'ailleurs, souvent imbus de leurs propres systèmes, pour ausculter l'enseignement maghrébin. Le corollaire en est une exclusion sans appel d'éducateurs autochtones de stature internationale et de pédagogues chevronnés, façonnés à l'épreuve du terrain. Mais les «experts» étrangers qui les supplantent, ne réussissent souvent en guise de «réforme» - comme dans d'autres pays du Tiers Monde - qu'à conformer l'éducation maghrébine à leurs propres systèmes. Ou, pire, à en privatiser une partie dans un but inavoué de servir de prolongement idéologique à la domination culturelle ou à l'entreprise marchande des multinationales. Mais ces démarches insidieuses semblent échapper à la vigilance politique. Même lorsque l'élaboration de tels projets bénéficie de la couverture nationale de commissions ad hoc, comprenant parfois des personnalités autochtones de grande valeur culturelle et intellectuelle, mais qui manquent souvent d'expériences éducatives au ras-le-sol. Or, il ne peut y avoir de potion magique pour un système éducatif qui n'est pas pris entièrement en charge par ses éducateurs et fréquenté par ses enfants, en l'occurrence ceux de ses élites qui le désertent. Aucun système étranger de quelque pays que ce soit, n'est une panacée à injecter ou un exemple à imiter et encore moins un modèle à importer, bien qu'il demeure, certes, une expérience à méditer et à ne pas négliger. S'il devait en être autrement, on risquerait, si ce n'est déjà fait, de verser dans une sous-traitance langagière et culturelle de moindre portée. Elle serait de nature à contrecarrer l'accès à des zones plus vastes de la mondialité éducative, scientifique et technologique, tout en limitant le développement endogène des potentialités inhérentes à la communication sociale et civilisationnelle. Car, on ne peut s'ouvrir réellement sur l'Autre sans une affirmation de soi.
Mais on croit toujours pouvoir, au nom d'une « ouverture» débridée, voire incantatoire, sur l'extérieur, venir à bout du sous-développement éducatif en privilégiant une francophonisation massive, à sens unique, au détriment d'une francophonie de réciprocité, plus ouverte. Ou, alors, en se retranchant derrière une idéologie multilinguistique précoce, à dominance étrangère, encore au stade expérimental au niveau mondial. Cette perte de confiance en soi - voire de mépris de soi - pourrait pourtant être corrigée par un plurilinguisme progressif à dominance maghrébine et mieux adapté. Il assurerait, tout d'abord, la solidité langagière endogène grâce à l'authenticité de la démarche. Il permettrait, en outre, une évolution adjuvante grâce à des apports extérieurs maîtrisés, plus diversifiés et mieux assumés. Car le multilinguisme subi, pratiqué jusqu'ici au Maghreb malgré quelques beaux spécimens au sommet, n'est qu'une juxtaposition d'expressions disparates qui, à la base, recèlent les germes de l'éclatement et portent atteinte à l'unité de la personne et de la société. Tandis que le plurilinguisme assumé, à mettre en œuvre, apparaît comme une intégration harmonieuse de deux ou plusieurs langues au sein d'un même individu ou d'une même collectivité. Pour peu que ceux-ci aient pu régler, auparavant, le problème interne de leur communication langagière, grâce à l'affirmation d'une langue unificatrice autochtone qui reste la pierre angulaire et la colonne vertébrale de l'édifice social.
Et qui peut objectivement jouer ce rôle au Maghreb, sinon l'arabe moderne standard? Ou plus exactement l'aramédien ou Ara-Med, dont l'habillage morphologique demeure, certes, d'origine arabe (Ara), mais dont les structures sémantiques et le contenu civilisationnel sont largement méditerranéens (Med). C'est ainsi que cette langue est devenue, du VIllème au XVème siècle avant même la naissance du français et des langues européennes d'aujourd'hui, la langua franca de la science et des échanges en Méditerranée, à l'instar de l'anglais actuel. Tous les peuples bordant la rive Sud de la Méditerranée y ont, en effet, contribué depuis plus de quatorze siècles, dont l'apport décisif du génie amazigh au Maghreb n'est plus à démontrer. Notamment avec les grandes dynasties berbères, qui, les premières en Occident musulman, ont donné à cette langue «aramédienne» ses lettres de noblesse. En particulier à Marrakech et en Andalousie, avec les Almohades, pour son rayonnement scientifique international et dans les médersas mérinides de Fès, pour son impact culturel universel. Cet idiome est aussi la langue liturgique d'un milliard et demi de musulmans et langue officielle et constitutionnelle pour 250 millions de personnes composant les 22 Etats du Machrek au Maghreb, qui longent le Sud-méditerranéen, de l'Océan Atlantique à la Mer Caspienne. Il est, enfin, l'une des six langues officielles des Nations Unies, avec l'anglais, le français, l'espagnol, le russe et le chinois. Et, dans sa fonction fédératrice au Maghreb, il serait ainsi comparable au tronc robuste d'un arbre solidement porté par des racines traversées de langages maternels arabo-amazighs. Mais dont les branches respirent au diapason de grandes langues scientifiques internationales, sans l'apport adjuvant desquelles il ne saurait y avoir de progrès.
Cependant, il serait candide de penser que les problèmes langagiers du Maghreb pourraient être, ainsi, définitivement réglés, sans tenir compte de la rapidité d'une évolution mondiale qui ne cesse de surprendre. Non seulement le Tiers Monde, mais aussi les pays industrialisés. Tôt ou tard, en définitive, apparaîtra une tout autre perspective qui n'épargnera aucune région de notre planète. Les peuples du monde entier seront sans doute amenés, sous la contrainte des circonstances ou en toute conscience, à adopter le principe d'une dynamique langagière prospective que d'aucuns diraient « aménagement linguistique », respectant un ordre de priorité. Ils troqueraient ainsi, avons-nous dit, un multilinguisme juxtaposé débridé, même précoce ou simultané, contre un plurilinguisme progressif et maîtrisé dont la trame langagière lierait l'individu à sa collectivité. Trois confluents pourraient y concourir. Le premier serait d'abord le maintien et le développement d'une langue officielle, autochtone et compétitive, comme langue matricielle fédératrice d'un pays ou d'une région du monde, dans la mesure où cette unité communicationnelle, si nécessaire, n'est pas synonyme d'uniformité. Le second consisterait à protéger de l'érosion des langages maternels non écrits, par un enseignement adéquat qui garantirait leur évolution et leur pérennité. Le troisième, enfin, se concentrerait sur la langue internationale la plus répandue dans les domaines communicationnels, scientifiques et technologiques. Surtout si elle bénéficie, explicitement ou implicitement, d'un consensus général au niveau universel, induit de la marche inéluctable du troisième millénaire vers l'unité mondiale de la parole. Laquelle n'est pas de nature, loin s'en faut, à conduire vers l'uniformisation planétaire de la culture dont l'évolution relève d'autres processus, toujours multiples, à l'instar de la mosaïque humaine qui les enclenche, les alimente sans cesse et les tire vers la diversité.
C'est dire, en l'occurrence, que l'unité communicationnelle n'est pas la négation de la pluralité culturelle. Elle en est au contraire l'accomplissement, dans la mesure où elle pourrait se nourrir des trois confluents évoqués - matriciel, maternel et international - susceptibles de former, pour l'avenir, un trépied langagier incontournable. Et c'est déjà un trio d'une lourde responsabilité pédagogique et sociale que seul un système éducatif performant ou une volonté vigoureuse, doublée d'une persévérance à toute épreuve, peut assumer. Ce dispositif minimal et combien difficile, n'exclut pas pour tous ceux qui le peuvent, au contraire, de s'adonner, facultativement, à toutes les diversités proches et lointaines et à toutes les ouvertures langagières, pour peu que les pluralités linguistiques et culturelles, ainsi abordées, soient intimement liées sans pour autant être juxtaposées ni superposables.
A cet égard, l'Un et le Multiple qui gouvernent l'univers ne seraient plus en contradiction avec l'unité dans la diversité. Ils seraient au contraire le creuset d'un langage commun et non unique. Un langage qui reste, pour la survie communicationnelle des peuples et leur évolution, une finalité prospective qui ne soit pas uniformisatrice, mais qui soit en revanche unificatrice: une démarche nécessaire en ce troisième millénaire, grâce à laquelle, en fait, la symphonie universelle, fondatrice de l'unité langagière des hommes, tout comme des pluralités inter et trans-culturelles, ne serait plus un simple sujet de méditation.
(*) C'est la conclusion d'un dernier ouvrage d'Ahmed MOATASSIME (Professeur honoraire des Universités au Maroc, Directeur de recherches doctorales en Sorbonne - Paris) intitulé « Le Maghreb face aux enjeux culturels euro-méditerranéens », publié chez Retnani / Editions Wallada, 216 pages.


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